Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 septembre 2024, n°23-83.457
Par une décision du 24 septembre 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est de nouveau penchée sur les modalités d’appréciation des « quatre critères du fait justificatif de la bonne foi », à l’occasion d’un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Pau (Chambre correctionnelle).
Les 29 et 30 janvier 2019, un syndicat de police diffusait un tract syndical dans les locaux d’un commissariat et par courriel interne aux adhérents dudit syndicat.
Le tract, intitulé « (X) : chasser le naturel il revient au bureau » était rédigé en ces termes :
« inadmissible, surréaliste… le 18 janvier 2019, alors que l’ensemble des collègues de la section d’intervention sont une nouvelle fois décalés de 13 h à 21h pour un service de maintien de l’ordre leur excellentissime major décide de rester en horaire de journée au chaud dans son bureau. Rien ne change… il est vrai que cette unité peut se le permettre étant en sureffectif… il ose tout… lui c’est même à ça qu’on le reconnaît. Unité (…) demandera une fois de plus des explications à ses supérieurs concernant cette attitude ».
Le 26 avril 2019, le major de police visé par ces propos déposait plainte du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, notamment à l’encontre du secrétaire départemental du syndicat de police.
Le 21 janvier 2020, le prévenu était renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique pour l’affichage du tract au sein du commissariat, dans les espaces recevant du public, et diffamation non publique, pour la diffusion du tract par courriel interne et son affichage dans les locaux du commissariat non accessibles au public.
Le 26 octobre 2021, le secrétaire départemental était relaxé par le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, mais était déclaré coupable du chef de diffamation non publique.
Il interjetait appel de cette décision et invoquait au soutien de sa défense la bonne foi dont il estimait devoir bénéficier.
La Cour d’appel de Pau confirmait le jugement attaqué et écartait le bénéfice de la bonne foi au motif que :
« les propos litigieux constituent uniquement une attaque visant le chef de la section d’intervention, dans son statut de chef, sur le terrain de son éthique professionnelle, en ce que les imputations concernent les qualités personnelles et professionnelles de la partie civile, et non l’organisation du service dont il avait la charge.
- Ils en concluent que les quatre conditions légales de la bonne foi, qui doivent être cumulées, ne sont pas réunies. »
La Cour d’appel fondait son appréciation sur les quatre critères traditionnels de la bonne foi dégagés par la jurisprudence qui sont les suivants : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi qu’une base factuelle suffisante qui recouvre la notion d’enquête sérieuse[1].
A l’occasion de l’examen du pourvoi, la Cour de cassation rappelait le contexte de publication du tract litigieux :
« 14. En effet, le tract litigieux, qui s’inscrit dans une action syndicale de protestation relative aux difficultés de travail au sein d’une section d’intervention, à l’occasion d’une opération de maintien de l’ordre, dans le cadre d’un conflit social, contribue à un débat d’intérêt général. »
Selon la Haute juridiction, puisqu’il avait été diffusé dans un contexte caractérisé par une action syndicale, à l’occasion d’une opération de maintien de l’ordre et dans le cadre d’un conflit social, le tract contribuait à un débat d’intérêt général.
La Chambre criminelle rappelle que la bonne foi doit être appréciée au regard de l’interprétation donnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :
« 15. Il appartient alors aux juges du fond, en application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, de rechercher si les propos reposent sur une base factuelle suffisante, notion qui recouvre celle d’enquête sérieuse, puis, lorsque cette deuxième condition est également réunie, de déterminer si l’auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l’expression et était dénué d’animosité personnelle, ces deux derniers critères devant être alors appréciés moins strictement. »
Selon la CEDH, le juge doit donc :
- d’abord, rechercher si les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante,
- puis, si ces deux conditions sont réunies, déterminer si l’auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l’expression et qu’il était dénué d’animosité personnelle.
En ne suivant pas ce « manuel » de l’appréciation de la bonne foi, la Cour de cassation juge que : « la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. » et renvoie « la cause et les parties devant la cour d’appel de Bordeaux ».
Par cet arrêt, la chambre criminelle réaffirme ainsi une position déjà établie dans un précédent arrêt de 2023[2].
Désormais, plus de doute, l’évaluation de la bonne foi reposera systématiquement sur l’approche en deux étapes définie par la jurisprudence de la CEDH.
[1] Cass, crim, 11 avril 2012, n°11-83.007 ou encore dans le même sens sur l’application des quatre critères traditionnels Cass, crim, 2 juillet 2014, n°13-20.219
[2] Cass, crim, 5 septembre 2023, n°22-84.763