Dans une précédente news, nous avions relayé un arrêt du 24 juin 2022 (non publiable en l’état) aux termes duquel la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a précisé le champ d’application du nouvel article 60-1-2 du code procédure pénale [1] ; article issu d’un cavalier législatif lors de l’adoption de la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire.
Obtenue par notre cabinet, cette décision était venue rassurer les praticiens sur la préservation des moyens permettant d’identifier le ou les auteurs de délits de presse en jugeant que l’article 60-1-2 du code de procédure pénale ne fait pas obstacle à l’identification des destinataires des services assurant le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par ces destinataires, notamment l’identité de l’utilisateur du compte hébergé, dans la mesure où la communication requise dans le cadre de l’information judiciaire portant sur un délit de presse se limitera aux données listées aux articles 2 et 3 du décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021 [2] .
En effet, ainsi que nous avons pu le souligner à de nombreuses reprises, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [3], d’une part, son interprétation et sa mise en œuvre par la Cour de cassation [4], d’autre part, ont soulevé de vives inquiétudes quant au risque d’impunité des auteurs d’infractions, autres que celles relevant de la « criminalité grave », en raison des exigences extrêmement strictes du droit européen concernant la conservation et l’accès aux données de connexion.
Ce risque d’impunité a même incité Monsieur Maciej SZPUNAR, avocat général près la CJUE, à proposer récemment une exception à la jurisprudence de la Cour pour les infractions commises en ligne.
Dans une affaire similaire, avant la création de l’article 60-1-2 du code de procédure pénale, la Cour d’appel de Paris avait infirmé une ordonnance de non-lieu du magistrat instructeur, motivée par l’impossibilité d’identifier les auteurs des propos incriminés alors qu’aucune réponse n’était adressée aux réquisitions aux motifs que les faits de diffamation et injures publiques n’étaient pas réprimés par les Etats concernés.
A cette occasion, la Cour avait rappelé que l’émission d’une commission rogatoire internationale ne supposait en rien la nécessité d’une double incrimination.
Le dossier avait donc été retourné au juge d’instruction auquel il appartenait de vérifier les actes et diligences concrètes pouvant être accomplis dans le cas d’espèce et, notamment, la possibilité de l’émission ou l’exécution d’une commission rogatoire internationale ; mesure qui, ainsi que le précisaient déjà les juges d’appel dans l’arrêt précité, ne suppose pas la nécessité d’une double incrimination.
Pourtant, après le retour du dossier au juge d’instruction, seuls étaient cotés à la procédure des courriers de magistrats de liaison au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, rédigés en des termes extrêmement généraux, sans référence à la procédure concernée et dont l’un était même antérieur à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
Une nouvelle ordonnance de non-lieu était alors rendue par le juge d’instruction qui, outre les courriers précités des magistrats de liaison, avançait l’argument selon lequel les dispositions de l’article 60-1-2 du code de procédure pénale feraient obstacle à la poursuite de l’information judiciaire, au motif que les réquisitions qu’elles prévoient ne sont pas possibles dans le cadre de procédures pénales relatives à des infractions punies de moins d’un an d’emprisonnement.
Saisie d’un appel contre cette nouvelle ordonnance, la Chambre de l’instruction a dû se résoudre, dans un arrêt (non publiable à ce jour) du 9 novembre 2022, à faire une nouvelle fois œuvre de pédagogie pour expliquer en quoi rien dans les motifs retenus par le magistrat instructeur ne justifiait une impossibilité de poursuivre l’information judiciaire.
La Chambre de l’instruction rappelle ainsi que les restrictions apportées par l’article 60-1-2 du code de procédure pénale concernent les données dites « techniques », c’est-à-dire celles « mentionnées aux 3° du II bis de l’article L.34-1 du code des postes et communications électroniques », ou les « données de trafic et de localisation mentionnées au III du même article L.34-1 ».
Concrètement, il s’agit, d’une part, des données telles que l’adresse IP, le numéro d’identifiant de l’utilisateur, le numéro d’identification du terminal et le numéro de téléphone à l’origine de la communication [5], d’autre part, les caractéristiques ainsi que la date, l’horaire et la durée de chaque communication, les données permettant d’identifier le destinataire ou encore, la localisation de la communication lorsque l’opération est effectuée à l’aide d’un téléphone mobile [6].
En d’autres termes, ainsi que la Chambre de l’instruction l’avait déjà précisé dans une autre espèce, l’article 60-1-2 du code de procédure pénale ne fait pas obstacle à la prise de réquisitions relatives aux données d’identification (identité civile de l’utilisateur d’un compte d’un réseau social ou aux informations fournies par lui au moment de sa souscription).
Nous avions détaillé ce raisonnement dans notre news précédente et indiqué que :
« La Cour précise également que l’intention du législateur concernant l’article 60-1-2 du code de procédure pénale était en effet d’assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, le droit au respect à la vie privée et, d’autre part, la recherche des auteurs d’infractions de harcèlement scolaire commis par le biais des réseaux sociaux, en prévoyant de restreindre à des cas spécifiquement listés dans le corps de ce texte, le recours aux réquisitions portant sur les données de connexion, sur les équipements terminaux utilisés, ainsi que sur les données de trafic et de localisation.
Dans ces conditions, une réquisition de communiquer délivrée à l’hébergeur peut valablement porter sur les données suivantes :
- Les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;
- La ou les adresses postales associées ;
- La ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;
- Le ou les numéros de téléphone ;
- L’identifiant utilisé ;
- Le ou les pseudonymes utilisés ;
- Les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernières version mise à jour.»
On ne peut, dès lors, que s’étonner qu’une nouvelle ordonnance de non-lieu ait été rendue et, en revanche, ne pas être surpris de son infirmation et du renvoi, à nouveau, du dossier au magistrat instructeur par la Chambre de l’instruction ; laquelle insiste :
◼ d’abord, au visa de l’article 81 du code de procédure pénale [7], nonobstant les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la loi de la presse [8], sur l’obligation pour le juge d’instruction « d’identifier et de localiser le ou les auteurs des propos incriminés»;
◼ ensuite, et au cas d’espèce, sur le fait que l’émission ou l’exécution d’une commission rogatoire internationale ne suppose pas la nécessité d’une double incrimination, et que, par voie de conséquence, un courrier rédigé en des termes généraux, par lequel un magistrat de liaison se contente de préciser que les faits de diffamation et d’injure publiques ne sont pas réprimés par l’Etat où sont situés les sièges des réseaux sociaux sur lesquels les propos incriminés ont été publiés, ne suffit pas « à justifier un non-lieu à suivre».
Des diligences concrètes devront donc être mises en œuvre par le juge d’instruction, sans que l’article 60-1-2 du code de procédure pénale ne puisse constituer un quelconque obstacle.
Reste à souhaiter que cet enseignement infuse dans les galeries d’instruction, pour éviter un engorgement inutile de la Chambre de l’instruction et, peut-être surtout, faire aboutir, dans la mesure du possible, des procédures dont les magistrats instructeurs sont saisis en matière de délits de presse.
[1] « A peine de nullité, les réquisitions portant sur les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ou sur les données de trafic et de localisation mentionnées au III du même article L. 34-1 ne sont possibles, si les nécessités de la procédure l’exigent, que dans les cas suivants :
1° La procédure porte sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ;
2° La procédure porte sur un délit puni d’au moins un an d’emprisonnement commis par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques et ces réquisitions ont pour seul objet d’identifier l’auteur de l’infraction ;
3° Ces réquisitions concernent les équipements terminaux de la victime et interviennent à la demande de celle-ci en cas de délit puni d’une peine d’emprisonnement ;
4° Ces réquisitions tendent à retrouver une personne disparue dans le cadre des procédures prévues aux articles 74-1 ou 80-4 du présent code ou sont effectuées dans le cadre de la procédure prévue à l’article 706-106-4. »
[2] C’est-à-dire les nom, prénom, date et lieu de naissance, adresses postales associées, adresse de courrier électronique, numéros de téléphone (article 2 du décret) et l’identifiant utilisé, le ou les pseudonymes utilisés, les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour (article 3 du décret)
[3] CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a, French Data Network e.a, C- 511/18, C- 512/18, C- 520/18.
[4] Note explicative relative aux arrêts de la chambre criminelle du 12 juillet 2022 (pourvois n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652)
[5] Article R.10-13 du code des postes et communications électroniques précise en son IV :
« IV.-Les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1, que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver, sont :
1° L’adresse IP attribuée à la source de la connexion et le port associé ;
2° Le numéro d’identifiant de l’utilisateur ;
3° Le numéro d’identification du terminal ;
4° Le numéro de téléphone à l’origine de la communication. »
[6] Article R.10-13 du code des postes et communications électroniques dispose en son V :
« V.-Les données de trafic et de localisation mentionnées au III de l’article L. 34-1, que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver sur injonction du Premier ministre, sont :
1° Les caractéristiques techniques ainsi que la date, l’horaire et la durée de chaque communication ;
2° Les données relatives aux services complémentaires demandés ou utilisés et leurs fournisseurs ;
3° Les données techniques permettant d’identifier le ou les destinataires de la communication, mentionnées aux 1° à 4° du IV du présent article;
4° Pour les opérations effectuées à l’aide de téléphones mobiles, les données permettant d’identifier la localisation de la communication.
- – Les surcoûts identifiables et spécifiques supportés par les opérateurs requis par les autorités judiciaires pour la fourniture des données relevant des catégories mentionnées au présent article sont compensés selon les modalités prévues à l’article R. 213-1 du code de procédure pénale.»
[7] Dont le premier alinéa dispose que :
« Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. »
[8] Article qui, en son troisième alinéa, précise que :
« Le juge d’instruction ne peut instruire sur les preuves éventuelles de la vérité des faits diffamatoires, ni sur celles de la bonne foi en matière de diffamation, ni non plus instruire sur l’éventuelle excuse de provocation en matière d’injure. »