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Vers l’extension du droit à l’effacement aux journaux officiels des Etats membres de l’Union européenne ?

By | Brèves juridiques

Les juridictions belges semblent être une source inépuisable d’évolutions et d’enrichissements de la jurisprudence européenne (CEDH et CJUE) du droit à l’effacement.

Dans notre News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 26 juillet 2023, nous avions déjà évoqué un arrêt de Grande Chambre du 4 juillet 2023 de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui avait confirmé la position des juridictions belges ; lesquelles avaient jugé que « l’archivage électronique d’un article relatif (…) ne doit pas créer (…) une sorte de « casier judiciaire virtuel » ».

Dans la décision qui nous intéresse ici, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 11 janvier 2024, aff. C-231/22) aborde un aspect bien plus spécifique du droit à l’effacement défini à l’article 17 du règlement général sur la protection des données[1] (RGPD).

En effet, sur renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, introduit par la Cour d’appel de Bruxelles, la CJUE s’est prononcée sur une demande « présentée dans le cadre d’un litige opposant l’État belge à l’Autorité de protection des données (Belgique) (ci-après l’« APD »), qui est l’autorité de contrôle instituée en Belgique en vertu de l’article 51 du RGPD, au sujet d’une décision par laquelle cette autorité a enjoint à l’autorité gérant le Moniteur belge, le Journal officiel qui assure, dans cet État membre, la production et la diffusion d’un large éventail de publications officielles et publiques sur papier et par voie électronique, de donner suite à l’exercice, par une personne physique, de son droit à l’effacement concernant plusieurs données à caractère personnel figurant dans un acte publié dans ce Journal officiel. ».

En l’espèce, si la Cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la CJUE, c’est précisément pour connaître son interprétation de l’article 4 point 7 du RGPD qui définit la qualité de « responsable de traitement » et les éventuelles conséquences de son application à l’organisme chargé du journal officiel d’un Etat membre, au regard des dispositions de l’article 5 § 2 dudit règlement ; lequel fait peser sur le « responsable du traitement » la « responsabilité » d’un traitement respectant les obligations du RGPD prévues au § 1 du même article.

Un journal officiel opérant une simple publication est un « responsable de traitement » au sens du RGPD

Dans cette affaire, le « Moniteur belge » a simplement effectué, en application de dispositions légales, la publication numérique d’un document papier – un extrait de décision, préparé un notaire, de l’assemblée générale d’une société portant réduction de son capital social – qui lui avait été transmis par un tribunal ; extrait comportant, à la suite d’une erreur du notaire, des données à caractère personnel qui n’auraient pas dû y figurer :

« Le même extrait contient la décision de réduire le capital de ladite société, le montant initial de ce capital, le montant de la réduction concernée ainsi que le nouveau montant du capital social et le nouveau texte des statuts de la même société. Il contient également un passage dans lequel sont indiqués le nom des deux associés de cette dernière, dont celui de la personne physique mentionnée au point 13 du présent arrêt, les montants qui leur ont été remboursés ainsi que leurs numéros de compte bancaire (ci-après le « passage en cause au principal »). »

Pour répondre à la question de savoir si le « Moniteur belge » revêt ou non la qualité de responsable de traitement, la CJUE relève, après avoir constaté un « traitement » de données personnelles, que l’absence de contrôle du contenu du document publié ou de pouvoir de modification de celui-ci n’est pas de nature à priver ce journal officiel de la qualité de « responsable de traitement » au sens de l’article 4 point 7 du RGPD :

« le fait que, en vertu du droit national, le Moniteur belge ne contrôle pas, avant leur publication dans ce Journal officiel, les données à caractère personnel figurant dans les actes et les documents reçus par ledit Journal officiel ne saurait avoir une incidence sur le point de savoir si le Moniteur belge peut être qualifié de responsable du traitement. En effet, s’il est vrai que le Moniteur belge doit publier le document concerné tel quel, c’est lui seul qui assume cette tâche et diffuse ensuite l’acte ou le document concerné. D’une part, la publication de tels actes et de tels documents sans possibilité de contrôle ni de modification de leur contenu est intrinsèquement liée aux finalités et aux moyens du traitement déterminés par le droit national, en ce que le rôle d’un Journal officiel tel que le Moniteur belge se limite à informer le public de l’existence de ces actes et de ces documents, tels qu’ils sont transmis à ce Journal officiel sous la forme de copie conformément au droit national applicable, de manière à les rendre opposables aux tiers. D’autre part, il serait contraire à l’objectif de l’article 4, point 7, du RGPD, visé au point 28 du présent arrêt, d’exclure de la notion de « responsable du traitement » le Journal officiel d’un État membre au motif que ce dernier n’exerce pas de contrôle sur les données à caractère personnel figurant dans ses publications (voir, par analogie, arrêt du 13 mai 2014, Google Spain et Google, C‑131/12, EU:C:2014:317, point 34). »[2]

Une responsabilité à définir au regard des dispositions du droit national

Pour ce qui est de déterminer sur qui pèse – dans une telle situation où une série de traitements de données personnelles a été effectuée par plusieurs « responsables » –  la « responsabilité » du respect des obligations définies au § 1 de l’article 5 du RGPD (objet de la seconde question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Bruxelles), la CJUE s’est demandée si le journal officiel, pourtant intervenu en bout de chaîne, est le seul responsable :

« la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 2, du RGPD doit être interprété en ce sens que le service ou l’organisme chargé du Journal officiel d’un État membre, qualifié de « responsable du traitement », au sens de l’article 4, point 7, du RGPD, doit être tenu pour seul responsable du respect des principes visés à l’article 5, paragraphe 1, du RGPD ou bien si ce respect incombe de manière cumulative à ce service ou à cet organisme et aux entités publiques tierces qui ont traité préalablement les données à caractère personnel figurant dans les actes et les documents publiés par ce Journal officiel. »

La CJUE renvoie dans sa réponse au droit national.

En effet, si :

  • d’abord, la Cour précise que « le Moniteur belge doit être considéré comme étant, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du RGPD, responsable du respect des principes visés au paragraphe 1 de cet article, en ce qui concerne les traitements qu’il est tenu d’effectuer en vertu du droit national, et, partant, de l’ensemble des obligations imposées au responsable du traitement par le RGPD » ;

 

  • elle ajoute, ensuite, que dès lors que « l’article 26, paragraphe 1, du RGPD prévoit une responsabilité conjointe lorsque deux responsables du traitement ou plus déterminent conjointement les finalités et les moyens d’un traitement de données à caractère personnel », il convient de se rapporter aux dispositions du droit national applicables pour savoir si des responsabilités conjointes sont prévues. A défaut, le journal officiel pourrait être tenu seul responsable du respect des principes fixés à l’article 5 § 1 du RGPD et ce quand bien même il ne serait pas l’unique « responsable de traitement » des données personnelles en cause :

« Il résulte des points 44 à 48 du présent arrêt que, en vertu des dispositions combinées de l’article 26, paragraphe 1, et de l’article 4, point 7, du RGPD, la responsabilité conjointe de plusieurs acteurs d’une chaîne de traitements portant sur les mêmes données à caractère personnel peut être établie par le droit national pour autant que les différentes opérations de traitement soient unies par des finalités et des moyens déterminés par ce droit et que celui-ci définisse les obligations respectives de chacun des responsables conjoints du traitement. Il convient de préciser qu’une telle détermination des finalités et des moyens unissant les différents traitements opérés par plusieurs acteurs d’une chaîne ainsi que des obligations respectives de ceux-ci peut être effectuée non seulement de manière directe, mais également de manière indirecte par le droit national, à condition, dans ce dernier cas de figure, qu’elle puisse se déduire de manière suffisamment explicite des dispositions légales régissant les personnes ou les entités concernées ainsi que le traitement des données à caractère personnel qu’elles opèrent dans le cadre de la chaîne de traitements imposée par ce droit.

(…)

Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 5, paragraphe 2, du RGPD, lu en combinaison avec l’article 4, point 7, et l’article 26, paragraphe 1, de celui-ci, doit être interprété en ce sens que le service ou l’organisme chargé du Journal officiel d’un État membre, qualifié de « responsable du traitement », au sens de l’article 4, point 7, de ce règlement, est seul responsable du respect des principes visés à l’article 5, paragraphe 1, de celui-ci en ce qui concerne les opérations de traitement des données à caractère personnel qu’il est tenu d’effectuer en vertu du droit national, à moins qu’une responsabilité conjointe avec d’autres entités au regard de ces opérations ne découle de ce droit. »

On retiendra donc, à la lecture de cet arrêt de la CJUE, que la portée du droit à l’effacement s’avère d’autant plus grande que la qualité de « responsable de traitement » s’apprécie largement.

C’est bien le sens de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

 

[1] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.

[2] Mis en gras par nos soins.

CEDH : La condamnation pour diffamation publique d’une personne ayant dénoncé le harcèlement moral et sexuel qu’elle estimait subir méconnaît la liberté d’expression

By | Brèves juridiques

Voilà une décision qui devrait renforcer la libération de la parole des personnes s’estimant victime de faits de harcèlement moral et sexuel.

En effet, dans son arrêt Allée c. France du 18 janvier 2024[1], la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé que la « condamnation pénale pour diffamation publique de la requérante qui se plaignait d’un harcèlement moral et sexuel méconnaît l’article 10 de la Convention »[2].

Employée d’une association, la requérante avait demandé à l’un de ses directeurs d’être affectée à un autre poste en raison du comportement du Vice-président exécutif de ladite association – père dudit directeur –  ; comportement qu’elle estimait constitutif de faits de harcèlement.

Rendu destinataire d’un SMS de l’époux de la requérante dénonçant des faits de harcèlement et d’agression sexuelle, le Directeur général de l’association ne proposa à celle-ci que de se placer en arrêt de travail dans l’attente d’une éventuelle rupture conventionnelle ou d’un changement d’affectation.

La requérante adressa alors un courriel au Directeur général de l’association avec copie à l’inspecteur du travail, ainsi qu’à son époux, au Vice-président exécutif précité et deux de ses fils, dont l’objet était « Agression sexuelle, Harcèlement sexuel et moral ».

Son époux publia également sur un mur Facebook un post reprenant les faits allégués qualifiés par lui de « scandale sexuel » dans lequel la famille du Vice-président et l’association qui employait la requérante étaient citées.

A la suite de ces courriels et de cette dernière publication, le Vice-président de l’association délivra à la requérante et à son époux une citation directe devant le Tribunal correctionnel de Paris du chef de diffamation publique.

Condamnée par le Tribunal correctionnel, qui avait retenu le caractère public du propos jugé diffamatoire au sens de l’article 29 § 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la requérante a vu le jugement partiellement confirmé en appel ; la Cour d’appel considérant que, si le montant de l’amende devait être diminuée, le bénéfice de l’excuse de bonne foi ne pouvait lui être accordé dès lors que rien ne venait démontrer les faits d’agression sexuelle.

La requérante forma un pourvoi en cassation « en se plaignant notamment d’une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi que de son « droit d’alerte » reconnu au salarié par le code du travail. »[3].

La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 26 novembre 2019 dans lequel elle juge :

  • d’une part, que la Cour d’appel a justifié sa décision dès lors que « Les juges relèvent que, s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir Mme Allée, rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle que celle-ci date de l’année 2015 et pour laquelle elle n’a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n’est des faits, au moins du désarroi de la victime.» ;

 

  • d’autre part, qu’en n’ayant pas réservé la révélation des agissements de harcèlement sexuel ou moral à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, la demanderesse au pourvoi ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité pénale :

 

« 18.  La personne poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime peut s’exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l’article 122-4 du code pénal, lorsqu’elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2, L. 1153‑3 et L. 4131-1, alinéa 1er, du code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions dudit code.

 

  1. Toutefois, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.

 

  1. Par ailleurs, (…) la cour d’appel a déduit, à juste titre, que Mme Allée ne pouvait bénéficier de l’excuse de bonne foi, les propos litigieux ne disposant pas d’une base factuelle suffisante. »

 

Il revenait donc à la CEDH, saisie par la requérante, de se prononcer sur une éventuelle violation par les juridictions françaises de son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention.

Aussi, c’est comme d’ordinaire, dans le cadre du contrôle de l’ingérence que représente une condamnation pénale dans l’exercice de la liberté d’expression que la CEDH s’est demandée :

  • en premier lieu, si l’interprétation stricte donnée par les juridictions internes des conditions d’exonération de responsabilité pénale était ou non excessive et, partant, si le courriel litigieux était public au sens de la loi sur la liberté de la presse.

Sur ce premier point, la CEDH estime que l’approche retenue par les juridictions internes « apparaît, dans les circonstances de l’espèce, excessivement restrictive au regard des exigences attachées au respect de l’article 10. »[4].

En effet, la Cour considère que compte tenu, d’une part, du contexte tendu dans lequel le courriel a été envoyé, d’autre part, du nombre réduit de personnes destinataires du courriel faisant que ce dernier ne saurait être perçu comme ayant vocation à être diffusé au public, les juges nationaux ont eu tort de reconnaître le caractère public dudit courriel :

« 47.  La Cour souligne que le courriel pour l’envoi duquel la requérante a été pénalement condamnée a été diffusé dans un contexte tendu mêlant le travail et la vie privée de l’intéressée. En effet, il a été consécutif à des démarches infructueuses de cette dernière puis de son époux alertant les cadres de l’association sur le comportement de A. à son égard. Tant les échanges antérieurs que le courriel litigieux avaient pour but de remédier à cette situation et de trouver une solution permettant à la requérante de ne plus travailler avec A.

 

  1. S’agissant, en premier lieu, des destinataires du courriel litigieux, la Cour rappelle qu’ils n’étaient qu’au nombre de six : le prétendu agresseur (alors vice-président exécutif de l’employeur), ses deux fils (dont l’un était également directeur spirituel de l’association et était déjà au courant des allégations), le directeur général de l’association, l’inspecteur du travail et enfin l’époux de l’intéressée (également au courant des allégations). Ainsi, sur ces six personnes, seul le second fils de A. était hors de l’affaire, tandis que toutes les autres étaient soit impliquées, directement ou indirectement dans cette dernière, soit habilitées à recevoir les dénonciations de harcèlement. La Cour considère dès lors qu’il s’agissait d’un texte envoyé à un nombre limité de personnes, n’ayant pas vocation à être diffusé au public (voir aussi Matalas, précité, § 55), mais dont le seul but était d’alerter les intéressés sur la situation de la requérante afin de trouver une solution permettant d’y mettre fin.»

 

  • en deuxième lieu, si, eu égard à la nature des propos litigieux, le bénéfice de l’excuse de bonne foi pouvait être refusé à la requérante au motif que ceux relatifs aux faits allégués d’agression sexuelle ne reposeraient pas sur une base factuelle suffisante.

 

Ici, la CEDH considère :

 

  • d’abord, que « requérante a agi en qualité de victimealléguée des faits qu’elle dénonçait », ce qui « entraine l’inopérance, dans l’exercice de mise en balance, du critère de l’existence d’un intérêt public ou d’un débat d’intérêt général. »[5] ;

 

  • ensuite, et par voie de conséquence, qu’au regard des exigences de l’article 10 de la Convention, il convient d’apporter une « protection appropriée aux personnes dénonçant les faits de harcèlement moral ou sexuel dont elles s’estiment les victimes»[6].

 

Aussi, alors qu’il est constant que plus les allégations sont sérieuses, plus la base factuelle doit être solide, la CEDH juge que « les juridictions nationales, en refusant d’adapter aux circonstances de l’espèce la notion de base factuelle suffisante et les critères de la bonne foi, ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu’elle rapporte la preuve des faits qu’elle entendait dénoncer. ».

 

En effet, la Cour « relève, ainsi que le fait valoir la requérante, que les faits dénoncés ont été commis sans témoins, et que l’absence de plainte relativement à de tels agissements ne saurait conduire à caractériser sa mauvaise foi ».

  • en troisième lieu, qu’il convient de prendre en compte le fait que ce n’est pas tant le courriel litigieux que la publication Facebook faite par son époux qui a généré de vives réactions et rendu publique l’affaire. Dans ces conditions, la CEDH « considère que le courriel envoyé par la requérante à six personnes dont une seulement était hors de l’affaire n’a entraîné, en tant que tel, que des effets limités sur la réputation de son prétendu agresseur. »[7].

 

  • en quatrième et dernier lieu, que même si l’amende prononcée à l’encontre de la requérante a été réduite en appel et que, partant, la peine ne saurait être « qualifiée de particulièrement sévère», il demeure qu’une condamnation pénale « comporte, par nature, un effet dissuasif susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves que ceux caractérisant, à leurs yeux, un harcèlement moral ou sexuel. »[8].

 

Aussi « Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction au droit de la requérante à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention »[9].

 

Par cette décision, dont l’apport relatif au caractère public du propos litigieux est déjà à lui seul intéressant en matière de délit de presse, la CEDH vient surtout de consacrer une approche protectrice des personnes qui s’estiment victime de faits de harcèlement moral et sexuel. On notera, en particulier, que la Cour, d’une part, se prononce en faveur d’une charge de la preuve raisonnable qui prend en compte les circonstances de l’espèce, d’autre part, attire l’attention des juridictions internes sur les conséquences restrictives d’une condamnation pénale sur l’exercice du droit à la liberté d’expression, en l’espèce, sur la dénonciation des faits de harcèlement.

Il ne faudrait toutefois pas en conclure que la CEDH invite à ne jamais condamner des prévenus qui auraient dénoncé des faits aucunement étayés. La Cour attire toutefois l’attention des juridictions internes sur une prise en considération très précise des circonstances de chaque espèce.

 

 

[1] CEDH, 18 janvier 2024, Allée c. France, req. N° 20725/20.

[2] Communiqué de presse de la CEDH publié le 18 janvier 2024.

[3] § 20 de l’arrêt.

[4] § 49 de l’arrêt.

[5] § 50 de l’arrêt.

[6] § 52 de l’arrêt.

[7] § 53 de l’arrêt.

[8] § 54 de l’arrêt.

[9] §55 de l’arrêt.

La captation par un journaliste d’actes d’enquête remise en cause par la Cour de cassation ?

By | Brèves juridiques

Dans son arrêt du 19 décembre 2023[1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur le pourvoi formé contre un arrêt du 17 février 2023, par lequel la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a rejeté la requête en nullité de pièces de la procédure, déposée par un mis en examen. La Chambre de l’instruction a également rejeté une demande de nullité de certains actes, formée par mémoire, à la suite et en raison de la diffusion à la télévision, d’un « reportage, dans lequel plusieurs scènes tirées de l’interpellation de MM. [W] et [K] [S] [V] étaient visibles. ».

Intéressant, déjà, quant à la question « de savoir si, en présence d’une irrégularité tenant au défaut de signature du procès-verbal de perquisition, l’absence de contestation, par la personne qui se prévaut d’un droit sur le local perquisitionné, de la présence et de l’intégrité des objets saisis fait obstacle à ce qu’une autre personne mise en examen établisse l’existence d’un grief pris de cette irrégularité. »[2], l’arrêt de la Chambre criminelle l’est aussi, peut-être encore davantage, s’agissant de la mise en balance entre le respect du secret de l’enquête et de l’instruction, d’une part, celui de la liberté d’expression et du droit à l’information, d’autre part.

Plus précisément, le demandeur au pourvoi avait sollicité la nullité de son interpellation et de la fouille réalisées en présence d’un tiers ; en l’espèce un journaliste ayant procédé à la captation de ces actes d’enquête.

Rendu au visa de l’article 11 du code de procédure pénale – lequel soumet au secret de l’enquête « les agents ou fonctionnaires auxquels la loi attribue des pouvoirs de police judiciaire »[3], l’arrêt ici commenté peut légitimement faire naître quelques inquiétudes chez les journalistes dont le travail pourrait être très sérieusement compliqué.

En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que la présence d’un tiers, quand bien même aurait-elle été régulièrement autorisée, constitue, en elle-même, une violation du secret de l’enquête :

« La présence d’un tiers ayant obtenu d’une autorité publique l’autorisation de capter, par le son ou l’image, fût-ce dans le but d’informer le public, le déroulement des actes d’enquête auxquels procèdent ces agents ou fonctionnaires, constitue une violation de ce secret. »

Plus encore, la Haute juridiction judiciaire pose le principe suivant : « Une telle violation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. »[4].

Le principe retenu par la Cour de cassation est général ; peu importe, en l’espèce, que le mis en examen ait été indentifiable ou non sur les images captées et diffusées à la télévision : la seule présence d’un tiers – ici d’un journaliste – « fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée »[5].

C’est donc un arbitrage en faveur du droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence auquel la Chambre criminelle vient de procéder, et ce au détriment de la liberté d’expression et du droit à l’information :

« Le secret de l’enquête a pour objet de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence des personnes concernées dans la procédure en cause (Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC). Dès lors, la cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l’exception de nullité tirée de la violation du secret de l’enquête, en ce qu’elle se réfère à l’acte qui concerne M. [W], à savoir son interpellation (cote D 11). Les autres dispositions seront donc maintenues. »

A la lecture de cet arrêt, on peut se demander si l’on pourra encore à l’avenir regarder des reportages portant sur des enquêtes menées par des services de police ou de gendarmerie. Comment, en effet, imaginer qu’une autorisation de captation d’images ou de sons puisse être donnée alors qu’une telle mesure expose la procédure à un risque de nullité de certains actes ?

Il conviendra de suivre les suites et précisions données par les juridictions à cet arrêt dont la lecture laisse penser que les journalistes ne pourraient plus, dans le respect du secret défini à l’article 11 précité du code de procédure pénale, que « rendre compte d’une procédure pénale et [de] relater les différentes étapes d’une enquête et d’une instruction »[6].

La position de la Chambre criminelle permet-elle toujours de considérer, ainsi que l’avait jugé le Conseil constitutionnel, que les dispositions dudit article 11 ne portent qu’une atteinte limitée à la liberté d’expression et de communication ?

Nul doute que la presse se posera cette question.

[1] Cass. Crim., 19 décembre 2023, n° 23-81.286.

[2] §§ 8 à 21 de l’arrêt.

[3] § 23 de l’arrêt.

[4] Ibid.

[5] § 25 de l’arrêt.

[6] Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC, considérant n° 9.

L’affirmation selon laquelle la publication de propos diffamatoires n’est pas le fait de leur auteur mais de tiers doit être démontrée avec précision

By | Brèves juridiques

Il n’y a pas qu’en politique que le contentieux de la diffamation prospère. La vie syndicale charrie également son lot de conflits et de propos qui testent les limites de la liberté d’expression.

Tel a été le cas dans une affaire où les parties civiles avaient fait citer un membre du bureau du syndicat national des pilotes de lignes « devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers particuliers pour avoir publié sur le site internet » dudit syndicat les propos suivants :

« J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W] au moment de la nomination de [G] [W] au poste de Déléguée Générale du SNPL et de son augmentation de salaire. J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W], lorsque celle-ci a rédigé une analyse juridique sur les SOF. Analyse sur laquelle repose (sic..) toutes les accusations diffamatoires sur le Bureau de HOP ! dans l’affaire des SOF.

J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W], lorsque celui-ci lui a signé un chèque de plus de 75 000 € en guise de rupture conventionnelle, faisant fi des statuts du SNPL ».

Le tribunal correctionnel, après avoir « requalifié les faits en contravention de diffamation non publique envers particuliers », a « déclaré coupables M. [H] [directeur de la publication du site internet du syndicat] de cette infraction et M. [C] de complicité de celle-ci. » ; lesquels ont interjeté appel.

Le prévenu condamné pour complicité de diffamation non publique envers particulier a formé un pourvoi en cassation que la Chambre criminelle a rejeté par un arrêt du 21 novembre 2023[1] qui retient notre attention sur deux points :

  • en premier lieu, la question de l’imputabilité de la mise en ligne des propos incriminés:

La Haute de juridiction fait sienne la motivation des juges d’appel qui leur a permis de conclure que le demandeur au pourvoi a volontairement mis en ligne lesdits propos et non pas des tiers, membres de sa section syndicale, comme il le soutenait.

En effet, alors que le prévenu :

  • ne contestait pas être l’auteur des propos litigieux ;
  • celui-ci a reconnu qu’il savait que ceux-ci allaient être publiés sur le site internet du syndicat depuis son compte personnel ;

la Chambre criminelle retient que les juges d’appel ont pu à bon droit considérer que le prévenu avait autorisé « implicitement les auteurs supposés à y procéder » et qu’aucun élément précis ne venait soutenir que des tiers auraient pu procéder à la publication des messages :

« 8. Ils précisent que les explications de M. [C] selon lesquelles les publications seraient le fait de tiers peinent à convaincre dès lors qu’elles sont, à cet égard, marquées par leur imprécision, puisqu’il s’est contenté de parler de « deux ou trois personnes » à qui il aurait donné son code, sans en dire davantage, et par leur confusion, en ce qu’il affirme que le texte avait vocation à être remis aux membres du bureau national alors même qu’il a écrit, à la fin du message : « Il doit savoir que je dispose des preuves de ces accusations graves et que je les évoquerai lors du prochain BN », ce qui est incohérent.

    1. Ils ajoutent que, alors que les propos ont été publiés depuis son compte personnel, ce qui suppose l’utilisation de son identifiant et de son mot de passe personnel, et en son nom, M. [C] ne produit aucun élément venant corroborer ou même simplement donner un semblant de crédibilité à ses affirmations selon lesquelles les publications seraient le fait de tiers.
    2. Ils en concluent qu’il est établi que M. [C] a volontairement mis en ligne les messages contenant les propos diffamatoires, qui lui sont dès lors imputables.
    3. En prononçant ainsi, par des motifs pertinents, exempts d’insuffisance, et, dès lors que, lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication est mis en cause, l’auteur peut être poursuivi comme complice, la cour d’appel a justifié sa décision.»
  • en second lieu, le refus du bénéfice de l’excuse de bonne foi pour insuffisance de base factuelle et manque de prudence dans les propos :

Il ne suffit pas que des propos attentatoires à l’honneur ou à la considération soient relatifs à un débat d’intérêt général pour que leur auteur puisse bénéficier de l’excuse de bonne foi.

On sait qu’il faut, en outre et notamment, que lesdits propos reposent sur une base factuelle suffisante et que leur auteur ait fait preuve de prudence.

L’arrêt de la Chambre criminelle illustre le fait que ce sont les allégations qui contribuent à donner aux propos leur caractère diffamatoire qui doivent absolument reposer sur une base factuelle suffisante. En l’espèce, si certaines pièces produites par le prévenu permettaient de vérifier une partie des propos tenus, rien ne démontrait la « liaison supposée » entre les parties civiles sur laquelle étaient fondées l’ensemble des imputations diffamatoires :

« 14. Pour écarter l’exception de bonne foi, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé que les propos poursuivis portent atteinte à l’honneur ou à la considération des parties civiles, retient que les propos litigieux sont relatifs à un sujet d’intérêt général, celui du fonctionnement interne et des modalités d’usage des crédits d’heures de délégation (dites « SOF ») au sein de l’un des principaux syndicats de pilotes de lignes en France et énonce que l’ensemble des imputations diffamatoires portent sur des faits trouvant leur origine dans la liaison supposée entre M. [S] et Mme [W].

  1. Les juges précisent que le rapport d’un enquêteur privé produit par M. [C] n’est pas de nature à établir l’existence d’une vie commune entre les parties civiles sur la période concernée, allant de 2015 à 2017, parce que d’une part, les constatations faites par l’enquêteur sont insuffisantes à établir cette communauté de vie, d’autre part, la matérialité de ses constatations est contestée, à juste titre, par les parties civiles qui produisent une attestation de Mme [A] [D] affirmant être la locataire de la maison surveillée depuis le 30 octobre 2018, la propriétaire du véhicule cité et la femme identifiée par l’huissier comme étant Mme [W].
  2. Ils ajoutent que, si les documents produits par M. [C] viennent confirmer que Mme [W] était bien l’auteur de l’analyse juridique à l’origine de décisions du conseil de discipline relatives aux « SOF » et a bien bénéficié d’une augmentation de salaire, puis, au moment de son départ en 2017, d’une indemnité, aucun de ces documents n’est de nature à constituer une base factuelle suffisante qui aurait permis à M. [C] au moment des publications de tenir les propos litigieux. »

Au surplus, la Cour de cassation ne pouvait que confirmer l’arrêt d’appel et refuser le bénéfice de la bonne fois dès lors que l’auteur des propos n’avait fait preuve d’aucune prudence en les formulant :

« 17. Ils relèvent également le manque de prudence dans les propos, notamment par la formule « J’accuse », employée et répétée à chaque phrase. »

Ce faisant la Chambre criminelle confirme qu’il n’est pas toujours nécessaire de vérifier l’ensemble des critères de l’excuse de bonne foi – ici l’absence d’animosité personnelle – pour en refuser son bénéfice, dès lors que l’examen de certains d’entre eux suffit à établir la conviction des juges.

 

[1] Cass. Crim., 21 novembre 2023, n° 22-87.535.

La dignité humaine ne compte pas parmi les buts légitimes susceptibles de fonder une restriction à la liberté d’expression artistique

By | Brèves juridiques

La liberté d’expression est protéiforme, on le sait. Parmi ses déclinaisons, on compte la liberté d’expression artistique qui, comme le rappelle l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 17 novembre 2023[1] :

« constitue une valeur en soi (CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33) et qui protège ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre  d’art (CEDH, arrêt du 3 mai 2007, Ulusoy e.a. c. Turquie, n° 34797/02, § 42) ».

Une association avait estimé que la présentation des écrits d’un artiste, exposés par un fonds régional d’art contemporain (FRAC), accessible à tous, était constitutive de l’infraction prévue et réprimée par l’article 227-24 du Code pénal[2] mais avait vu sa plainte classée sans suite.

Afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estimait avoir été causé aux intérêts collectifs qu’elle défend[3], ladite association a alors assigné le FRAC en cause sur le fondement de l’article 16 du Code civil, aux termes duquel :

« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »

La question à laquelle l’Assemblée plénière de la Cour de cassation se devait de répondre était donc celle de la possibilité de restreindre la liberté d’expression, telle que le prévoit l’article 10 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, au motif d’un but légitime que serait le respect de la dignité humaine :

« 9. Toutefois, l’article 10, paragraphe 2, de la Convention prévoit que la liberté d’expression peut être soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

  1. Il en résulte que toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés. »

On comprend pourquoi une telle question de droit a convaincu la Haute juridiction judiciaire de réunir sa formation la plus solennelle pour y répondre.

En effet, le respect de la dignité humaine étant l’essence même de la Convention, constitue-t-elle cependant un des buts légitimes permettant, si la loi le prévoit, de réduire la portée de la liberté d’expression, ici prise en la liberté d’expression artistique ?

La réponse de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est claire :

« 11. Si l’essence de la Convention est le respect de la dignité et de la liberté humaines (CEDH, arrêt du 22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, § 44), la dignité humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention.

    1. La Cour de cassation en a déduit que la dignité de la personne humaine ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié).
    2. Au surplus, l’article 16 du code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et invoqué par la requérante, ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention, permettant de restreindre la liberté d’expression.»

Aussi, dès lors que l’association auteur du pourvoi poursuivait « l’exposition des œuvres en cause sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du code civil, la cour d’appel a exactement retenu que le principe du respect de la dignité humaine ne constitue pas à lui seul un fondement autonome de restriction à la liberté d’expression. ».

La Cour de cassation aurait-elle pu rattacher la « dignité humaine » à la « protection de la morale » qui, elle, figure bien au nombre des buts légitimes susceptibles de limiter la liberté d’expression ? La Haute juridiction n’est pas allée sur ce terrain mais il n’est pas inimaginable que la question se pose à l’avenir.

Par cette décision, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation adopte ainsi une solution très favorable à la liberté d’expression artistique dont l’exercice dans une société démocratique – selon l’expression consacrée par la jurisprudence européenne – , ne peut être restreint que dans les conditions précisément déterminées par l’article 10§2 de la Convention.

Cette décision ne devrait cependant pas clore le débat sur les limites de cette liberté ; en particulier lorsqu’un artiste crée une œuvre de nature à heurter l’opinion publique en portant un message contraire à des buts impérieux tels que la protection des mineurs.

[1] Cass., Ass. Plénière, 17 novembre 2023, n° 21-20.723.

[2] Article 227-24 du Code pénal :

« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.

Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

Les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans. »

[3] L’article 2 des statuts de cette association prévoit que son objet est de lutter contre « tout ce qui porte notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant ».

Apologie publique d’un acte de terrorisme par voie de tweets publiés depuis l’étranger : exigence de critères suffisants de rattachement au territoire français et compétence des juridictions nationales

By | Brèves juridiques

La détermination de la compétence des juridictions françaises en matière d’infraction de presse est à la mode à la Cour de cassation.

La Chambre criminelle, dans un arrêt du 7 novembre 2023[1], s’est en effet de nouveau prononcée sur cette question[2] ; cette fois-ci à l’occasion d’un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 8 novembre 2022 ayant condamné son auteur pour apologie publique d’un acte de terrorisme[3] en raison de tweets publiés depuis l’étranger.

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation, elle :

« juge qu’en l’absence de tout critère rattachant au territoire de la République des propos incriminés sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la circonstance que ceux-ci, du fait de leur diffusion sur le réseau internet, aient été accessibles depuis ledit territoire ne caractérise pas, à elle seule, un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître (Crim., 12 juillet 2016, pourvoi n° 15-86.645, Bull. crim. 2016, n° 218). »

La Haute juridiction considère ainsi qu’en matière d’apologie publique d’un acte de terrorisme, laquelle peut « procéder de propos diffusés par le réseau internet depuis un territoire étranger, accessibles depuis la France, il y a lieu de considérer que, pour cette infraction également, cette circonstance ne caractérise pas à elle seule un acte de publicité sur le territoire de la République rendant le juge français compétent pour connaître de ce délit, en l’absence de tout critère rattachant les propos incriminés audit territoire. ».

En l’espèce, si la Cour d’appel a estimé à tort que l’accessibilité des tweets depuis le territoire français suffisait pour que l’infraction soit réputée commise sur celui de la République, la Chambre criminelle ne censure pas l’arrêt ayant confirmé le jugement correctionnel au motif qu’il existait bien des critères de rattachement à la France :

« Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure dès lors qu’il en résulte que les propos poursuivis ont été diffusés en langue française, certains accompagnés de photographies représentant la France, stigmatisée comme un pays de mécréance, opposé à l’organisation dite Etat Islamique, d’autres incitant les musulmans à se sentir étrangers sur « toutes les terres qui refusent d’appliquer et combattent les lois d’Allah », notamment la France, et ce, alors que le territoire de la République a été frappé et reste frappé par le terrorisme islamiste, éléments qui constituent, en l’espèce, des critères suffisants de rattachement desdits propos au territoire français. »

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle que le fait de publier des propos constitutifs d’une infraction de presse depuis l’étranger ne protège pas leurs auteurs de poursuites et de condamnations, dès lors que peut être démontré un lien de rattachement desdits propos avec le territoire français.

[1] Cass. Crim., 7 novembre 2023, n° 22-87.230

[2] News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 16 novembre 2023.

[3] Article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; Article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; Article 421-2-5 du Code pénal.

Compétence des juridictions françaises pour des propos diffamatoires ou injurieux publiés sur un site web et visant une personne résidant sur le territoire national

By | Brèves juridiques

Lorsque dans notre News Presse & Réseaux sociaux du 8 novembre 2023 nous écrivions que le champ politique était riche de contentieux en droit de la presse, nous n’exagérions pas.

Voici, en effet, une nouvelle affaire sur laquelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de se prononcer dans un arrêt du 7 novembre 2023[1] ; aboutissement d’une procédure initiée par un homme politique, alors conseiller régional, qui avait déposé plainte avec constitution de partie civile « des chefs de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, d’injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public et d’injure publique commises à raison de l’orientation sexuelle » en raison de propos publiés sur un site internet.

Renvoyé par le juge d’instruction devant le tribunal correctionnel, le Président et directeur de la publication dudit site a été relaxé du chef de diffamation publique mais « déclaré coupable des autres chefs de prévention ». En appel, la partie civile s’est vue débouter de l’ensemble de ses demandes au motif que les juridictions françaises étaient incompétentes.

Les juges d’appel ont estimé, alors même que l’enquête policière avait conclu à la commission de l’infraction en France, que, d’une part, les investigations n’avaient pas permis « de déterminer de façon précise le lieu d’émission », d’autre part, « le seul fait que les propos aient été accessibles depuis le territoire français ne caractérise pas un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître ».

Statuant au visa de l’article 113-2-1 du Code pénal[2], la Chambre criminelle a censuré l’arrêt d’appel et juge que la Cour a méconnu le texte précité dès lors que :

  • en premier lieu, « il est constant que M. … réside en France, de sorte que les infractions poursuivies étaient réputées commises en France» ;
  • en second lieu, « c’est en contradiction avec leur décision d’incompétence que les juges se sont ensuite prononcés sur la responsabilité pénale du prévenu».

L’arrêt d’appel est par ailleurs censuré à un autre titre au motif que si la Cour d’appel a, « à juste titre », écarté le « le régime de responsabilité de plein droit prévu par l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, qui ne s’applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France, les juges ont retenu qu’il n’était pas établi que M. … soit le directeur de publication du site internet et ont écarté sa responsabilité de ce chef. », les juges ne pouvaient s’abstenir de rechercher si le prévenu avait contribué, d’une autre manière, à la diffusion sur le territoire français des propos qui visaient l’auteur du pourvoi :

« En prononçant ainsi, alors qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher, en appréciant le mode de participation du prévenu aux faits poursuivis dans les termes du droit commun, s’il avait contribué personnellement à la diffusion en France, sur un site internet édité à l’étranger, des propos litigieux, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »

Ce faisant, la Chambre criminelle rappelle sa conception extensive de la compétence des juridictions françaises pour des propos visant des personnes résidant en France, et ce quand bien même le support de publication serait édité à l’étranger.

[1] Cass. Crim., 7 novembre 2023, n° 22-86.349.

[2] Article 113-2-1 du Code pénal : « Tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République. »

Nouvel exemple du contrôle des limites de la liberté d’expression dans le débat politique

By | Brèves juridiques

Les rivalités politiques charrient souvent leur lot de propos polémiques et, inévitablement, sont à l’origine de nombreux contentieux[1] dans lesquels les juges s’interrogent sur les limites de la liberté d’expression.

L’affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 17 octobre 2023[2], nous en donne un nouvel exemple.

A la suite de la publication sur la page Facebook d’une commune d’un communiqué de presse intitulé « emplois suspects : le maire de … demande des comptes à l’ancien maire » par lequel son maire nouvellement élu mentionnait avoir écrit à son prédécesseur « pour obtenir des éclaircissements sur plusieurs cas suspects d’emplois de complaisance », ledit prédécesseur a fait citer son successeur « du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public ».

L’auteur du communiqué litigieux a d’abord été relaxé par le tribunal correctionnel, puis l’ancien maire ayant relevé appel du jugement, a formé un pourvoi contre l’arrêt du 10 novembre 2022 par lequel la Cour d’appel de Paris « a dit qu’il a commis une faute civile et s’est déclarée incompétente pour statuer sur l’action civile ».

Rendue au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la décision de la Chambre criminelle rappelle les particularités de l’appréciation des limites admissibles de la liberté d’expression dans le débat politique et l’objet du contrôle du caractère suffisant de la base factuelle supposée soutenir les propos incriminés.

Pour la Haute juridiction, la Cour d’appel a méconnu l’article 10 précité.

En effet :

  • d’abord, alors que la Chambre criminelle confirme le « caractère attentatoire à l’honneur et à la considération» des propos du nouveau maire à l’égard de son prédécesseur, elle relève que si la Cour d’appel a eu raison d’énoncer dans son arrêt que « les propos litigieux s’inscrivent dans un débat d’intérêt général portant sur la gestion de la municipalité de … et ont été tenus dans le cadre polémique politique opposant le nouveau maire à son prédécesseur », elle ne pouvait juger que le prévenu n’a produit aucun élément susceptible d’étayer ses propos et, partant, que la base factuelle sur laquelle ils reposaient « est particulièrement faible » ;

La Cour de cassation juge au contraire que :

« le propos incriminé repose sur une factuelle suffisante dès lors que M. … a produit des pièces démontrant avoir procédé, pendant plusieurs mois, à des vérifications internes avant de solliciter des explications à son prédécesseur ».

  • ensuite, outre l’insuffisance de la base factuelle, les juges d’appel ont estimé que le nouveau maire a tenu des propos excédant les limites admissibles de la liberté expression au motif supplémentaire qu’ « en employant les termes « demande des comptes », « emplois suspects » et « emplois de complaisance », le prévenu a manqué de prudence et de mesure dans l’expression».

Tel n’est pas l’avis de la Chambre criminelle qui insiste non seulement sur le cadre dans lequel les propos ont été tenus mais aussi sur la qualité de leur auteur :

« le propos de M. …. n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique, non professionnel de l’information, dans le contexte de possibles infractions pénales commises par l’ancien maire auquel il a succédé ».

Ce faisant, la Chambre criminelle confirme, outre son contrôle des pièces fournies pour démontrer l’existence d’une base factuelle suffisante, la particularité du discours politique et notamment des joutes entre opposants politiques.

 

[1] Voir notre News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 5 juillet 2023 relative aux Responsabilité des politiques pour les propos tenus par des tiers sur leur compte Facebook.

[2] Cass. Crim., 17 octobre 2023, n° 22-87.470.

Rappel des conditions de l’excuse de bonne foi, appréciation particulière du ton employé par un journaliste engagé réfugié politique et absence de faute civile dès lors que l’imprécision des propos litigieux ne permet pas de dire si la partie civile était visée comme auteur ou victime d’une infraction pénale

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Dans un arrêt du 17 octobre 2023 (Cass. Crim., 17 octobre 2023, n° 22-87.544), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le directeur adjoint d’une banque étrangère et par ladite banque contre l’arrêt d’appel ayant confirmé la relaxe d’un journaliste contre lequel une plainte avec constitution de partie civile avait été déposée pour diffamation publique envers un particulier.

Pour accorder le bénéfice de l’excuse de bonne foi au prévenu, qui avait notamment évoqué un « scandale de détournement de fonds » au cœur duquel serait cette banque détenue par deux banques d’Etat et intervenant à l’étranger, ainsi que l’audition de son « patron » pendant « plus de 17 heures par la police française », la Cour d’appel de Paris a fait application des critères classiques (inscription des propos dans un débat d’intérêt général, existence d’une base factuelle suffisante au regard de l’analyse faite par les juges de première instance) et a ajouté :

« qu’aucune animosité personnelle n’anime le prévenu, journaliste engagé[1], qui a été emprisonné en … pour de précédents articles critiques et qui bénéficie aujourd’hui de la qualité de réfugié politique en France. Ils en déduisent que celui-ci doit bénéficier d’une protection accrue de sa liberté d’expression, de sorte qu’une plus grande liberté de ton doit lui être reconnue, dès lors qu’il est en mesure de justifier d’un minimum de base factuelle. »

Cette précision des juges d’appel sur la nécessaire protection supérieure dont doit bénéficier un « journaliste engagé », « réfugié politique en France », témoigne de la détermination des juridictions françaises de garantir la liberté d’expression de personnes qui en sont privées dans leur pays d’origine, à la condition toutefois, et naturellement, qu’elles soient en capacité d’étayer un minimum leurs affirmations. La qualité de journaliste engagé et de réfugié politique ne doit pas constituer un blanc-seing permettant un exercice dévoyé de la liberté d’expression.

Ici, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel a justifié sa décision et rappelle une distinction importante dans l’analyse qui doit être faite de la bonne foi, à savoir que « l’existence d’une base factuelle suffisante ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits ».

L’arrêt ici commenté retient également notre attention en tant que la Haute juridiction confirme le rejet en appel des demandes des parties civiles au motif que les propos litigieux « ne sont pas suffisamment précis pour déterminer si la société … est visée comme auteur d’une infraction pénale ou comme victime ».

La Chambre criminelle considère, en effet, que :

« 17. En premier lieu, elle a souverainement analysé les éléments extrinsèques susceptibles d’éclairer le sens et la portée des propos poursuivis tels qu’ils pouvaient être compris par les personnes susceptibles d’en prendre connaissance.

  1. En second lieu, elle a, au terme de cette analyse, exactement retenu que ces propos n’étaient pas suffisamment précis pour déterminer que la société BIA était visée en tant qu’auteur des faits dénoncés et non comme victime.»

En effet, si la banque, partie civile dans la présente espèce, était citée comme « au cœur d’un scandale de détournement de fonds », il était possible pour certains lecteurs de comprendre qu’elle était décrite par le journaliste comme l’auteur d’une infraction pénale, pour d’autres, comme une victime de ces faits.

La Chambre criminelle rappelle donc que pour faire droit aux demandes des parties civiles, il ne doit pas exister de doute quant à la « qualité » qui leur est prêtée par l’auteur des propos.

[1] Mis en gras par nos soins.

L’accessibilité au public français par internet de propos diffamatoires ne suffit pas à rendre compétentes les juridictions françaises

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Le fait que des propos considérés comme diffamatoires par la partie civile soient accessibles, via internet, depuis la France, suffit-il à rendre compétentes les juridictions françaises ?

Telle est la question à laquelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à répondre[1] dans un arrêt du 5 septembre 2023 (Cass. Crim., n° 22-84.537), saisie d’un pourvoi formé par un ancien Président de la République d’Albanie et des membres de sa famille, de nationalité et de résidence albanaises, contre un arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris ayant confirmé l’ordonnance par laquelle un juge d’instruction s’était déclaré incompétent « pour informer sur leur plainte du chef de diffamation publique envers un particulier ».

En l’espèce, la plainte avec constitution de partie civile, déposée le 28 juillet 2021 entre les mains du Doyen des juges d’instruction du Tribunal judiciaire de Paris, visait le « secrétaire d’Etat américain, du chef de diffamation publique envers un particulier en raison de la publication, le 19 mai précédent, sur le site internet du département d’Etat américain, d’un communiqué de presse en anglais contenant des propos jugés diffamatoires ». Le même secrétaire d’Etat américain avait également publié le même jour des propos similaires sur son compte Twitter.

Les demandeurs au pourvoi critiquaient le raisonnement de la Chambre de l’instruction aux termes duquel celle-ci avait jugé qu’il n’existait pas d’élément de rattachement au territoire français susceptible de fonder la compétence de ses juridictions.  Ils estimaient notamment que les propos du Secrétaire d’Etat américain diffusés par internet étaient destinés, même non exclusivement, au public français, dès lors qu’ils avaient « été relayés en langue française par un article du Figaro et deux articles du Courrier des Balkans, et que 7 personnes résidant en France, dont deux albanais naturalisés français, en aient eu connaissance ».

La Chambre criminelle n’a accueilli aucun des moyens soulevés[2] et a confirmé la décision objet du pourvoi qui reprenait une jurisprudence désormais bien établie[3] selon laquelle :

« s’agissant de propos diffusés par internet, le critère d’accessibilité aux propos litigieux depuis le territoire français ne peut suffire à lui seul à caractériser un acte de publication sur ce territoire, rendant le juge français compétent pour en connaître.

    1. Les juges en déduisent qu’il doit être recherché si les propos poursuivis peuvent être rattachés au territoire de la République, c’est-à-dire s’ils sont destinés au public français.»

Dans la présente affaire, aucun élément n’était susceptible de démontrer que les propos litigieux étaient destinés, ne seraient-ce que pour partie, au public français et, partant, de fonder la compétence des juridictions françaises.

En effet, qu’il s’agisse de la langue dans laquelle les propos ont été initialement publiés (l’anglais), du sujet abordé (la vie politique albanaise), de la nationalité ou du lieu de résidence des plaignants, rien ne permettait de considérer que le public français était « destinataire » et ce malgré la traduction du communiqué et du tweet du Secrétaire d’Etat américain dans le Figaro.

Au surplus, la Chambre criminelle précise que :

« En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

    1. En premier lieu, en l’absence de tout critère rattachant au territoire de la République les propos incriminés, la circonstance que ceux-ci, du fait de leur diffusion sur le réseau internet, aient été accessibles depuis ledit territoire ne caractérisait pas, à elle seule, un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître.
    1. En second lieu, les plaignants auraient pu poursuivre les organes de presse ayant repris en France les propos dénoncés.
    1. Ainsi, le moyen doit être écarté.»

La Chambre criminelle applique ici sa propre jurisprudence et fait preuve de bon sens en exigeant un véritable rattachement au territoire français pour que les juridictions de celui-ci retiennent leur compétence. A défaut, tout propos diffamatoire publié sur internet serait, par son simple accès depuis la France, susceptible de ressortir de la compétence desdites juridictions. Chacun peut convenir que la situation ainsi créée serait ingérable.

[1] Cass. Crim., 5 septembre 2023, 22-84.537.

[2] Moyens qui visaient « les articles 113-2 et 113-2-1 du code pénal, 29, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 591 et 593 du code de procédure pénale ».

[3] Cass. Crim., 12 juillet 2016, n° 15-86.645.