Brèves juridiques

Protection des victimes d’agression ou d’atteinte sexuelles et liberté d’expression

By 21 septembre 2022 No Comments

La Cour de cassation refuse de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 39 quinquies de la loi de 1881 sur la liberté de la presse

L’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :

« Le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles ou l’image de cette victime lorsqu’elle est identifiable est puni de 15 000 euros d’amende.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la victime a donné son accord écrit. »

Ce sont ces dispositions qui ont fait l’objet de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à l’occasion d’un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 février 2022 ayant condamné l’auteur dudit pourvoi à 1.000 euros d’amende pour « diffusion d’image ou de renseignement sur l’identité d’une victime d’agression ou d’atteinte sexuelles sans son accord écrit. ».

Les deux questions étaient les suivantes :

  1. « L’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 ne méconnaît-il pas le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il ne désigne pas précisément les personnes qui doivent être regardées comme victimes au sens de ce texte ? »
  2. « L’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 ne méconnaît-il pas la liberté d’expression, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il réprime, sans distinction et sous la seule réserve de l’accord écrit donné par la victime, le fait de diffuser des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles ou l’image de cette victime lorsqu’elle est identifiable, y compris lorsque de tels renseignements ou une telle image ont déjà été diffusés par la victime elle-même ? »

Pour qu’une QPC soit renvoyée au Conseil constitutionnel par une juridiction, afin que la conformité de la disposition législative en cause aux droits et libertés que la Constitution garantit soit contrôlée, il est notamment nécessaire que la question soit « nouvelle ou présente un caractère sérieux »[1].

En l’espèce, la Chambre criminelle de la Cour de cassation jugeant qu’aucune des questions n’est nouvelle, il restait à la Haute juridiction à se prononcer sur leur caractère sérieux.

Dans un arrêt du 10 août 2022, la Cour de cassation considère que les deux questions sont dépourvues caractère sérieux.

S’agissant de la première question, le défaut de caractère sérieux est établi :

« dès lors que la notion de victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles est suffisamment claire et précise pour que son interprétation, qui entre dans l’office du juge pénal, puisse se faire sans risque d’arbitraire. ».

En ce qui concerne la seconde question, qui portait sur une éventuelle méconnaissance de la liberté d’expression par l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881, celle-ci ne présente pas davantage un caractère sérieux dans la mesure où :

« 7. La disposition législative critiquée poursuit un objectif d’intérêt général, soit la protection de la dignité et de la vie privée de la victime d’infraction sexuelle, protection qui est également de nature à éviter des pressions sur celle-ci.

8.  La disposition en cause ne prescrit pas une interdiction générale de diffusion mais est limitée à certains éléments, ce dont il se déduit qu’elle n’interdit pas toute expression sur des faits d’agression ou d’atteinte sexuelles.

9. Elle prévoit une dérogation en cas d’accord écrit de la victime.

10. Même dans le cas où la victime a déjà diffusé elle-même des renseignements concernant son identité, ou son image, un risque d’atteinte aux intérêts précités est susceptible de résulter d’une nouvelle diffusion dans des conditions auxquelles elle n’a pas consenti.

11. La disposition en cause, qui ne présente pas un caractère général et absolu, assure donc une conciliation, qui n’est pas manifestement disproportionnée, entre la protection des victimes et le principe de la liberté d’expression.»

La Chambre criminelle en déduit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les deux questions prioritaires de constitutionnalité.

 

[1] Articles 23-4 et 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (créés par l’article 1er de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution.