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La captation par un journaliste d’actes d’enquête remise en cause par la Cour de cassation ?

By | Brèves juridiques

Dans son arrêt du 19 décembre 2023[1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur le pourvoi formé contre un arrêt du 17 février 2023, par lequel la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a rejeté la requête en nullité de pièces de la procédure, déposée par un mis en examen. La Chambre de l’instruction a également rejeté une demande de nullité de certains actes, formée par mémoire, à la suite et en raison de la diffusion à la télévision, d’un « reportage, dans lequel plusieurs scènes tirées de l’interpellation de MM. [W] et [K] [S] [V] étaient visibles. ».

Intéressant, déjà, quant à la question « de savoir si, en présence d’une irrégularité tenant au défaut de signature du procès-verbal de perquisition, l’absence de contestation, par la personne qui se prévaut d’un droit sur le local perquisitionné, de la présence et de l’intégrité des objets saisis fait obstacle à ce qu’une autre personne mise en examen établisse l’existence d’un grief pris de cette irrégularité. »[2], l’arrêt de la Chambre criminelle l’est aussi, peut-être encore davantage, s’agissant de la mise en balance entre le respect du secret de l’enquête et de l’instruction, d’une part, celui de la liberté d’expression et du droit à l’information, d’autre part.

Plus précisément, le demandeur au pourvoi avait sollicité la nullité de son interpellation et de la fouille réalisées en présence d’un tiers ; en l’espèce un journaliste ayant procédé à la captation de ces actes d’enquête.

Rendu au visa de l’article 11 du code de procédure pénale – lequel soumet au secret de l’enquête « les agents ou fonctionnaires auxquels la loi attribue des pouvoirs de police judiciaire »[3], l’arrêt ici commenté peut légitimement faire naître quelques inquiétudes chez les journalistes dont le travail pourrait être très sérieusement compliqué.

En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que la présence d’un tiers, quand bien même aurait-elle été régulièrement autorisée, constitue, en elle-même, une violation du secret de l’enquête :

« La présence d’un tiers ayant obtenu d’une autorité publique l’autorisation de capter, par le son ou l’image, fût-ce dans le but d’informer le public, le déroulement des actes d’enquête auxquels procèdent ces agents ou fonctionnaires, constitue une violation de ce secret. »

Plus encore, la Haute juridiction judiciaire pose le principe suivant : « Une telle violation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. »[4].

Le principe retenu par la Cour de cassation est général ; peu importe, en l’espèce, que le mis en examen ait été indentifiable ou non sur les images captées et diffusées à la télévision : la seule présence d’un tiers – ici d’un journaliste – « fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée »[5].

C’est donc un arbitrage en faveur du droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence auquel la Chambre criminelle vient de procéder, et ce au détriment de la liberté d’expression et du droit à l’information :

« Le secret de l’enquête a pour objet de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence des personnes concernées dans la procédure en cause (Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC). Dès lors, la cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l’exception de nullité tirée de la violation du secret de l’enquête, en ce qu’elle se réfère à l’acte qui concerne M. [W], à savoir son interpellation (cote D 11). Les autres dispositions seront donc maintenues. »

A la lecture de cet arrêt, on peut se demander si l’on pourra encore à l’avenir regarder des reportages portant sur des enquêtes menées par des services de police ou de gendarmerie. Comment, en effet, imaginer qu’une autorisation de captation d’images ou de sons puisse être donnée alors qu’une telle mesure expose la procédure à un risque de nullité de certains actes ?

Il conviendra de suivre les suites et précisions données par les juridictions à cet arrêt dont la lecture laisse penser que les journalistes ne pourraient plus, dans le respect du secret défini à l’article 11 précité du code de procédure pénale, que « rendre compte d’une procédure pénale et [de] relater les différentes étapes d’une enquête et d’une instruction »[6].

La position de la Chambre criminelle permet-elle toujours de considérer, ainsi que l’avait jugé le Conseil constitutionnel, que les dispositions dudit article 11 ne portent qu’une atteinte limitée à la liberté d’expression et de communication ?

Nul doute que la presse se posera cette question.

[1] Cass. Crim., 19 décembre 2023, n° 23-81.286.

[2] §§ 8 à 21 de l’arrêt.

[3] § 23 de l’arrêt.

[4] Ibid.

[5] § 25 de l’arrêt.

[6] Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC, considérant n° 9.

Maître Céline ASTOLFE, avocat de l’association Hors la Rue, obtient le statut de victime des mineurs exploités

By | Actualités

◼️ Extrait de l’article publié sur le site internet du journal Sud Ouest, dans son édition du 12 janvier 2024 :

« Six ressortissants algériens était jugés par le tribunal correctionnel de Paris pour traite d’êtres humains et trafic de stupéfiants. Des peines d’un à six ans de prison ferme, assorties d’amendes allant de 5 000 à 8 000 euros, ont été prononcées vendredi 12 janvier à l’encontre de six ressortissants algériens par le tribunal correctionnel de Paris notamment pour traite d’êtres humains et trafic de stupéfiants. »

(…)

« Les six hommes étaient accusés d’avoir initié à la drogue et gardé sous emprise de nombreux adolescents isolés, de nationalités marocaine et algérienne, en 2021 et 2022. Ils souhaitaient ainsi les contraindre à commettre des vols sur les touristes, en échange de comprimés de Lyrica ou Rivotril, puissants psychotropes décrits par la présidente comme « la matière première qui permettra d’exploiter les mineurs isolés ». »

Me Céline Astolfe, avocate de l’association partie civile au procès Hors la rue, a salué « une décision historique et exemplaire » ainsi que « la consécration du statut de victimes de ces mineurs exploités ».

 

👉🏻 Pour lire l’article en intégralité sur le site de Sud Ouest : Traite des « petits voleurs » du Trocadéro : prison ferme pour l’ensemble des prévenus

Maître Céline ASTOLFE, avocat de l’association Hors la Rue, au procès des mineurs drogués

By | Actualités

◼️ Extrait de l’article publié sur le site internet du journal Libération, dans son édition du 9 janvier 2024 :

« Procès des mineurs drogués : on se croirait dans Germinal, et c’est juste au Trocadéro »

(…)

« Ce n’est pas leur procès qui s’ouvre ce mardi 9 janvier au tribunal correctionnel de Paris, pour quatre jours ; la justice les a placés du côté des victimes. C’est celui de six hommes de nationalité algérienne, en détention provisoire, poursuivis pour «traite d’êtres humains» à l’égard de ces mineurs, ainsi que «recel de vols» et «trafic de médicaments et de stupéfiants» en compagnie d’un septième prévenu. Ils sont accusés d’avoir enfoncé ces gamins dans une spirale terrifiante, contraints de voler pour consommer, de consommer pour voler. Le procès, qui devait se tenir mi-décembre, avait été reporté en raison d’une erreur de procédure. Parmi les 17 victimes recensées, douze enfants se sont constitués parties civiles, ainsi que l’association Hors la rue, qui a patiemment et délicatement fait fondre leur méfiance, pour récupérer leur parole et permettre leur audition par les enquêteurs. »

(…)

« On parle d’enfants qui sont d’une maigreur extrême, qui ont des plaies surinfectées, qui ont la gale, qui ont des traces de coups sur tout le corps, de multiples ecchymoses. On se croirait dans Germinal, et c’est juste au Trocadéro», argue l’avocate de Hors la rue, Me Céline Astolfe. Certains gamins se battent toujours avec leur cocktail de psychotropes. «C’est une emprise qui se poursuit dans le temps et entraîne des répercussions à très long terme si ce n’est, je pense, irréversibles, poursuit Céline Astolfe. L’un des mineurs, suivi à l’hôpital Robert-Debré, n’envisageait pas d’ailleurs, s’il était contraint de venir à la barre, de ne pas prendre un Rivotril pour arriver à faire ses déclarations. »

👉🏻 Pour lire l’article en intégralité sur le site de Libération : Procès des mineurs drogués : On se croirait dans Germinal, et c’est juste au Trocadéro

 

◼️ Pour en savoir plus sur l’action menée par l’association Hors la rue :

Extrait de l’interview de son directeur, Guillaume Lardanchet,  publiée sur le site internet du journal Libération dans son édition du 9 janvier 2024 :

« Avec son association Hors la rue, qui accompagne les mineurs isolés, Guillaume Lardanchet s’est constitué partie civile au procès de six hommes accusés d’avoir drogué des jeunes marocains pour les utiliser comme voleurs. Pour lui, il est essentiel de considérer enfin ces enfants comme des victimes plutôt que comme des délinquants. »

👉🏻 Pour lire l’article en intégralité sur le site de Libération : Des enfants à la rue qui commettent des délits sont des enfants en danger

 

Olivier BARATELLI organise la réponse judiciaire du maire de Nice contre des accusations malveillantes

By | Actualités

Extrait de l’article du journal en ligne Le Figaro, édition du 28 décembre 2023 :

« Visée par deux signalements et un article de Mediapart, Laura Tenoudji-Estrosi a décidé de répondre dans la presse locale pour dénoncer des accusations « totalement infondées ».

« Christian Estrosi est totalement étranger au choix de France télévisions d’avoir recours à l’une de ses chroniqueuses habituelles », a encore souligné Me Baratelli, l’avocat du maire ».

 

👉🏻 Pour lire l’article intégralement sur le site du journal Le Figaro : Suspicions de conflits d’intérêts : la femme de Christian Estrosi, Laura Tenoudji, se défend

 

Olivier BARATELLI, avocat de Christian ESTROSI, réplique fort

By | Actualités

Extrait de l’article du journal en ligne Nice Matin, édition du 27 décembre 2023 :

« Je suis droite dans mes bottes : Laura Tenoudji-Estrosi visée par deux signalements pour conflits d’intérêts, l’épouse du maire de Nice se défend. L’épouse du maire de Nice, cible de deux signalements pour des prestations réalisées à Nice, se défend de tout conflit d’intérêts et revendique le droit de ne pas être « que la femme de » Christian Estrosi ».

(…)

« L’avocat de Christian Estrosi, Me Olivier Baratelli, annonce de son côté qu’il a bien l’intention de répliquer sur le plan judiciaire : en poursuivant en diffamation les médias qui ont relayé selon lui une information non vérifiée. Et en déposant plainte pour dénonciation calomnieuse contre les auteurs, élus et fonctionnaire, qui ont porté à la connaissance de la justice « des faits qu’ils savaient pertinemment faux » dans un but « uniquement politique ». »

👉🏻 Pour lire l’article intégralement sur le site de Nice Matin : Je suis droite dans mes bottes : Laura Tenoudji-Estrosi visée par deux signalements pour conflits d’intérêts, l’épouse du maire de Nice se défend 

 

L’affirmation selon laquelle la publication de propos diffamatoires n’est pas le fait de leur auteur mais de tiers doit être démontrée avec précision

By | Brèves juridiques

Il n’y a pas qu’en politique que le contentieux de la diffamation prospère. La vie syndicale charrie également son lot de conflits et de propos qui testent les limites de la liberté d’expression.

Tel a été le cas dans une affaire où les parties civiles avaient fait citer un membre du bureau du syndicat national des pilotes de lignes « devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers particuliers pour avoir publié sur le site internet » dudit syndicat les propos suivants :

« J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W] au moment de la nomination de [G] [W] au poste de Déléguée Générale du SNPL et de son augmentation de salaire. J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W], lorsque celle-ci a rédigé une analyse juridique sur les SOF. Analyse sur laquelle repose (sic..) toutes les accusations diffamatoires sur le Bureau de HOP ! dans l’affaire des SOF.

J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W], lorsque celui-ci lui a signé un chèque de plus de 75 000 € en guise de rupture conventionnelle, faisant fi des statuts du SNPL ».

Le tribunal correctionnel, après avoir « requalifié les faits en contravention de diffamation non publique envers particuliers », a « déclaré coupables M. [H] [directeur de la publication du site internet du syndicat] de cette infraction et M. [C] de complicité de celle-ci. » ; lesquels ont interjeté appel.

Le prévenu condamné pour complicité de diffamation non publique envers particulier a formé un pourvoi en cassation que la Chambre criminelle a rejeté par un arrêt du 21 novembre 2023[1] qui retient notre attention sur deux points :

  • en premier lieu, la question de l’imputabilité de la mise en ligne des propos incriminés:

La Haute de juridiction fait sienne la motivation des juges d’appel qui leur a permis de conclure que le demandeur au pourvoi a volontairement mis en ligne lesdits propos et non pas des tiers, membres de sa section syndicale, comme il le soutenait.

En effet, alors que le prévenu :

  • ne contestait pas être l’auteur des propos litigieux ;
  • celui-ci a reconnu qu’il savait que ceux-ci allaient être publiés sur le site internet du syndicat depuis son compte personnel ;

la Chambre criminelle retient que les juges d’appel ont pu à bon droit considérer que le prévenu avait autorisé « implicitement les auteurs supposés à y procéder » et qu’aucun élément précis ne venait soutenir que des tiers auraient pu procéder à la publication des messages :

« 8. Ils précisent que les explications de M. [C] selon lesquelles les publications seraient le fait de tiers peinent à convaincre dès lors qu’elles sont, à cet égard, marquées par leur imprécision, puisqu’il s’est contenté de parler de « deux ou trois personnes » à qui il aurait donné son code, sans en dire davantage, et par leur confusion, en ce qu’il affirme que le texte avait vocation à être remis aux membres du bureau national alors même qu’il a écrit, à la fin du message : « Il doit savoir que je dispose des preuves de ces accusations graves et que je les évoquerai lors du prochain BN », ce qui est incohérent.

    1. Ils ajoutent que, alors que les propos ont été publiés depuis son compte personnel, ce qui suppose l’utilisation de son identifiant et de son mot de passe personnel, et en son nom, M. [C] ne produit aucun élément venant corroborer ou même simplement donner un semblant de crédibilité à ses affirmations selon lesquelles les publications seraient le fait de tiers.
    2. Ils en concluent qu’il est établi que M. [C] a volontairement mis en ligne les messages contenant les propos diffamatoires, qui lui sont dès lors imputables.
    3. En prononçant ainsi, par des motifs pertinents, exempts d’insuffisance, et, dès lors que, lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication est mis en cause, l’auteur peut être poursuivi comme complice, la cour d’appel a justifié sa décision.»
  • en second lieu, le refus du bénéfice de l’excuse de bonne foi pour insuffisance de base factuelle et manque de prudence dans les propos :

Il ne suffit pas que des propos attentatoires à l’honneur ou à la considération soient relatifs à un débat d’intérêt général pour que leur auteur puisse bénéficier de l’excuse de bonne foi.

On sait qu’il faut, en outre et notamment, que lesdits propos reposent sur une base factuelle suffisante et que leur auteur ait fait preuve de prudence.

L’arrêt de la Chambre criminelle illustre le fait que ce sont les allégations qui contribuent à donner aux propos leur caractère diffamatoire qui doivent absolument reposer sur une base factuelle suffisante. En l’espèce, si certaines pièces produites par le prévenu permettaient de vérifier une partie des propos tenus, rien ne démontrait la « liaison supposée » entre les parties civiles sur laquelle étaient fondées l’ensemble des imputations diffamatoires :

« 14. Pour écarter l’exception de bonne foi, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé que les propos poursuivis portent atteinte à l’honneur ou à la considération des parties civiles, retient que les propos litigieux sont relatifs à un sujet d’intérêt général, celui du fonctionnement interne et des modalités d’usage des crédits d’heures de délégation (dites « SOF ») au sein de l’un des principaux syndicats de pilotes de lignes en France et énonce que l’ensemble des imputations diffamatoires portent sur des faits trouvant leur origine dans la liaison supposée entre M. [S] et Mme [W].

  1. Les juges précisent que le rapport d’un enquêteur privé produit par M. [C] n’est pas de nature à établir l’existence d’une vie commune entre les parties civiles sur la période concernée, allant de 2015 à 2017, parce que d’une part, les constatations faites par l’enquêteur sont insuffisantes à établir cette communauté de vie, d’autre part, la matérialité de ses constatations est contestée, à juste titre, par les parties civiles qui produisent une attestation de Mme [A] [D] affirmant être la locataire de la maison surveillée depuis le 30 octobre 2018, la propriétaire du véhicule cité et la femme identifiée par l’huissier comme étant Mme [W].
  2. Ils ajoutent que, si les documents produits par M. [C] viennent confirmer que Mme [W] était bien l’auteur de l’analyse juridique à l’origine de décisions du conseil de discipline relatives aux « SOF » et a bien bénéficié d’une augmentation de salaire, puis, au moment de son départ en 2017, d’une indemnité, aucun de ces documents n’est de nature à constituer une base factuelle suffisante qui aurait permis à M. [C] au moment des publications de tenir les propos litigieux. »

Au surplus, la Cour de cassation ne pouvait que confirmer l’arrêt d’appel et refuser le bénéfice de la bonne fois dès lors que l’auteur des propos n’avait fait preuve d’aucune prudence en les formulant :

« 17. Ils relèvent également le manque de prudence dans les propos, notamment par la formule « J’accuse », employée et répétée à chaque phrase. »

Ce faisant la Chambre criminelle confirme qu’il n’est pas toujours nécessaire de vérifier l’ensemble des critères de l’excuse de bonne foi – ici l’absence d’animosité personnelle – pour en refuser son bénéfice, dès lors que l’examen de certains d’entre eux suffit à établir la conviction des juges.

 

[1] Cass. Crim., 21 novembre 2023, n° 22-87.535.

La dignité humaine ne compte pas parmi les buts légitimes susceptibles de fonder une restriction à la liberté d’expression artistique

By | Brèves juridiques

La liberté d’expression est protéiforme, on le sait. Parmi ses déclinaisons, on compte la liberté d’expression artistique qui, comme le rappelle l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 17 novembre 2023[1] :

« constitue une valeur en soi (CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33) et qui protège ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre  d’art (CEDH, arrêt du 3 mai 2007, Ulusoy e.a. c. Turquie, n° 34797/02, § 42) ».

Une association avait estimé que la présentation des écrits d’un artiste, exposés par un fonds régional d’art contemporain (FRAC), accessible à tous, était constitutive de l’infraction prévue et réprimée par l’article 227-24 du Code pénal[2] mais avait vu sa plainte classée sans suite.

Afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estimait avoir été causé aux intérêts collectifs qu’elle défend[3], ladite association a alors assigné le FRAC en cause sur le fondement de l’article 16 du Code civil, aux termes duquel :

« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »

La question à laquelle l’Assemblée plénière de la Cour de cassation se devait de répondre était donc celle de la possibilité de restreindre la liberté d’expression, telle que le prévoit l’article 10 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, au motif d’un but légitime que serait le respect de la dignité humaine :

« 9. Toutefois, l’article 10, paragraphe 2, de la Convention prévoit que la liberté d’expression peut être soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

  1. Il en résulte que toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés. »

On comprend pourquoi une telle question de droit a convaincu la Haute juridiction judiciaire de réunir sa formation la plus solennelle pour y répondre.

En effet, le respect de la dignité humaine étant l’essence même de la Convention, constitue-t-elle cependant un des buts légitimes permettant, si la loi le prévoit, de réduire la portée de la liberté d’expression, ici prise en la liberté d’expression artistique ?

La réponse de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est claire :

« 11. Si l’essence de la Convention est le respect de la dignité et de la liberté humaines (CEDH, arrêt du 22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, § 44), la dignité humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention.

    1. La Cour de cassation en a déduit que la dignité de la personne humaine ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié).
    2. Au surplus, l’article 16 du code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et invoqué par la requérante, ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention, permettant de restreindre la liberté d’expression.»

Aussi, dès lors que l’association auteur du pourvoi poursuivait « l’exposition des œuvres en cause sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du code civil, la cour d’appel a exactement retenu que le principe du respect de la dignité humaine ne constitue pas à lui seul un fondement autonome de restriction à la liberté d’expression. ».

La Cour de cassation aurait-elle pu rattacher la « dignité humaine » à la « protection de la morale » qui, elle, figure bien au nombre des buts légitimes susceptibles de limiter la liberté d’expression ? La Haute juridiction n’est pas allée sur ce terrain mais il n’est pas inimaginable que la question se pose à l’avenir.

Par cette décision, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation adopte ainsi une solution très favorable à la liberté d’expression artistique dont l’exercice dans une société démocratique – selon l’expression consacrée par la jurisprudence européenne – , ne peut être restreint que dans les conditions précisément déterminées par l’article 10§2 de la Convention.

Cette décision ne devrait cependant pas clore le débat sur les limites de cette liberté ; en particulier lorsqu’un artiste crée une œuvre de nature à heurter l’opinion publique en portant un message contraire à des buts impérieux tels que la protection des mineurs.

[1] Cass., Ass. Plénière, 17 novembre 2023, n° 21-20.723.

[2] Article 227-24 du Code pénal :

« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.

Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

Les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans. »

[3] L’article 2 des statuts de cette association prévoit que son objet est de lutter contre « tout ce qui porte notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant ».

Pédocriminalité : Maître Céline ASTOLFE représentera la Fondation pour l’Enfance à la Cour d’assises de la Gironde à partir du 29 novembre 2023

By | Actualités

Article de France Info – France 3 Nouvelle Aquitaine, édition du 26 novembre 2023 : 

 » Il était cantonnier, père de famille… et pédophile. L’un des cyber-pédocriminels les plus recherchés du monde sera jugé du 29 novembre au 1ᵉʳ décembre à la cour d’assises de la Gironde. Il est accusé d’avoir géré des sites de contenus pédopornographiques sur le darknet, en plus de viols sur ses filles ».

(…)

 » Plusieurs associations se sont portées parties civiles, parmi elles, la Fondation pour l’enfance représentée par Maître Céline Astolfe. L’avocate appelle à ne surtout pas banaliser la détention de ces images.

Derrière ces fichiers pédopornographiques, il y a des enfants qu’on n’entendra jamais. Ce n’est pas de la simple détention d’image. On oublie qu’on est en bout d’une chaîne de violences absolument innommables.

Maître Céline Astolfe, Avocate de la Fondation pour l’enfance

C’est pour porter la voix de ces enfants que l’association se porte systématiquement partie civile en cas de cyber-pédocriminalité. « Ce qu’on observe, c’est que la détention d’images peut très souvent être le début d’un futur passage à l’acte », prévient Céline Astolfe.  »

 

👉🏻 Pour lire l’article intégralement sur le site de France Info, cliquer ici : « Le cantonnier du village était l’un des pédocriminels les plus recherchés au monde : ouverture du procès ce mercredi »

 

 

Apologie publique d’un acte de terrorisme par voie de tweets publiés depuis l’étranger : exigence de critères suffisants de rattachement au territoire français et compétence des juridictions nationales

By | Brèves juridiques

La détermination de la compétence des juridictions françaises en matière d’infraction de presse est à la mode à la Cour de cassation.

La Chambre criminelle, dans un arrêt du 7 novembre 2023[1], s’est en effet de nouveau prononcée sur cette question[2] ; cette fois-ci à l’occasion d’un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 8 novembre 2022 ayant condamné son auteur pour apologie publique d’un acte de terrorisme[3] en raison de tweets publiés depuis l’étranger.

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, elle :

« juge qu’en l’absence de tout critère rattachant au territoire de la République des propos incriminés sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la circonstance que ceux-ci, du fait de leur diffusion sur le réseau internet, aient été accessibles depuis ledit territoire ne caractérise pas, à elle seule, un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître (Crim., 12 juillet 2016, pourvoi n° 15-86.645, Bull. crim. 2016, n° 218). »

La Haute juridiction considère ainsi qu’en matière d’apologie publique d’un acte de terrorisme, laquelle peut « procéder de propos diffusés par le réseau internet depuis un territoire étranger, accessibles depuis la France, il y a lieu de considérer que, pour cette infraction également, cette circonstance ne caractérise pas à elle seule un acte de publicité sur le territoire de la République rendant le juge français compétent pour connaître de ce délit, en l’absence de tout critère rattachant les propos incriminés audit territoire. ».

En l’espèce, si la Cour d’appel a estimé à tort que l’accessibilité des tweets depuis le territoire français suffisait pour que l’infraction soit réputée commise sur celui de la République, la Chambre criminelle ne censure pas l’arrêt ayant confirmé le jugement correctionnel au motif qu’il existait bien des critères de rattachement à la France :

« Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure dès lors qu’il en résulte que les propos poursuivis ont été diffusés en langue française, certains accompagnés de photographies représentant la France, stigmatisée comme un pays de mécréance, opposé à l’organisation dite Etat Islamique, d’autres incitant les musulmans à se sentir étrangers sur « toutes les terres qui refusent d’appliquer et combattent les lois d’Allah », notamment la France, et ce, alors que le territoire de la République a été frappé et reste frappé par le terrorisme islamiste, éléments qui constituent, en l’espèce, des critères suffisants de rattachement desdits propos au territoire français. »

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle que le fait de publier des propos constitutifs d’une infraction de presse depuis l’étranger ne protège pas leurs auteurs de poursuites et de condamnations, dès lors que peut être démontré un lien de rattachement desdits propos avec le territoire français.

[1] Cass. Crim., 7 novembre 2023, n° 22-87.230

[2] News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 16 novembre 2023.

[3] Article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; Article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; Article 421-2-5 du Code pénal.

Compétence des juridictions françaises pour des propos diffamatoires ou injurieux publiés sur un site web et visant une personne résidant sur le territoire national

By | Brèves juridiques

Lorsque dans notre News Presse & Réseaux sociaux du 8 novembre 2023 nous écrivions que le champ politique était riche de contentieux en droit de la presse, nous n’exagérions pas.

Voici, en effet, une nouvelle affaire sur laquelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de se prononcer dans un arrêt du 7 novembre 2023[1] ; aboutissement d’une procédure initiée par un homme politique, alors conseiller régional, qui avait déposé plainte avec constitution de partie civile « des chefs de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, d’injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public et d’injure publique commises à raison de l’orientation sexuelle » en raison de propos publiés sur un site internet.

Renvoyé par le juge d’instruction devant le tribunal correctionnel, le Président et directeur de la publication dudit site a été relaxé du chef de diffamation publique mais « déclaré coupable des autres chefs de prévention ». En appel, la partie civile s’est vue débouter de l’ensemble de ses demandes au motif que les juridictions françaises étaient incompétentes.

Les juges d’appel ont estimé, alors même que l’enquête policière avait conclu à la commission de l’infraction en France, que, d’une part, les investigations n’avaient pas permis « de déterminer de façon précise le lieu d’émission », d’autre part, « le seul fait que les propos aient été accessibles depuis le territoire français ne caractérise pas un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître ».

Statuant au visa de l’article 113-2-1 du Code pénal[2], la Chambre criminelle a censuré l’arrêt d’appel et juge que la Cour a méconnu le texte précité dès lors que :

  • en premier lieu, « il est constant que M. … réside en France, de sorte que les infractions poursuivies étaient réputées commises en France» ;
  • en second lieu, « c’est en contradiction avec leur décision d’incompétence que les juges se sont ensuite prononcés sur la responsabilité pénale du prévenu».

L’arrêt d’appel est par ailleurs censuré à un autre titre au motif que si la Cour d’appel a, « à juste titre », écarté le « le régime de responsabilité de plein droit prévu par l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, qui ne s’applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France, les juges ont retenu qu’il n’était pas établi que M. … soit le directeur de publication du site internet et ont écarté sa responsabilité de ce chef. », les juges ne pouvaient s’abstenir de rechercher si le prévenu avait contribué, d’une autre manière, à la diffusion sur le territoire français des propos qui visaient l’auteur du pourvoi :

« En prononçant ainsi, alors qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher, en appréciant le mode de participation du prévenu aux faits poursuivis dans les termes du droit commun, s’il avait contribué personnellement à la diffusion en France, sur un site internet édité à l’étranger, des propos litigieux, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »

Ce faisant, la Chambre criminelle rappelle sa conception extensive de la compétence des juridictions françaises pour des propos visant des personnes résidant en France, et ce quand bien même le support de publication serait édité à l’étranger.

[1] Cass. Crim., 7 novembre 2023, n° 22-86.349.

[2] Article 113-2-1 du Code pénal : « Tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République. »