Le Conseil constitutionnel vient de se prononcer à nouveau sur l’inconstitutionnalité de l’article 51-1 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Créé par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 – laquelle a notamment réformé la procédure de mise en examen pour les délits de diffamation et d’injure, cet article, avait vocation à simplifier la mise en examen en matière d’infraction de presse avec l’instauration d’un régime dérogatoire à l’instruction des délits susmentionnés.
- L’inconstitutionnalité de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse
La Cour de cassation[1] a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), portant sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 51-1[2] de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019.
La QPC était formulée de la manière suivante :
« Les dispositions de l’article 51-1 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 sont-elles contraires au principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce que le juge d’instruction qui informe une personne de son intention de la mettre en examen par lettre recommandée avec demande d’avis de réception n’a pas l’obligation de notifier à celle-ci son droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer alors que ce courrier avise la personne de son droit de faire connaître des observations écrites et l’invite à répondre à différentes questions écrites ? »
Le Conseil constitutionnel précise dans sa décision du 17 mai 2024, n°2024-1089 QPC que la question prioritaire de constitutionnalité concerne le deuxième alinéa de l’article 51-1 précité :
« Il informe la personne de son intention de la mettre en examen par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en précisant chacun des faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification juridique et en l’avisant de son droit de faire connaître des observations écrites dans un délai d’un mois.»
Plus particulièrement, les Sages de la rue de Montpensier ajoutent que la QPC « porte sur les mots « et en l’avalisant de son droit de faire connaître des observations écrites dans un délai d’un mois » (…), ainsi que sur la deuxième phrase » du deuxième alinéa.
Le requérant reprochait en effet à cette disposition de ne pas prévoir le droit de se taire lorsqu’une mise en examen était envisagée.
Le Conseil constitutionnel rappelle dans cette décision que le droit de se taire est un droit fondamental, qui découle de la présomption d’innocence de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 aux termes duquel :
« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
L’argument du requérant est ensuite analysé en deux temps.
Premièrement, le Conseil constitutionnel décrit l’office confié au juge d’instruction lorsqu’il est saisi en matière de diffamation ou d’injure publiques.
A cet égard, le Conseil constitutionnel expose que :
« l’office confié au juge d’instruction peut le conduire à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charges contre la personne dont il envisage la mise en examen. »
Deuxièmement, il tire une conclusion de cette présentation textuelle :
« le fait même que le juge d’instruction l’invite à présenter des observations et, le cas échéant, à répondre à ses questions, peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ».
Or, insiste le Conseil constitutionnel :
« les observations ou les réponses de la personne dont la mise en examen est envisagée sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement. »
Tirant les conclusions de ce constat, il déclare la disposition contestée inconstitutionnelle dès lors que :
« en ne prévoyant pas que cette personne doit être informée de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 »
Par cette décision, le Conseil constitutionnel rappelle que les modalités de mise en examen en matière de presse, même si elles disposent d’un caractère simplifié, doivent se conformer au droits garantis à toute personne dont la mise en examen est envisagée.
Le courrier adressé par le juge à l’individu qu’il envisage de mettre en examen devra donc, à terme, nécessairement mentionner le droit au silence qu’il est libre d’exercer.
A terme seulement car, concernant la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel précise que, dans la mesure où une abrogation immédiate entrainerait nécessairement « des conséquences manifestement excessives », celle-ci est reportée au 1er juin 2025.
Toutefois, dans l’attente d’une abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou de l’adoption d’une nouvelle loi, et « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision », le juge d’instruction devra notifier son droit de se taire à la personne qu’il envisage de mettre en examen.
En tout état de cause, à compter du 1er juin 2025, il reviendra alors aux magistrats instructeurs mais aussi aux avocats de vérifier que la mise en examen comporte bien la mention du droit au silence.
- L’article 51-1 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 n’est pas un inconnu au Conseil constitutionnel
Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel l’article 51-1. Cette décision s’inscrit dans le sillage d’une décision du 14 septembre 2021, à l’occasion de laquelle cet article avait déjà été déclaré contraire à la Constitution.
Cette première QPC[3] portait sur le dernier alinéa de l’article 51-1 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui disposait que :
« Les III à VIII de l’article 175 du même code ne sont pas applicables. S’il n’a pas reçu les réquisitions du procureur de la République dans un délai de deux mois après la communication du dossier prévu au I du même article 175, le juge d’instruction rend l’ordonnance de règlement »
Cet alinéa avait pour effet de priver les parties, dès l’envoi de l’avis de fin d’information, de la possibilité d’obtenir l’annulation d’un acte ou d’une pièce de procédure antérieur.
Estimant que l’application de l’article 51-1 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 « méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif », la disposition avait été déclarée inconstitutionnelle.
On peut se demander, si en voulant simplifier la procédure de mise en examen en matière de presse, le législateur ne serait pas allé, une fois de plus, un peu trop vite…
[1] Cass. Crim., 13 février 202, n° 23-90.023.
[2] « Par dérogation aux articles 80-1 et 116 du code de procédure pénale, le juge d’instruction qui envisage de mettre en examen une personne pour le délit de diffamation ou d’injure procède conformément aux dispositions du présent article.
Il informe la personne de son intention de la mettre en examen par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en précisant chacun des faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification juridique et en l’avisant de son droit de faire connaître des observations écrites dans un délai d’un mois. Sous réserve des dispositions du troisième alinéa, il peut aussi, par le même avis, interroger la personne par écrit afin de solliciter, dans le même délai, sa réponse à différentes questions écrites. En ce cas, la personne est informée qu’elle peut choisir de répondre auxdites questions directement en demandant à être entendue par le juge d’instruction.
Le juge d’instruction ne peut instruire sur les preuves éventuelles de la vérité des faits diffamatoires, ni sur celles de la bonne foi en matière de diffamation, ni non plus instruire sur l’éventuelle excuse de provocation en matière d’injure.
Lors de l’envoi de l’avis prévu au deuxième alinéa du présent article, la personne est informée de son droit de désigner un avocat. En ce cas, la procédure est mise à la disposition de l’avocat désigné durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet d’instruction. Les avocats peuvent également se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier dans les conditions mentionnées à l’article 114 du code de procédure pénale.
A l’issue d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis mentionné au deuxième alinéa du présent article, le juge d’instruction peut procéder à la mise en examen en adressant à la personne et à son avocat une lettre recommandée avec demande d’avis de réception selon les modalités prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 113-8 du code de procédure pénale. Il informe à cette occasion la personne que, si elle demande à être entendue par le juge d’instruction, celui-ci est tenu de procéder à son interrogatoire. »
[3] Décision n° 2021-929/941 QPC du 14 septembre 2021 (Mme Mireille F. et autre)