Brèves juridiques

Les « procédures bâillons » en débat ! Suite, mais pas fin (loin de là)

By 19 octobre 2022 No Comments

Dans une précédente news, nous alertions sur la difficile mise en balance de la liberté d’expression et de l’accès à la justice, alors que la Commission européenne a publié le 27 avril 2022 une recommandation et une proposition de directive sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives (« poursuites stratégiques altérant le débat public »[1]).

La proposition de directive s’inscrit dans le cadre de la coopération judiciaire entre Etats membres repose sur les dispositions de l’article 81, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), relatives à la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière et « Plus précisément, la base juridique est l’article 81, paragraphe 2, point f), du TFUE, qui habilite le Parlement européen et le Conseil à adopter des mesures visant à garantir « l’élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États membres ». »

Ce mercredi 12 octobre 2022, le sujet a été débattu lors d’un événement organisé par le Comité Stratégique Avocats Lefebvre Dalloz.

S’il a été rappelé que la proposition de directive ne concerne que les procédures civiles et commerciales, le Conseil de l’Europe travaille cependant sur un texte qui inclurait la procédure pénale et qui devrait être finalisé vers la fin de l’année 2023, puis proposé au Comité des ministres début 2024. Le groupe de travail actuellement à l’œuvre sur ledit texte prévoit de définir un faisceau d’indices qui permettrait d’identifier une procédure bâillon. A n’en pas douter, l’exercice est délicat.

Cet élargissement notable, puisqu’il est susceptible d’influer sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, suppose que tous les praticiens du droit s’interrogent sur les conséquences concrètes de procédures permettant de rejeter de manière anticipée les actions manifestement infondées et de sanctionner celles qui seraient manifestement abusives.

En matière de presse, définir objectivement une procédure manifestement infondée, ou subjectivement, une procédure manifestement abusive, relève de la gageure, si ce n’est de la quadrature du cercle…

Se pose aussi la question des conséquences d’une procédure de rejet anticipé en termes de délai de procédure et de célérité de la justice : en effet, les recours susceptibles d’être engagés dans le cadre d’une procédure de rejet anticipé risquent d’allonger considérablement les délais pour aboutir à une décision définitive.

S’agissant des avocats, à s’exposer encore davantage à des procédures disciplinaires ou en responsabilité civile professionnelle, on peut légitimement se demander si nombre d’entre eux ne préféreront pas abandonner le droit de la presse s’il devait devenir trop risqué de le pratiquer.

D’ailleurs, dans sa recommandation du 27 avril 2022, la Commission européenne invite les Etats membres à « encourager les organes d’autorégulation et les associations de professionnels du droit à aligner, si nécessaire, leurs normes déontologiques, notamment leurs codes de conduite, sur la présente recommandation. Les États membres devraient également veiller, le cas échéant, à ce que les normes déontologiques qui visent à dissuader ou à empêcher les professionnels du droit d’adopter une conduite susceptible de constituer un abus de procédure ou un abus de leurs autres responsabilités professionnelles à l’égard de l’intégrité de la procédure judiciaire, ainsi que les sanctions disciplinaires correspondantes, couvrent les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives altérant le débat public. Cela devrait s’accompagner d’activités de sensibilisation et de formation adéquates afin d’accroître la connaissance et l’efficacité des normes déontologiques existantes qui s’appliquent aux procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives altérant le débat public. ».

Affaire à suivre donc, et de très près !

 

[1] Ou, en anglais, « Strategic Lawsuits Against Public Participation » (SLAPP).