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Victime d’agression ou d’atteinte sexuelles et liberté d’expression : pas d’exigence d’une condamnation définitive pour bénéficier du régime protecteur de 39 l’article quinquies de la loi de 1881 sur la liberté de la presse

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Dans une précédente news « droit de la presse & réseaux sociaux », nous commentions le refus de la Chambre criminelle de la Cour de cassation[1] de renvoyer deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; article qui, pour rappel, dispose que :

« Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles ou l’image de cette victime lorsqu’elle est identifiable est puni de 15 000 euros d’amende.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la victime a donné son accord écrit. »

Le 7 février 2023, la Chambre criminelle a ainsi pu statuer sur le pourvoi proprement dit, formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 février 2022 ayant condamné l’auteur dudit pourvoi à 1.000 euros d’amende pour « diffusion d’image ou de renseignement sur l’identité d’une victime d’agression ou d’atteinte sexuelles sans son accord écrit. ».

Les moyens tirés de l’inconstitutionnalité de l’article 39 quinquies précité étant devenus sans objet à la suite du refus de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, il revenait à la Chambre criminelle d’examiner deux moyens qui confèrent à l’arrêt ici commenté tout son intérêt :

  • en premier lieu, il était reproché à l’arrêt d’appel d’avoir donné un sens inexact au terme « victime » ; l’auteur du pourvoi estimant que ledit terme « s’entend, au sens de l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 qui est d’interprétation stricte, d’une personne reconnue comme telle, après condamnation de l’auteur de l’infraction ».

La réponse de la Chambre criminelle est claire :

« 8. Pour écarter le moyen selon lequel Mme [O] ne pouvait être considérée comme victime d’agression sexuelle en l’absence de déclaration de culpabilité de M. [V] pour de tels faits, l’arrêt attaqué énonce que le terme de « victime » employé à l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 s’applique nécessairement à toute personne se présentant comme telle.

 9. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel a fait une exacte application des textes visés au moyen.

 10. En effet, le texte susvisé n’a pas entendu réserver sa protection aux seules victimes reconnues comme telles par décision définitive ayant prononcé la condamnation de l’auteur des faits.»

L’article 39 quinquies de la loi de 1881 bénéficie donc à toute personne qui se considère ou se présente comme victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles.

  • en second lieu, la Chambre criminelle rappelle que, dans le cadre d’un contrôle classique mettant en balance deux droits de même valeur normative, à savoir, la liberté d’expression (art. 10 § 2 de la CEDH) et le droit au respect de la vie privée (art. 8 de la CEDH), il « appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits».

Or, était soulevée devant la Cour de cassation, la violation par la Cour d’appel de l’article 10 de la CEDH pour avoir condamné le prévenu alors que l’identité de la partie civile « constituée dans une information suivie contre M. [V] du chef de viol, avait déjà été diffusée dans différents médias et qu’elle avait elle-même contribué à la diffusion de son image et à son identification, a déclaré le prévenu coupable d’avoir postérieurement diffusé ces mêmes renseignements et de s’être rendu complice d’une telle diffusion ».

Après avoir précisé que, dans la recherche de l’équilibre entre la liberté d’expression et le droit au respect à la vie privée, « le juge doit examiner si la diffusion de l’identité de la victime d’infraction sexuelle contribue à un débat d’intérêt général, tenant compte de l’éventuelle notoriété de la personne visée et de son comportement avant la diffusion, de l’objet de cette dernière, son contenu, sa forme et ses répercussions », la Chambre criminelle apporte, en deux temps, une réponse tout aussi définitive que celle donnée au premier moyen soulevé :

  • d’abord, en soutenant la motivation de la Cour d’appel aux termes de laquelle il est jugé que le fait pour la victime d’avoir contribué à son identification est sans incidence sur l’application de l’article 39 quinquies de la loi sur la liberté de la presse:

« En l’espèce, pour déclarer M. [V] coupable, infirmer le jugement sur la peine et le condamner à 1 000 euros d’amende, l’arrêt attaqué énonce en substance, par motifs propres et adoptés, qu’il importe peu que l’identité de la victime ait déjà été révélée ou que celle-ci ait contribué à son identification, l’article 39 quinquies de la loi précitée visant la seule diffusion d’informations concernant l’identité d’une victime. »

  • ensuite, en jugeant que la publication de l’identité de la victime « dans un ouvrage ainsi que dans deux autres médias, sans avoir recueilli son accord écrit» ne « contribuait pas à un débat d’intérêt général ».

Alors que la parole des victimes d’agression ou d’atteinte sexuelles s’est désormais libérée, la prise de position de la Chambre criminelle doit être saluée en ce que sa décision confirme le bénéfice de la protection définie à l’article 39 quinquies de la loi de 1881 à toute personne qui se considère victime de tels faits. On n’aurait pas compris qu’il puisse en être autrement sauf à permettre la diffusion de l’identité des victimes tant que l’auteur des faits n’a pas été condamné définitivement ; c’est-à-dire, potentiellement, pendant de nombreuses années.

De la même manière, si la sanction prononcée doit nécessairement être « proportionnée à l’ingérence dans la liberté d’expression du prévenu, au regard des circonstances particulières de l’affaire (CEDH [GC], arrêt du 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne, n°39954/08) », le rôle de la victime dans l’éventuelle révélation de son nom ou sa contribution à son identification ne doivent pas neutraliser l’exigence de son accord écrit pour toute diffusion ultérieure de son identité.

 

[1] Cass. Crim., 10 août 2022, n° 22-81.057.

Liberté d’expression en campagne électorale : tolérance confirmée

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Dans un arrêt du 24 janvier 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est revenue sur une thématique classique mais dont il apparaît toujours nécessaire de rappeler les grands principes : la liberté d’expression en campagne électorale.

Dans un reportage diffusé dans le journal télévisé de France 3 à l’occasion des élections municipales de 2020, un candidat figurant sur une liste d’opposition y avait évoqué l’intérêt pour un adjoint au maire, chargé de l’urbanisme, d’urbaniser des terrains pour y permettre la construction d’un lotissement ; terrains pour partie détenus par ledit adjoint.

Pour mieux comprendre le contexte de la prise de parole de ce membre de la liste d’opposition, la Chambre criminelle précise que « Ce propos a fait suite à une controverse évoquée dans la presse locale les 13 et 14 janvier précédents, faisant état d’une éventuelle prise illégale d’intérêts (…) ».

Condamné pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, sur renvoi après cassation, par la Cour d’appel de Lyon, le candidat d’opposition auteur des propos litigieux invoque au soutien de son pourvoi une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme ; les juges d’appel lui ayant refusé le bénéfice de la bonne foi.

Si les propos en cause étaient bien attentatoires à l’honneur et à la considération de l’adjoint à l’urbanisme, la Chambre criminelle juge que la Cour d’appel a mal apprécié les critères habituellement appliqués pour déterminer l’existence ou l’absence de bonne foi :

« Après avoir relevé, à juste titre, le caractère attentatoire à l’honneur et à la considération des propos tenus par M. [C] vis-à-vis de M. [H], l’arrêt, pour refuser au premier le bénéfice de la bonne foi, fait valoir que la déclaration de celui-ci constitue une attaque personnelle, sans mesure ni prudence, qu’elle ne poursuit pas un but légitime compte tenu de son caractère excessif et qu’elle ne repose sur aucune base factuelle dès lors que M. [H] n’a pas participé aux votes du projet débattu. »

Pour la Chambre criminelle :

  • d’une part, il était bien légitime de s’interroger sur l’implication de l’adjoint au maire dans le projet de lotissement dès lors qu’il était propriétaire d’une partie de ceux sur lesquels le projet devait être réalisé ;
  • d’autre part, la base factuelle du propos se déduisait également de qualité de propriétaire, de l’adjoint au maire, des terrains d’assiette du lotissement.

Plus encore, les propos de l’opposant « politique » au maire, certes attentatoires à l’honneur et à la considération de l’adjoint chargé de l’urbanisme, auraient dû être appréciés par la Cour d’appel sous le prisme particulier de la tolérance applicable au « discours politique ».

Ainsi que la rappelle la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans son guide dédié à l’article 10 de la Convention :

« il est de jurisprudence constante que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général (Castells c. Espagne[1], § 43 ; Wingrove c. Royaume-Uni[2], § 58) »[3]

C’est la raison pour laquelle la Chambre criminelle juge que, dans le contexte d’une campagne électorale, le propos tenu par un candidat d’opposition à la suite d’une polémique sur un projet de lotissement : « n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique ».

Le personnel politique étant par nature exposé à la critique, la tolérance à l’égard des propos tenus par leurs adversaires est, et c’est ce que rappelle la Cour de cassation, par principe, grande. Elle l’est d’autant plus en période électorale.

[1] CEDH, 23 avril 1992, req. n° 11798/85.

[2] CEDH, 25 novembre 1996, req. n° 17419/90.

[3] Voir également CEDH, 11 avril 2006, Brasilier c. France, n° 71343/01, § 41 :

« En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (arrêts Lingens, précité, p. 26, § 42 ; Incal c. Turquie, 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1567, § 54 ; Feldek c. Slovaquie, no 29032/95, § 74, CEDH 2001-VIII). Il est fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique. La Cour accorde la plus haute importance à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique et considère qu’on ne saurait restreindre le discours politique sans raisons impérieuses. Y permettre de larges restrictions dans tel ou tel cas affecterait sans nul doute le respect de la liberté d’expression en général dans l’Etat concerné (Feldek, précité, § 83). »

Le refus de répondre aux questions d’un journaliste ne fait pas obstacle à ce que soit ordonnée la publication d’un droit de réponse

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Dans un arrêt[1] rendu le 17 janvier 2023, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH, 17 janvier 2023, Axel SPRINGER SE c. Allemagne, aff. n° 8964/18) apporte quelques précisions utiles quant aux conditions relatives à une obligation d’insertion d’un droit de réponse.

Dans cette affaire, le journal allemand Die Welt avait refusé de publier un droit de réponse sollicité à la suite d’un article relatif aux liens d’une responsable politique avec la Stasi, la police politique de l’ex-RDA.

Alors que la demande d’injonction de publier le droit de réponse avait été rejetée en première instance, la Cour d’appel de Berlin ordonna la publication du droit de réponse.

Une telle injonction constituant une atteinte à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, la CEDH, comme elle en a désormais l’habitude, a cherché à déterminer si cette « ingérence » était ou non « nécessaire dans une société démocratique ».

L’obligation d’insertion d’un droit de réponse : un élément normal du cadre juridique régissant la liberté d’expression mais qui doit être justifié par des circonstances exceptionnelles

Si, compte tenu du caractère essentiel du rôle joué par la presse dans une société démocratique, les journaux et autres médias doivent disposer d’une liberté éditoriale leur permettant d’apprécier si tel ou tel article, commentaire ou écrit, doit être ou non publié, il demeure que la Cour a déjà jugé qu’une disposition légale obligeant l’insertion d’une réponse « peut être considérée comme un élément normal du cadre juridique régissant l’exercice de la liberté d’expression par les médias »[2] (CEDH, 3 avril 2012, Kaperzyński c. Pologne, aff. n° 43206/07, § 66 ; CEDH, 8 mars 2016, Rusu c. Roumanie, aff.  n° 25721/04, § 25 ; CEDH ; 28 mars 2017, Marunić c. Croatie, aff. n° 51706/11, §§ 50 et 54).

Le droit de réponse est ainsi considéré comme le moyen de « se protéger contre certaines déclarations ou opinions diffusées par les médias et susceptibles de porter atteinte à sa vie privée, à son honneur ou à sa dignité » ; il a ainsi pour « objectif premier » de « permettre aux individus de contester les fausses informations publiées à leur sujet dans la presse » (voir CEDH, 8 septembre 2020, Gülen c. Turquie, aff. n° 38179/16, 38384/16, 38389/16, 38394/16, 38400/16, 38410/16, § 66)[3].

Une telle obligation se doit, cependant, d’être justifiée par des circonstances exceptionnelles.

Pour procéder à l’examen de la nécessité de l’ingérence, la Cour va prendre en compte « l’objet, le contenu, la durée et le moment de la rectification » et ainsi étudier successivement la question de l’intérêt légitime[4] puis de la proportionnalité[5] du droit de réponse.

La CEDH prend par ailleurs le soin d’ajouter que si la critique est plus largement admissible à l’endroit des personnalités politiques, il demeure que cette plus grande tolérance n’a pas pour conséquence d’accepter les « inexactitudes factuelles ».

Le refus de répondre aux questions d’un journaliste préalablement à la publication d’un article ne peut fonder celui de publier un droit de réponse

Sans revenir ici sur l’intégralité de l’analyse, classique au cas d’espèce[6], de la nécessité de l’ingérence par la Cour, son contrôle de l’intérêt légitime du droit de réponse mérite l’attention.

En effet, selon la société requérante – éditrice du média concerné -, les juridictions internes auraient dû rejeter la demande de droit de réponse de la personne évoquée dans l’article en raison de son refus de répondre aux questions des journalistes :

« En outre, la société requérante a fait valoir que le comportement de K. avant la publication de l’article litigieux n’avait pas été correctement pris en compte. Il aurait été simple pour K. de répondre à la question de la société requérante concernant la durée de son mandat de présidente de l' » Association des amis de la ND « , puisque cette information ne l’incriminait en aucune façon et n’était pas accessible au public. Toutefois, comme elle avait choisi de ne pas communiquer cette information à la société requérante (voir paragraphe 7 ci-dessus), elle n’aurait pas pu légitimement demander une rectification à cet égard. »

C’est sur ce point précis que la réponse de la Cour mérite l’attention :

◼ en premier lieu, la Cour rappelle que « le comportement d’une personne avant la publication ne réduit son  » espérance légitime  » concernant la protection effective de sa vie privée que dans des circonstances spécifiques (voir Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no. 39954/08, § 101, 7 février 2012, …). Habituellement, une telle conséquence nécessitera que la personne concernée ait elle-même cherché à être sous les feux de la rampe (ibidem) ou résultera de ses propres actions illicites – comme, par exemple, la commission d’une infraction pénale (voir Mikolajová c. Slovaquie, no 4479/03, § 57, 18 janvier 2011).» ;

◼  en second lieu, les juges de Strasbourg précisent qu’avoir sollicité des réponses préalablement à la publication d’un article est sans incidence sur la légitimité du droit de réponse :

« La Cour observe par ailleurs que si les organes de presse sont tenus de rendre compte de bonne foi afin de fournir des informations  » fiables et précises  » conformément à la déontologie journalistique (voir Axel Springer AG, précité, § 93) et doivent donc donner à la personne concernée la possibilité de se défendre, le fait que les allégations litigieuses aient été communiquées ne confère pas une liberté illimitée de publier des allégations non vérifiées. Elle n’exclut pas non plus le droit de réponse de la personne concernée afin de corriger des faits prétendument inexacts. Dès lors, et compte tenu du fait que l’argument de la société requérante ne porte pas sur un quelconque comportement illicite de la part de K. avant la publication de l’article litigieux, son refus de répondre aux questions de la société requérante ne saurait servir d’argument pour limiter son droit à une rectification des faits inexacts. »

On retiendra donc, et le rappel n’est pas inutile, que :

◼ d’abord, ordonner la publication d’un droit de réponse ne méconnaît pas, par son caractère forcé, la liberté d’expression ;

◼ ensuite, refuser de répondre aux questions d’un journaliste avant la publication d’un article, doit demeurer sans effet sur l’appréciation de l’intérêt légitime à solliciter la publication d’un droit de réponse.

 

[1] Qui, selon la formule consacrée de la Cour, deviendra définitif dans les conditions fixées à l’article 44 § 2 de la Convention :

« L’arrêt d’une Chambre devient définitif : a lorsque les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre; ou b trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé; ou c lorsque le collège de la Grande Chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de l’article 43. »

[2] Traduction libre, l’arrêt ici commenté n’étant à ce jour disponible qu’en anglais.

[3] La CEDH fait également référence à la résolution 26 du Comité des ministres du 2 juillet 1974 « sur le droit de réponse – situation de l’individu à l’égard de la presse », dont l’annexe, intitulée « REGLES MINIMALES RELATIVES AU DROIT DE REPONSE A LA PRESSE, A LA RADIO, A LA TELEVISION ET A L’EGAR D D’AUTRES MOYENS DE COMMUNICATION A CARACTER E PERIODIQUE », précise en son point 1 que :

« Toute personne physique ou morale, ainsi que toute autre entité sans considération de nationalité ou de résidence, désignée dans un journal, un écrit périodique, dans une émission de radio ou de télévision, ou par tout autre moyen de communication à caractère périodique, et au sujet de laquelle des informations contenant des faits qu’elle prétend inexacts ont été rendus accessibles au public, peut exercer le droit de réponse afin de corriger les faits la concernant ».

[4] « en raison du contenu et de la diffusion de la déclaration litigieuse ; l’existence d’un lien suffisant entre la rectification et la déclaration litigieuse ».

[5] « au regard de son contenu et de sa longueur, le moment de la rectification et tout délai entre la publication de l’article et le dépôt de la demande de rectification ».

[6] Avant son examen de la présente affaire, la CEDH rappelle que : « Dans des affaires comme la présente, qui nécessitent de mettre en balance le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression, la Cour estime que l’issue de la requête ne devrait pas, en théorie, varier selon qu’elle a été introduite devant la Cour sur le fondement de l’article 8 de la Convention par la personne ayant fait l’objet du reportage, ou sur celui de l’article 10 par l’éditeur. En effet, par principe, ces droits méritent un respect égal. » (§ 37)

Engagement de la responsabilité de l’hébergeur d’un site espagnol proposant une entremise en matière de GPA

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L’article 6.I.2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique définit les conditions dans lesquelles l’hébergeur d’un site internet est susceptible de voir sa responsabilité civile engagée :

« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

L’alinéa précédent ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa. »

L’arrêt rendu par la Chambre civile de la Cour de cassation le 23 novembre 2022[1] permet de rappeler qu’est illicite, notamment, le contenu d’un site internet étranger qui propose à des clients français des prestations qui sont interdites sur le territoire national et pénalement sanctionnées.

En l’espèce, un site espagnol hébergé sur les serveurs d’une société française proposait de mettre en relation (activité d’entremise) des clients français avec des mères-porteuses.

Alors que la gestion pour autrui (GPA) est prohibée tant par l’article 227-12 du Code pénal que par l’article 16-7 du Code civil, l’hébergeur soulevait à l’appui de son pourvoi que le contenu du site internet n’était pas manifestement illicite et était insusceptible de créer un dommage sur le territoire national, dès lors que, d’une part, la GPA « fait l’objet de débats et d’opinions juridiques très différentes selon les pays », d’autre part, ledit « site internet créé et développé en Espagne où la gestation pour autrui est licite, par une société de droit espagnol qui ne propose des prestations d’accompagnement à la gestation pour autrui que dans les pays où la maternité de substitution est légale, de sorte que quand bien même le contenu de ce site serait accessible au public français, aucune activité interdite par le droit français n’est effectivement exercée en France ».

Tel n’est pas l’avis de la Chambre civile de la Cour de cassation qui estime que le public français était incontestablement ciblé par le site internet ; lequel proposait ainsi une prestation illicite sur le territoire national :

« 8. Ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que les informations contenues sur le site internet de la société espagnole étaient accessibles en français, que la société X y affirmait travailler avec des clients de quatre pays dont la France et que le public français était la cible du site, la cour d’appel en a exactement déduit que le site internet litigieux était manifestement illicite en ce qu’il contrevenait explicitement aux dispositions, dépourvues d’ambiguïté, du droit français prohibant la GPA et qu’il avait vocation à permettre à des ressortissants français d’avoir accès à une pratique illicite en France.

9. Elle a ainsi caractérisé l’existence d’un dommage subi par l’association sur le territoire français au regard de la loi s’y appliquant et justement retenu que la société Y [l’hébergeur], qui n’avait pas promptement réagi pour rendre inaccessible en France le site litigieux, avait manqué aux obligations prévues à l’article 6. I. 2, de la loi du 21 juin 2004.»

Aussi, peu importe qu’une activité ou une prestation soit licite sur un territoire étranger, dès lors que le contenu proposé est accessible au public français (traduit en français), l’illicéité de ladite activité ou prestation sur le territoire national suppose que l’hébergeur alerté agisse promptement pour retirer les données litigieuses ou en rendre l’accès impossible.

A défaut, sa responsabilité civile est susceptible d’être engagée.

[1] Cass. Civ. 1ère, 23 novembre 2022, n° 21-10.220.

Exploitation de données issues d’un piratage par des journalistes : pas d’interdiction de publications futures en cas de dommage incertain … mais pas de « procédure bâillon » non plus

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L’ordonnance du 6 octobre 2022 (n°2022R00834) du Tribunal de commerce de Nanterre avait fait grand bruit.

Par cette décision, le juge des référés avait ordonné à une société éditrice d’un journal en ligne de ne plus publier de nouvelles informations issues du piratage[1] du réseau informatique de plusieurs sociétés d’un groupe présent dans les médias audiovisuels et la fourniture d’accès à internet à la téléphonie.

Dans une précédente news, nous avions attiré l’attention du lecteur sur l’ampleur de cette interdiction « générale et indifférenciée » de publication des informations issues de ce piratage et non des seules qui relèveraient du secret des affaires.

Par un arrêt du 19 janvier 2023, la Cour d’appel de Versailles[2] vient de statuer sur l’appel interjeté par la société éditrice du journal en ligne.

Le contrôle de la recevabilité de prétentions nouvelles en appel

Avant de se statuer sur l’appel proprement dit, la Cour s’est prononcée sur la recevabilité des prétentions nouvelles formulées par les sociétés intimées ainsi que de certaines pièces[3] communiquées.

En effet, dans le cadre de leur appel incident, lesdites sociétés ont ajouté à leurs prétentions de première instance, la suppression d’articles publiés postérieurement au 21 septembre 2022, date à laquelle leur assignation a été délivrée à l’éditeur du site internet.

Considérant qu’il s’agissait de prétentions nouvelles en appel, ledit éditeur, société appelante, conclut à leur irrecevabilité.

Pourtant les juges d’appel n’ont pas retenu cette fin de non-recevoir aux motifs que, si les demandes relatives aux articles postérieurs au 21 septembre 2022 sont matériellement nouvelles, lesdits articles sont suspectés « d’exploiter les mêmes données piratées que ceux visés par les mesures demandées au premier juges ».

La Cour d’appel en déduit :

  • d’une part, « que ces prétentions nouvelles « tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge» ».

Or, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 565 du Code de procédure civile :

« [l]es prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent » ;

  • d’autre part, que la demande de suppression des articles publiés après la date de l’assignation est destinée « à mettre un terme au trouble manifestement illicite ou aux dommages imminents allégués, et en sont « le complément nécessaire »» au sens de l’article 566 du code précité, lequel dispose que :

« « [l]es parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ». »

Dit autrement, si ces prétentions sont bien « nouvelles » puisque formulées pour la première fois en appel, elles n’en encourent pas pour autant l’irrecevabilité qui s’attache d’ordinaire à ce type de demandes dans la mesure où elles ne sont pas détachables de celles de première instance.

La nécessité de distinguer le dommage résultant du piratage et celui lié à la publication de nouveaux articles

Ainsi que le rappelle la Cour, qui ici statue en juge des référés, dès lors que l’exception d’incompétence du tribunal de commerce n’a pas été soulevée, c’est au regard des dispositions de l’article 873 du Code de procédure civile qu’elle doit se prononcer :

« Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

 Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Si, de la même manière que le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre, la Cour d’appel de Versailles ne retient pas le trouble manifestement illicite, elle décide d’infirmer l’ordonnance de première instance sur le dommage imminent ; lequel avait fondé la décision d’interdiction de publications futures.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a opéré un contrôle de l’existence du dommage selon les principes suivants :

« Au sens de l’article 873 précité, le dommage imminent dont la preuve de l’existence incombe à celui qui l’invoque, s’entend du “dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer”.

Il s’ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué, et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, l’imminence d’un dommage ou d’un préjudice sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, un dommage purement éventuel ne pouvant être retenu pour fonder l’intervention du juge des référés. La constatation de l’imminence du dommage suffit à caractériser l’urgence afin d’en éviter les effets.

À nouveau, le juge des référés ne peut prononcer que les mesures conservatoires strictement nécessaires pour préserver les droits d’une partie.

La question que la cour doit trancher est celle de savoir si Y justifie, au regard des éléments de preuve qu’elle apporte du comportement de [la société éditrice du journal en ligne], de “l’existence d’un dommage ou d’un préjudice sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines”. »

Alors que la Cour énonce que le dommage résultant du piratage, de la menace de publication des données et de l’exécution de celle-ci, est imputable au groupe de hackers, elle constate cependant que :

« l’interdiction de nouvelles publications ou/et la suppression des articles mis en ligne par [la société éditrice du journal en ligne] n’y mettra pas fin puisque les données sont toujours accessibles sur internet, ce qui n’est pas contesté, peu importe que ce soit sur le darkweb. »

Dit autrement, un premier obstacle à la suppression des articles déjà publiés et à l’interdiction de publications futures tient au fait que :

« La pression exercée sur Y qui l’amènerait éventuellement à payer la rançon n’a donc pas pour unique origine les publications litigieuses par [l’éditeur du journal en ligne]»

Le second obstacle, affirment les juges d’appel, réside dans l’absence de certitude du préjudice imputable à la société éditrice et allégué par les sociétés intimées ; c’est-à-dire celui :

« qui ne manquerait pas de se réaliser en cas de nouvelles publications par [la société éditrice du journal en ligne] qui exploiteraient ou qui donneraient à voir d’autres données piratées. »

Après avoir relevé que « d’autres journaux » ont relayé la publication par les pirates des données en cause et que, partant, « les journalistes [du journal en ligne concerné ayant relayé] une information déjà rendue publique », « il leur est donc reproché de l’amplifier, au même titre que d’autres journaux », la Cour d’appel précise que « Le caractère certain de la menace de publication doit être démontré ».

Or, la Cour d’appel estime que l’analyse des pièces au soutien de cette démonstration ne permet pas d’établir le caractère certain du dommage.

Plus précisément, l’analyse d’une interview du cofondateur et rédacteur du journal en ligne ne permet pas de conclure à la certitude d’un dommage en cas de nouvelles publications :

« La pièce 59 est un article publié par le journal Libération qui rapporte une interview de M. (…), cofondateur et rédacteur [du journal en ligne] sur notamment l’ampleur de la fuite de données : “est-ce qu’on a réussi à les quantifier ? Non. Mais c’est suffisamment gros pour que depuis le 25 août on n’ait pas fait le tour des documents. Et on est deux et demi à travailler 10 heures par jour dessus”. Rien n’est dit cependant sur la publication de nouveaux articles et surtout la nature de leur contenu. L’hypothèse selon laquelle une telle quantité de travail doit aboutir à un résultat qui serait préjudiciable à l’intimée en augmentant la pression qu’elle subirait, si elle est probable, n’est donc pas certaine. »

En outre, même si un nouvel article « relatif aux montages financiers du groupe au Panama dans son dossier « Y au pays des pirates » » a été annoncé par le journal en ligne, l’impossibilité de vérifier à ce stade le contenu dudit dossier rend, là encore, incertain le trouble qui pourrait être causé :

« Dans ces conditions, la certitude du trouble au regard du caractère hypothétique du contenu, n’est pas démontrée. L’imminence du dommage allégué n’est pas établie.

La question est au surplus de savoir si une menace de publication est dommageable. S’agissant d’articles supposés être dans la lignée des précédents, la force du trouble allégué sera jugée insuffisante face à la nécessité de préserver la liberté d’expression.

L’ordonnance rendue le 6 octobre 2022 attaquée sera donc infirmée en ce qu’elle a jugé sur le dommage imminent et en ce qu’elle a ordonné à la société [éditrice] de ne pas publier sur le site de son journal en ligne “…” sur le site “…” de nouvelles informations. Il sera dit n’y avoir lieu à référé sur les prétentions des sociétés intimées. »

Une procédure « bâillon » ? L’action engagée par les sociétés victimes du piratage n’est pas jugée abusive

Dans ses écritures, la société appelante qualifiait la procédure initiée à son encontre de « procédure bâillon » et rappelait les « projets de directive européenne et de recommandation du Conseil de l’Europe visant à lutter contre » ces procédures. L’appelante considérait, notamment :

« qu’Y en saisissant dans le cadre d’une action “vindicative” et sans véritable fondement, le tribunal de commerce pour protéger les intérêts en réalité de M. X, a voulu contourner les règles protectrices de la liberté d’expression et de la liberté d’information pour solliciter des mesures qui violent ces principes fondamentaux. »

La société éditrice du journal en ligne, comme le syndicat de journalistes intervenu volontairement, sollicitaient ainsi le paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile, lequel dispose que :

« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »

Si le thème des « procédures bâillons » est dans l’air du temps, la Cour n’a toutefois pas jugé la procédure initiée devant le Tribunal de commerce comme abusive et ce pour plusieurs raisons :

  • d’abord, alors qu’il en avait la possibilité, l’éditeur du journal en ligne n’a pas débattu la compétence du Tribunal de commerce en première instance ; difficile, dès lors, de conclure à un éventuel détournement de procédure du seul fait de la voie procédurale choisie par le groupe de sociétés victimes du piratage ;

 

  • ensuite, la Cour d’appel juge qu’il ne saurait y avoir lieu à condamnation à une amende civile dès lors qu’aucun n’abus de droit n’est constaté en l’espèce ; les juges d’appel insistant sur la différence entre l’abus de droit et la mauvaise appréciation de ses droits par la partie ayant introduit l’instance :

« L’amende civile prévue par l’article 32-1 du code de procédure civile, est une sanction qui suppose aussi qu’un abus de droit ait été commis, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, une mauvaise appréciation de ses droits par Y n’étant pas constitutive d’abus, de sorte que la demande présentée à ce titre par le SNJ sera rejetée, comme sa demande indemnitaire. Il sera ajouté à l’ordonnance querellée comme il sera dit au dispositif. »

Si cette décision est incontestablement protectrice de la liberté d’expression et du travail des journalistes, on relèvera donc qu’elle laisse ouverte la voie à la contestation de l’utilisation de données piratées en ne jugeant pas la procédure abusive.

Notons également que la décision rendue par la Cour d’appel est en référé ; la solution au fond méritera tout autant notre attention.

[1] Dont on vient d’apprendre le démantèlement par les autorités américaines (Cybersécurité : les autorités américaines annoncent le démantèlement de Hive, un rançongiciel aux plus de 1 500 victimes (francetvinfo.fr))

[2] CA Versailles, 19 janvier 2023, n° 22/06176.

[3] Lesdites pièces avaient d’abord été produites en anglais mais comme, ensuite, elles ont été traduites – sans que cette traduction soit contestée – , la Cour d’appel de Versailles a pu les déclarer recevables.

Obtenir les données d’identification ? Bien sûr, c’est toujours possible !

By | Brèves juridiques

Est-il encore possible d’obtenir d’un juge civil les données d’identification de l’utilisateur d’un compte en ligne (réseau social, plateforme collaborative…) ?

Nous nous sommes déjà posés cette question[1] alors que le Cour d’appel de Paris venait de rendre une décision aux termes de laquelle elle jugeait, à la suite de la modification de l’article L34-1 du code des postes et des communications électroniques, que dans la mesure où « la conservation des données d’identification par les fournisseurs d’accès à internet et de services d’hébergement est désormais strictement encadrée aux seuls besoins des procédures pénales », il n’est possible de solliciter leur communication, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qu’à la condition de « démontrer l’existence d’un motif légitime suffisamment sérieux » (CA Paris, 27 avril 2022, n° 21/14958).

L’ordonnance de référé que vient de rendre le 21 décembre 2022 le Président du Tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile[2], permet de faire le point sur les moyens d’obtenir du juge civil les données d’identification[3] et, plus particulièrement, sur la condition du motif légitime.

Dans l’affaire et la décision ici commentées, une célèbre encyclopédie en ligne avait refusé d’exécuter une ordonnance sur requête rendue au visa de l’article 145 du code de procédure civile, par laquelle il lui avait été enjoint de communiquer les données d’identification d’un de ses utilisateurs qui aurait gravement dénigré une société et son dirigeant.

Le juge des référés rappelle, d’abord, quels sont son office et sa compétence dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile :

« La juridiction des référés, saisie en application de l’article 145, dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier si le demandeur justifie d’un motif légitime et n’a pas à rechercher s’il y a urgence. Elle doit vérifier si le procès en germe allégué par le demandeur n’est pas manifestement voué à l’échec.

Sont légalement admissibles, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il lui incombe de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. »

Ensuite, pour déterminer si les mesures d’instruction sollicitées sont légalement admissibles, le Président du Tribunal judiciaire de Paris rappelle les dispositions de l’article L.34-1 du Code des postes et télécommunication :

« Selon l’article L34-1 du code des postes et communications électroniques, les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver, pour les besoins notamment des procédures pénales, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur jusqu’à l’expiration d’un délai de 5 ans à compter de la fin de validité de son contrat, et les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la création d’un compte, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la clôture de son compte. »

Le corollaire de cette obligation de conservation des « informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur » et de celles fournies lors de la création de son compte est la possibilité de solliciter la communication desdites informations ; laquelle peut être une mesure d’instruction légalement admissible dès lors qu’elle est nécessaire pour l’engagement d’une procédure pénale ; ce qui était bien le cas en l’espèce puisqu’était évoquée à l’appui de la demande une procédure pour cyberharcèlement[4].

Enfin, opérant son contrôle de la légitimité du motif de la demande, le juge des référés estime :

  • en premier lieu, que, d’une part, l’action en concurrence déloyale – qu’il requalifie en dénigrement – , d’autre part, celle pour cyberharcèlement, ne sont pas, au vu des faits de l’espèce, manifestement vouées à l’échec :

« La page wikipedia relative à Monsieur X., créée le 12 octobre 2021 par l’utilisateur S., mentionne des éléments tels que : « il triche à son bac, avec des oreillettes et une antisèche », « il est un cousin du réalisateur antisémite X », « il est un cousin de l’écrivain pédophile Y », soit des informations au contenu manifestement malveillant et ciblé, tant sur sa vie professionnelle que sur sa vie privée. »

  • en second lieu, que :

« Le seul fait que le procureur ait l’opportunité des poursuites, comme le soutient la société Wikimedia Foundation Inc, ne saurait suffire à rendre illicite la mesure d’instruction sollicitée, qui vise à identifier l’auteur de ces actes. »

Le compte litigieux ayant été fermé en mars 2022, la défenderesse était donc tenue de conserver les données d’identification et doit, le motif étant légitime, les communiquer aux requérants.

Est-il donc toujours possible de demander la communication des données d’identification devant un juge civil ? La réponse est naturellement positive et on peut même aller plus loin.

S’il est désormais exigé, pour que le motif de la mesure d’instruction soit considéré comme légitime, que la communication soit sollicitée dans la perspective de l’engagement d’une procédure pénale qui ne serait pas vouée à l’échec, on comprend de l’ordonnance ici commentée que rien n’empêche le demandeur de s’appuyer sur les données d’identification obtenues pour exercer également une procédure civile.

 

[1] On sait également les nombreux débats sur la conservation et l’accès aux données de connexion (voir nos différentes news sur le sujet ici ou ).

[2] L’article 145 du Code de procédure civile permet toujours que des mesures d’instruction soient ordonnées sur requête ou en référé :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

[3] Lesquelles doivent être distinguées des données dites « techniques », c’est-à-dire celles mentionnées aux 3° du II bis de l’article L.34-1 du code des postes et communications électroniques, ou les données de trafic et de localisation mentionnées au III du même article L.34-1. Cf. notre news du 7 décembre 2022.

[4] Le cyberharcèlement est une forme de harcèlement moral défini et réprimé par l’article 222-33-2-2 du Code pénal.

Délit de diffamation et d’injure envers la mémoire des morts : des conditions strictes protectrices du travail des journalistes

By | Brèves juridiques

Les célèbres affaires judiciaires sont d’inépuisables sujets de reportages ou d’émissions télévisées.

Parmi celles qui intéressent tout particulièrement le public, on compte naturellement les dossiers criminels non encore résolus.

L’un d’eux a été évoqué, parmi d’autres, dans le cadre d’un reportage sur France 2 diffusé en 2018 et intitulé « Corbeaux, les lettres de la honte » dans lequel une experte revenait sur l’analyse de dictées qui, selon elle, permettait d’identifier le « corbeau » de l’affaire dite du « petit [G] ».

Aujourd’hui décédée, la veuve et les enfants de la personne mentionnée par l’experte interviewée ont assigné France Télévision et sa directrice de la publication en réparation du préjudice moral qu’ils estimaient avoir subi en raison des propos tirés du reportage litigieux.

Saisi de l’appel contre un jugement du 13 octobre 2020 par lequel le Tribunal judiciaire de Versailles avait condamné le média et sa directrice de la publication pour diffamation publique et accordé une indemnisation du préjudice moral invoqué par les plaignants, la Cour d’appel de Versailles vient, dans un arrêt du 10 janvier 2023[1], d’infirmer le jugement de première instance.

Cet arrêt nous offre l’opportunité de revenir sur les conditions requises pour que soit constitué le délit de diffamation ou d’injure envers la mémoire des morts, tel qu’il est défini par l’article 34 de la loi 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lequel dispose que :

« Les articles 31, 32 et 33 ne seront applicables aux diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts que dans le cas où les auteurs de ces diffamations ou injures auraient eu l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants.

Que les auteurs des diffamations ou injures aient eu ou non l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants, ceux-ci pourront user, dans les deux cas, du droit de réponse prévu par l’article 13. »

La Cour d’appel de Versailles rappelle le « fonctionnement de ce mécanisme « à double détente » » que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a défini dans des décisions qui remontent à 1948 et 1956 ou, plus récemment, dans un arrêt du 15 mars 2011 ; cette dernière décision ayant permis à la Haute juridiction judiciaire d’insister sur la nécessité de démontrer l’intention de l’auteur des propos incriminés de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires encore vivants.

Opérant la synthèse de la jurisprudence de la Cour de cassation, la Cour d’appel de Versailles énonce que :

« Pour que le délit de diffamation ou d’injure envers la mémoire des morts soit constitué, il est nécessaire que le propos incriminé constitue une diffamation ou une injure à l’égard du défunt, et que l’auteur des propos ait eu l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants. La loi exige ici un « dol spécial ».

La chambre criminelle de la cour de cassation a précisé le fonctionnement de ce mécanisme « à double détente » : pour que la diffamation dirigée contre la mémoire des morts constitue un délit, il n’est pas nécessaire que les propos incriminés contiennent l’imputation de faits précis et déterminés contre les héritiers, il suffit que la diffamation envers les morts ait été commise avec intention de nuire aux héritiers des personnes décédées (Cass. crim., 9 janvier 1948, Bull. n°9 ; 29 avril 1897, Bull n°146).

En outre, si la diffamation envers la mémoire des morts suppose une atteinte à l’honneur et à la considération, elle n’exige pas que l’héritier y soit formellement désigné (Crim 28 février 1956 Bull 206).

Toutefois, dans un arrêt du 15 mars 2011 (pourvoi n°10. 281-216), la chambre criminelle a rejeté un pourvoi à l’encontre d’un arrêt d’appel qui avait retenu, en particulier que l’héritier poursuivant n’était pas désigné, qu’aucune allusion n’était faite à sa personne et que la preuve d’une volonté de porter atteinte aux héritiers n’était pas rapportée, la Cour de cassation ayant estimé que la cour d’appel avait justifié sa décision en particulier parce que l’intention de l’auteur de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires encore vivants exigée par l’article 34 de la loi du 29 juillet 1881 n’était pas établie. »

 Rapportés aux faits de l’espèce, les juges d’appel ont estimé que le délit n’était pas constitué dans la mesure où :

◼ d’abord, « le propos du reportage ne constitue pas une diffamation envers» le défunt. En effet :

en premier lieu, le « reportage lui-même ne désigne pas [V] [D] comme le corbeau de l’affaire [G]» ; seule l’experte interviewée exprimant sa conviction personnelle alors que « le début de la séquence du reportage consacré au corbeau de l’affaire [G] indique en introduction que le plus célèbre des corbeaux, celui de cette affaire, défie les enquêteurs depuis plus de 30 ans et reste introuvable. Ainsi, en dépit de l’opinion de Mme [Z]-[U], il ne peut être retenu que le reportage tient [V] [D] comme le corbeau de l’affaire, seule Mme [Z]-[Y] l’affirmant alors que le journaliste en voix off, immédiatement après les propos de l’intéressée, indique que si en 33 ans, trois personnes différentes ont été suspectées successivement d’être le corbeau, le mystère de son identité reste entier. » ;

◾ en deuxième lieu, l’opinion de l’experte n’est pas transformée ou érigée par le reportage en « vérité médiatique» ; ledit reportage, d’une part, informant les téléspectateurs qu’ « aux yeux de la justice [V] [D] ne sera jamais considéré comme l’auteur des lettres du corbeau », d’autre part, rappelant que « le mystère de l’identité du corbeau reste entier à ce jour » et donnant la parole à l’avocat de la famille de la victime qui indiquera que « s’il a cru longtemps que le corbeau était l’assassin de l’enfant, il ne le croit plus aujourd’hui. ».

Dit autrement, « [V] [D] » n’étant pas présenté comme l’assassin de l’enfant, son innocence n’est pas remise en cause. En outre, même l’experte interviewée précise qu’elle ne peut affirmer que celui qui, selon elle, est le corbeau, serait l’assassin. Dès lors, ses héritiers n’étant pas présentés comme ceux d’un assassin, ils ne sont pas diffamés par les propos tenus dans le reportage ;

◾ en troisième et dernier lieu, la Cour estime qu’il n’était pas illégitime pour les journalistes d’interviewer la première experte intervenue dans cette affaire dès lors que le sujet portait justement sur le « fiasco» des « expertises en écritures » ; le reportage indiquant :

 « qu’après l’annulation de l’expertise de Mme [Z]-[U], en 33 ans trois personnes différentes ont été successivement suspectées d’être le corbeau mais que pour l’instant le mystère de son identité reste entier, ce qui, selon la thèse du reportage révèle l’échec des expertises en écritures en l’espèce – « c’est le début d’un fiasco, celui des expertises en écritures » . «  – . Dans cette optique, il n’apparaît donc pas illégitime pour les journalistes, quand bien même son expertise a été annulée faute pour elle d’avoir été désignée par le juge d’instruction, d’avoir interrogé Mme [Z] – [U], puisque celle-ci désigne [V] [D] comme le corbeau alors que précisément, il sera innocenté ultérieurement, cette circonstance étant bien de nature à conforter l’incapacité en l’espèce des expertises en écriture à permettre l’identification de l’auteur des lettres anonymes de l’affaire [G].

Le sujet du reportage n’étant pas  » l’affaire [G] « mais les » corbeaux  » en général, la critique de ne pas avoir donné au spectateur toutes les informations nécessaires sur cette affaire est inopérante de même que les reproches faits par les consorts [D] au travail de Mme [Z]-[U]. »

Une telle motivation est volontairement protectrice de la liberté d’expression, voire éditoriale, des journalistes dont le propos n’est pas nécessairement diffamatoire lorsqu’ils font état d’une opinion – exprimée par un tiers – que des héritiers, époux ou légataires d’un défunt peuvent par ailleurs contester.

Il en va de même de la possibilité pour un journaliste d’évoquer le fait qu’une personne décédée a, un jour, été soupçonnée de tel ou tel délit, de tel ou tel crime. La Cour d’appel de Versailles considère sur ce point que :

« Il est un fait que [V] [D] a été à un moment soupçonné et disculpé ensuite. Rappeler ce fait constitue une information journalistique et ne peut en soi être considéré comme diffamatoire dès lors que le reportage prend bien le soin de préciser que [V] [D], aux yeux de la justice, ne sera jamais considéré comme le corbeau de l’affaire. Admettre la thèse inverse des consorts [D], contraire tant à la lettre qu’à l’esprit de l’article 34 de la loi du 29 juillet 1881, texte de nature pénale et donc d’interprétation stricte, reviendrait à interdire à la presse ne serait-ce que de mentionner ce fait que [V] [D] a été à un moment donné soupçonné d’être le corbeau de l’affaire, tout aussi objectif que le fait lui-même qu’il ait ensuite été disculpé, alors qu’une telle interdiction heurterait de manière frontale la liberté d’expression garantie tant par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen que par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la liberté de la presse garantie par cette même loi du 29 juillet 1881. »

◼ ensuite, « aucun des consorts [D] n’est cité dans le reportage qui est même dépourvu de toute allusion à leur endroit». Le défunt n’étant, en outre, pas présenté comme étant un assassin, l’intention des auteurs du reportage de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires encore vivants, n’est pas établie.

L’objectivité des faits judiciaires rappelés dans le reportage leur conférant la nature d’informations journalistiques, le débat posé sur l’efficacité des expertises graphologiques, l’absence de mention de l’identité des « héritiers, époux ou légataires encore vivants », ne permettent pas, selon la Cour d’appel de Versailles, de caractériser les éléments constitutifs du délit de diffamation envers la mémoire des morts.

On retiendra donc de cette affaire et de la motivation de la Cour, l’énoncé de certaines lignes directrices dont l’objectif est, tout à la fois, de protéger la mémoire des morts que de garantir la liberté d’expression.

 

[1] CA Versailles, 10 janvier 2023, n° 2°/05069

Diffamation publique envers un particulier : incompétence de la chambre de l’instruction pour se prononcer sur l’absence d’identification de la personne visée par les propos incriminés

By | Brèves juridiques

En matière de diffamation envers un particulier, outre l’appréciation du caractère diffamatoire des propos incriminés, la caractérisation de l’infraction dépend également de la possibilité d’identifier clairement la personne visée.

Dans un arrêt du 13 décembre 2022[1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue rappeler qui, de la chambre de l’instruction ou des juges du fond, est compétent pour se prononcer sur l’identification de la victime.

Dans l’affaire objet du pourvoi, une plainte avec constitution de partie civile avait été déposée par une personne qui estimait être visée par des propos diffamatoires figurant dans un livre.

N’étant pas cité nommément, le plaignant considérait pourtant que les informations et détails donnés dans le livre permettaient de l’identifier.

Le juge d’instruction auquel l’affaire avait été confiée a toutefois rendu une ordonnance de non-lieu au motif que « l’information judiciaire n’a pas permis de qualifier les termes employés comme relevant de la diffamation envers un particulier, la personne visée dans l’extrait ne pouvant être identifiée. ».

Sur appel de l’ordonnance de non-lieu par la partie civile, un supplément d’information a été ordonné par la chambre de l’instruction aux fins de « de procéder à l’interrogatoire de première comparution de M. [E] et d’envisager sa mise en examen du chef de diffamation publique » ; ce qui a abouti à la mise en examen de ce dernier et à un arrêt de dépôt.

Dans une motivation succincte mais claire, la Chambre criminelle[2] précise qu’une chambre de l’instruction ne dispose pas du pouvoir de se prononcer sur l’identification de la victime ; question qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond :

« C’est à tort que la chambre de l’instruction, saisie, sur le seul appel de la partie civile, d’une ordonnance de non-lieu fondée sur l’absence d’identification de la personne visée par les propos diffamatoires, s’est prononcée sur cette question pour infirmer l’ordonnance de non-lieu, alors que les éléments relatifs à l’identification de la victime relèvent du débat contradictoire et que, soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, ils échappent à la compétence de la juridiction d’instruction. »

Une occasion de rappeler le périmètre restreint de l’office de la juridiction d’instruction en matière de presse.

 

 

[1] Cass. Crim., 13 décembre 2022, n° 22-85.880.

[2] On notera, cependant, que l’arrêt par lequel la chambre de l’instruction a infirmé l’ordonnance de non-lieu n’est pas censuré au motif que le moyen soulevé au soutien du pourvoi est irrecevable :

« Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que le moyen, qui se borne à critiquer les énonciations de l’arrêt, relatives à l’identification de la personne visée par les propos diffamatoires, ne comportant aucune disposition que le tribunal saisi de la poursuite n’aurait pas le pouvoir de modifier, est irrecevable en application de l’article 574 du code de procédure pénale. ». L’article 574 du code de procédure pénale dispose que : « L’arrêt de la chambre de l’instruction portant renvoi du prévenu devant le tribunal correctionnel ou de police ne peut être attaqué devant la Cour de cassation que lorsqu’il statue, d’office ou sur déclinatoire des parties, sur la compétence ou qu’il présente des dispositions définitives que le tribunal, saisi de la prévention, n’a pas le pouvoir de modifier. ».

 

Lien hypertexte : nouvelle publication or not ? Cour d’appel de Douai, 3ème chambre, 30 juin 2022

By | Brèves juridiques

La Cour d’appel de Douai s’est distinguée, dans un arrêt du 30 juin 2022[1], par la qualité de sa motivation concernant la prescription trimestrielle en matière de presse issue, on le sait, de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881.

Dans cette espèce, trois publications étaient mises en cause, respectivement datées du 1er avril 2018, du 30 juillet 2018 et du 1er août 2018.

Un tweet renvoyant à la publication du 1er avril 2018 était également publié le 7 août 2018.

Les 16 et 17 août 2018, les demandeurs, considérant que ces publications revêtaient un caractère diffamatoire, formaient une assignation devant le juge des référés sur le fondement des articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881.

Le 23 octobre 2018, le juge des référés rendait une ordonnance au terme de laquelle les assignations du 16 et du 17 août 2018 étaient jugées nulles, faute d’avoir respecté le « le formalisme des actes en matière de diffamation publique ».

Le 27 novembre 2018, sans désemparer, les demandeurs assignaient au fond leurs détracteurs, devant le Tribunal de grande instance de Lille, en concurrence déloyale, parasitisme et diffamation.

Le 12 octobre 2021, le Tribunal de grande instance de Lille a jugé diffamatoires les publications poursuivies. Il a été relevé appel de ce jugement.

Deux questions se posaient alors : d’une part, le caractère interruptif de prescription d’une assignation en référé, nonobstant le vice de procédure qui l’affecte (1.) et, d’autre part, l’ouverture éventuelle d’une nouvelle prescription trimestrielle par la publication d’un lien hypertexte renvoyant à la publication litigieuse initiale (2.).

Avant de répondre à ces deux questions, la Cour d’appel de Douai s’est fendue d’un attendu de principe dont on ne peut que saluer la clarté :

« Sur la prescription de l’action en diffamation :

Le délai de prescription trimestriel de l’action en responsabilité civile extracontractuelle engagée à raison de la diffusion sur le réseau internet d’un message, prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse applicable en vertu de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, court à compter de sa première mise en ligne, date de la manifestation du dommage allégué.

Toutefois, une nouvelle publication ou une reproduction du contenu incriminé ouvre un nouveau délai de prescription trimestrielle. »

  1. le caractère interruptif de prescription d’une assignation en référé, même annulée

Dans un premier temps, la Cour d’appel de Douai a dû déterminer si l’assignation en référé délivrée les 16 et 17 août 2018 avait régulièrement interrompu la prescription trimestrielle, en dépit du vice qui l’affectait.

Afin de résoudre ce problème, la Cour d’appel de Douai a recours à la procédure civile générale, qui se trouve ainsi combinée à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881.

La Cour d’appel de Douai juge :

« À cet égard, alors que l’article 2241 alinéa 1, du code civil dispose que la demande fondée devant le juge des référés interrompt le délai de prescription, son alinéa 2 précise qu’il en est de même « lorsque l’acte de saisine de la juridiction en annulé par l’effet d’un vice de procédure ».

En l’espèce, l’assignation des 16 et 17 août 2018 a été annulée par le juge des référés pour violation des dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, à défaut d’avoir précisément indiqué le texte de loi applicable à la poursuite, de sorte qu’une telle annulation résulte d’un tel vice de procédure affectant cet acte introductif d’instance.

II en résulte que cette assignation s’analyse comme un acte ayant valablement interrompu la prescription à compter des 16 et 17 août 2018. En application de l’article 2242 du code civil, les effets d’une telle interruption se sont en outre produits jusqu’à l’extinction de l’instance, de sorte qu’une telle assignation a fait en définitive courir un nouveau délai trimestriel de prescription à compter de l’ordonnance ayant prononcé cette nullité. »

Au contraire, la Cour d’appel de Douai écarte l’application de l’article 2243 du Code civil, dont elle précise « qu’un tel non-avenu ne peut résulter que d’une fin de non-recevoir ou d’une défense au fond, et non d’un vice de procédure affectant l’acte de saisine ».

La Cour d’appel de Douai énonce donc, de manière très affirmée, que :

  • l’assignation en référé est interruptive de la prescription trimestrielle ;
  • et ce quand bien même l’assignation en référé serait ultérieurement frappée de nullité, faute de respecter les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.
  1. l’ouverture éventuelle d’une nouvelle prescription trimestrielle par la publication d’un lien hypertexte

Dans un deuxième temps, la Cour d’appel de Douai s’est penchée sur la question de l’ouverture d’un nouveau délai de prescription, à compter de la publication d’un lien hypertexte renvoyant à la publication initiale.

En l’espèce, un tweet renvoyant à la publication du 1er avril 2018 via un lien hypertexte avait été publié le 7 août 2018.

Les demandeurs faisaient valoir que ce tweet constituait une « nouvelle publication du contenu incriminé vers lequel renvoie cet hyperlien », de telle sorte qu’un nouveau délai de prescription aurait couru à compter du 7 août 2018.

La Cour d’appel va ici appliquer la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en rappelant que :

« La chambre criminelle de la Cour de cassation a ultérieurement jugé que « toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription ; que l’insertion, sur internet, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction » (Crim., 2 novembre 2016, pourvoi n 15-87.163, Bull. crim. 2016, n ° 283), précisant que « le texte incriminé avait été rendu à nouveau accessible par son auteur au moyen d’un lien hypertexte, y renvoyant directement, inséré dans un contexte éditorial nouveau ».

Enfin, dans l’hypothèse distincte où l’hyperlien est publié sur un site externe par une autre personne que l’auteur de la publication à laquelle il renvoie directement, un tel lien constitue une reproduction de cette publication, qui fait courir un nouveau délai de prescription (Crim., 1er sept. 2020, n° 19-84.505). En l’espèce, l’hyperlien est à la fois profond, en ce qu’il renvoie directement au contenu incriminé, et externe, en ce qu’il renvoie à un site internet, qui constitue un support distinct du compté Twitter sur lequel cet hyperlien a été mentionné. »

Mais l’arrêt de la Cour d’appel de Douai est particulièrement instructif en ce qu’elle fait un vrai effort de systématisation.

En effet, la Cour d’appel de Douai dégage ici la condition sine qua non à l’ouverture d’un nouveau délai de prescription : l’absence d’identité entre, d’une part, l’auteur de l’article litigieux, et, d’autre part, l’auteur du tweet subséquent.

La Cour d’appel de Douai juge ainsi :

« Il résulte d’une telle identité entre l’auteur de l’article litigieux et le titulaire du compte Twitter l’ayant relayé par hyperlien que l’insertion de cet hyperlien ne constitue pas une nouvelle publication de la publication initiale. »

En l’espèce, l’auteur de la publication initiale et de la publication du lien hypertexte étant le même auteur, le tweet du 7 août 2018 n’a fait courir aucun nouveau délai de prescription.

On soulignera tout de même que, si la Cour d’appel de Douai semble ainsi réduire l’impact du tweet d’un lien hypertexte, elle en accentue ensuite le caractère substantiel :

« Il résulte de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, arrêt du 4 décembre 2018, Magyar Jeti Zrt c. Hongrie, n° 11257/16), que les liens hypertextes contribuent au bon fonctionnement du réseau internet, en rendant les très nombreuses informations qu’il contient aisément accessibles ».

Ainsi, lorsque la condition sine qua non de l’absence d’identité de l’auteur de la publication initiale et de l’auteur de la publication du lien hypertexte est satisfaite, il appartient au juge du fond de passer à l’examen de la substance même de cette seconde publication :

« pour apprécier si l’auteur d’un tel lien, qui renvoie à un contenu susceptible d’être diffamatoire, peut voir sa responsabilité engagée en raison de la nouvelle publication de ce contenu à laquelle il procède, les juges doivent examiner en particulier si l’auteur du lien a approuvé le contenu litigieux, l’a seulement repris ou s’est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s’il savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s’il a agi de bonne foi (point 77 de l’arrêt cité). »

Eu égard aux nombreuses occurrences d’un tel cas de figure, il ne fait pas de doute que la question de la valeur intrinsèque d’un lien hypertexte n’a pas terminé de faire couler de l’encre.

 

[1] CA Douai, 30 juin 2022, n° 21/05597.

Requête en nullité pour violation des règles relatives à la conservation et à l’accès aux données de connexion : soyez précis !

By | Brèves juridiques

Les décisions faisant application des exigences européennes en matière de conservation et d’accès aux données de connexion s’enchaînent ; et cela n’est sans doute pas près de s’arrêter.

En moins de six mois à peine après les très commentés arrêts de la Cour de cassation du 12 juillet 2022, la Chambre criminelle a déjà enrichi le mode d’emploi des principes évoqués dans une précédente news.  Dans une décision du 22 novembre 2022[1], la Haute juridiction judiciaire poursuit la définition du régime juridique des nullités de procédure.

Pour faire simple, on rappellera que la Chambre de l’instruction ne peut faire droit aux demandes de nullité de procédure que dans l’hypothèse où le requérant démontre l’existence d’un grief dont il peut légitimement se prévaloir.

Dans l’arrêt ici commenté, la Chambre criminelle énonce que ne saurait être prononcée la nullité d’actes de procédure qui ne seraient pas précisément identifiés dans la requête en nullité, ou dans le mémoire en réplique aux réquisitions du ministère public :

«  6. Pour écarter les moyens de nullité et les demandes présentées par les requérants, pris de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation des données de connexion, l’arrêt attaqué retient que ni les deux requêtes des personnes mises en examen, ni le mémoire en réplique aux réquisitions du ministère public, ne précisent quels actes ou quelles pièces de procédure seraient frappés de nullité parce que réalisés sur le fondement de l’article L. 34-2 du code de postes et des communications électroniques.

  1. En l’état de ces seules énonciations, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.
  2. En effet le grief pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d’accès aux données de connexion ainsi que de celles énoncées à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui n’est pas d’ordre public, n’affecte qu’un intérêt privé. 
  3. Il s’en déduit que le demandeur, lorsqu’il présente une requête en nullité d’actes de la procédure, doit indiquer précisément à la chambre de l’instruction chacun des actes dont il sollicite l’annulation.»

Le grief tiré de la méconnaissance des principes dégagés par la jurisprudence européenne et de l’article 8 de la CEDH n’étant pas d’ordre public[2], il ne suffit donc pas de viser de manière générale les actes par lesquels les données de connexion ont été obtenues par les enquêteurs ; il est nécessaire d’identifier chacun d’entre eux avec précision.

On y voit désormais un peu plus clair.

[1] Cass. Crim., 22 novembre 2022, n° 22-83.221

[2] Dans sa note explicative sur les arrêts du 12 juillet 2022, la Cour de cassation précise que :

« Déclinant sa méthodologie à l’espèce, la chambre criminelle de la Cour de cassation relève que les exigences européennes en matière de conservation et d’accès aux données de connexion ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d’expression (CJUE, arrêt du 6 octobre 2020 précité). Il en est ainsi en particulier de l’exigence d’un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante qui vise à garantir, en pratique, le plein respect des conditions d’accès aux données à caractère personnel, et notamment que l’ingérence aux droits précités est limitée à ce qui est strictement nécessaire (CJUE, arrêt du 2 mars 2021 précité ; CJUE, arrêt du 5 avril 2022 précité). Il en résulte que les dispositions invoquées sont édictées dans le seul intérêt de la personne concernée. »