Brèves juridiques

Diffamation et injure sur Internet : la Cour d’appel de Paris précise le champ d’application du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale et préserve l’accès judiciaire aux données d’identification détenues par les hébergeurs.

By 8 juillet 2022 No Comments

Lombard Baratelli Astolfe & associés vient d’obtenir une décision de la Cour d’appel de Paris favorable à la recherche des auteurs de délits de presse commis sur internet.

Le nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale[1], issu d’une loi dont l’objet était la lutte contre le harcèlement scolaire, est venu limiter aux délits punis d’au moins un an d’emprisonnement l’accès judiciaire aux données détenues par les hébergeurs, excluant ainsi les délits de diffamation et injure sur internet :

« A peine de nullité, les réquisitions portant sur les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ou sur les données de trafic et de localisation mentionnées au III du même article L. 34-1 ne sont possibles, si les nécessités de la procédure l’exigent, que dans les cas suivants :

1° La procédure porte sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ;

2° La procédure porte sur un délit puni d’au moins un an d’emprisonnement commis par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques et ces réquisitions ont pour seul objet d’identifier l’auteur de l’infraction ;

3° Ces réquisitions concernent les équipements terminaux de la victime et interviennent à la demande de celle-ci en cas de délit puni d’une peine d’emprisonnement ;

4° Ces réquisitions tendent à retrouver une personne disparue dans le cadre des procédures prévues aux articles 74-1 ou 80-4 du présent code ou sont effectuées dans le cadre de la procédure prévue à l’article 706-106-4. »

Ce cavalier législatif fait suite, d’abord, à la modification de l’article 34-1 du code des postes et des communications électroniques[2], qui prévoit désormais la conservation « des données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés » pour les seuls besoins de « la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale », puis à la publication du décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021, aux termes duquel les informations relatives à l’identité du contributeur ne comprennent plus l’adresse IP[3].

Les praticiens craignaient que l’adoption de l’article 60-1-2 du code de procédure pénale rende difficile l’identification auprès des hébergeurs des auteurs de diffamation ou d’injure sur internet, souvent dissimulés derrière des pseudonymes.

La Cour d’appel vient toutefois d’apporter une réponse rassurante en retenant, dans un arrêt tout récent (non publiable à ce jour), que l’article 60-1-2 du code de procédure pénale ne fait pas obstacle à l’identification des destinataires des services assurant le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par ces destinataires, notamment l’identité de l’utilisateur du compte hébergé, dans la mesure où la communication requise dans le cadre de l’information judiciaire portant sur un délit de presse se limitera aux données listées aux articles 2 et 3 du décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021[4].

La Cour précise également que l’intention du législateur concernant l’article 60-1-2 du code de procédure pénale était en effet d’assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, le droit au respect à la vie privée et, d’autre part, la recherche des auteurs d’infractions de harcèlement scolaire commis par le biais des réseaux sociaux, en prévoyant de restreindre à des cas spécifiquement listés dans le corps de ce texte, le recours aux réquisitions portant sur les données de connexion, sur les équipements terminaux utilisés, ainsi que sur les données de trafic et de localisation.

Dans ces conditions, une réquisition de communiquer délivrée à l’hébergeur peut valablement porter sur les données suivantes :

  • Les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;
  • La ou les adresses postales associées ;
  • La ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;
  • Le ou les numéros de téléphone ;
  • L’identifiant utilisé ;
  • Le ou les pseudonymes utilisés ;
  • Les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernières version mise à jour.

Le nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale ne viendra donc pas, en principe, totalement restreindre l’accès au juge qui aurait naturellement été rendu plus complexe et moins effectif s’il était devenu quasi impossible d’identifier les auteurs des infractions.

En revanche, les praticiens du droit de la presse doivent rester vigilants à ce que les magistrats instructeurs usent bien de tous les moyens et procédures dont ils disposent pour obtenir les informations permettant d’identifier les auteurs des propos diffamatoires ou injurieux (demande d’entraide internationale, décision d’enquête européenne).

Un tel éclairage sur la portée effective de ces dispositions est bienvenu pour les praticiens n’ayant pas eu jusqu’alors de réponses aux questions qu’il se posaient.

Pour mémoire, on rappellera que le Conseil constitutionnel vient de déclarer conformes à la Constitution les articles 60-1 et 60-2 du code procédure pénale qui permettent, dans le cadre d’une enquête de flagrance, de requérir des données de connexion sous le seul contrôle, de la proportionnalité de la mesure, par le procureur de la République. La qualité de magistrat de l’ordre judiciaire du procureur ainsi que la brièveté d’une enquête de flagrance suffisent pour considérer que « les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée. » (Cons. Constitutionnel, 20 mai 2022, n° 2022-993 QPC, cons. 14).

 

[1] Issu de l’article 12 de la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire.

 

[2] Opérée par l’article 17 de de la loi n°2021-998 du 30 juillet 2021.

 

[3] L’adresse IP est une donnée technique aux termes de l’article 5 du décret :

« Les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, que les personnes mentionnées à l’article 1er sont tenues de conserver jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux, sont les suivantes :

1° Pour les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée et pour chaque connexion de leurs abonnés :

  1. a) L’identifiant de la connexion ;
  2. b) L’identifiant attribué par ces personnes à l’abonné ;
  3. c) L’adresse IP attribuée à la source de la connexion et le port associé ;

2° Pour les personnes mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée et pour chaque opération de création d’un contenu telle que définie à l’article 6 :

  1. a) L’identifiant de la connexion à l’origine de la communication ;
  2. b) Les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus.

Le délai mentionné au premier alinéa du présent article court à compter du jour de la connexion ou de la création d’un contenu, pour chaque opération contribuant à cette création. »

[4] C’est-à-dire les nom, prénom, date et lieu de naissance, adresses postales associées, adresse de courrier électronique, numéros de téléphone (article 2 du décret) et l’identifiant utilisé, le ou les pseudonymes utilisés, les données destinées à permettre à l’utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l’intermédiaire d’un double système d’identification de l’utilisateur, dans leur dernière version mise à jour (article 3 du décret).