Brèves juridiques

Diffamation et exception de nullité de l’assignation : l’allégation de propos diffamatoires implique que l’action engagée par la victime soit fondée sur les dispositions applicables de la loi sur la liberté de la presse

By 11 octobre 2023 No Comments

Specialia generalibus derogant : les lois spéciales dérogent aux lois générales.

Cet adage bien connu des étudiants en droit trouve particulièrement à s’appliquer en matière d’actions engagées par une personne s’estimant victime de propos diffamatoires.

Dans un arrêt du 13 septembre 2023[1], la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur un pourvoi formé contre un arrêt aux termes duquel les juges d’appel avaient rejeté l’exception de nullité d’une assignation visant expressément les articles 9 et 9-1 du code civil, 835 du code de procédure civile et 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Dans cette affaire, un enseignant qui venait d’être désigné principal d’un collège avait vu sa nomination critiquée en ces termes par un syndicat : « chef maltraitant recasé : stop au pas de vague » et « un chef maltraitant au collège des (…) ».

L’enseignant avait alors assigné en référé le syndicat pour obtenir le retrait des propos publiés par le syndicat ; lequel avait alors soulevé une exception de nullité de l’acte d’assignation.

Pour la rejeter, les juges d’appel ont estimé que l’assignation :

« vise expressément les articles 9 et 9-1 du code civil, 835 du code de procédure civile et 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qu’il s’agit d’une action tendant à obtenir, en référé, la cessation d’un trouble manifestement illicite à la vie privée, à la présomption d’innocence et à la liberté de travailler et qu’il n’y est à aucun moment fait référence à la loi du 29 juillet 1881 pour obtenir réparation de faits diffamatoires. »

Dit autrement, on comprend que la Cour d’appel a considéré que dès lors que la loi sur la presse n’était pas visée dans l’assignation, il ne s’agissait pas d’une action ayant pour objet la réparation de propos diffamatoires mais la cessation d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du code de procédure civile. Le droit commun s’appliquait selon elle et l’assignation n’était pas nulle au motif qu’elle ne faisait pas mention de la loi spéciale, celle sur la liberté de la presse.

La 1ère Chambre civile censure l’arrêt d’appel au visa des articles 29 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 dont elle rappelle que :

« Aux termes du premier de ces textes, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation et, selon le second, la citation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite. »

En l’espèce, la Haute juridiction juge que la Cour d’appel aurait dû accueillir l’exception de nullité dès lors que, dans son arrêt, elle relevait bien que l’enseignant en cause avait exposé être victime d’allégations diffamatoires :

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait préalablement relevé que M. [D] exposait être victime dans les communiqués des 6 et 13 novembre 2020 d’allégations diffamatoires et que ces communiqués le présentaient comme un chef d’établissement maltraitant, la cour d’appel, qui n’a pas tiré conséquences légales de ces constatations, a violé les articles susvisés. »

En d’autres termes, dès lors que les allégations étaient présentées comme diffamatoires, l’action de la personne qui estime en être victime doit être fondée sur les dispositions pertinentes de la loi sur la liberté de la presse.

L’assignation qui, dans une telle hypothèse, ne vise pas expressément ladite loi est donc nulle.

 

 

[1] Cass. Civ. 1ère, 13 septembre 2023, n° 22-20.947.