Dans un arrêt du 17 octobre 2023 (Cass. Crim., 17 octobre 2023, n° 22-87.544), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le directeur adjoint d’une banque étrangère et par ladite banque contre l’arrêt d’appel ayant confirmé la relaxe d’un journaliste contre lequel une plainte avec constitution de partie civile avait été déposée pour diffamation publique envers un particulier.
Pour accorder le bénéfice de l’excuse de bonne foi au prévenu, qui avait notamment évoqué un « scandale de détournement de fonds » au cœur duquel serait cette banque détenue par deux banques d’Etat et intervenant à l’étranger, ainsi que l’audition de son « patron » pendant « plus de 17 heures par la police française », la Cour d’appel de Paris a fait application des critères classiques (inscription des propos dans un débat d’intérêt général, existence d’une base factuelle suffisante au regard de l’analyse faite par les juges de première instance) et a ajouté :
« qu’aucune animosité personnelle n’anime le prévenu, journaliste engagé[1], qui a été emprisonné en … pour de précédents articles critiques et qui bénéficie aujourd’hui de la qualité de réfugié politique en France. Ils en déduisent que celui-ci doit bénéficier d’une protection accrue de sa liberté d’expression, de sorte qu’une plus grande liberté de ton doit lui être reconnue, dès lors qu’il est en mesure de justifier d’un minimum de base factuelle. »
Cette précision des juges d’appel sur la nécessaire protection supérieure dont doit bénéficier un « journaliste engagé », « réfugié politique en France », témoigne de la détermination des juridictions françaises de garantir la liberté d’expression de personnes qui en sont privées dans leur pays d’origine, à la condition toutefois, et naturellement, qu’elles soient en capacité d’étayer un minimum leurs affirmations. La qualité de journaliste engagé et de réfugié politique ne doit pas constituer un blanc-seing permettant un exercice dévoyé de la liberté d’expression.
Ici, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel a justifié sa décision et rappelle une distinction importante dans l’analyse qui doit être faite de la bonne foi, à savoir que « l’existence d’une base factuelle suffisante ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits ».
L’arrêt ici commenté retient également notre attention en tant que la Haute juridiction confirme le rejet en appel des demandes des parties civiles au motif que les propos litigieux « ne sont pas suffisamment précis pour déterminer si la société … est visée comme auteur d’une infraction pénale ou comme victime ».
La Chambre criminelle considère, en effet, que :
« 17. En premier lieu, elle a souverainement analysé les éléments extrinsèques susceptibles d’éclairer le sens et la portée des propos poursuivis tels qu’ils pouvaient être compris par les personnes susceptibles d’en prendre connaissance.
- En second lieu, elle a, au terme de cette analyse, exactement retenu que ces propos n’étaient pas suffisamment précis pour déterminer que la société BIA était visée en tant qu’auteur des faits dénoncés et non comme victime.»
En effet, si la banque, partie civile dans la présente espèce, était citée comme « au cœur d’un scandale de détournement de fonds », il était possible pour certains lecteurs de comprendre qu’elle était décrite par le journaliste comme l’auteur d’une infraction pénale, pour d’autres, comme une victime de ces faits.
La Chambre criminelle rappelle donc que pour faire droit aux demandes des parties civiles, il ne doit pas exister de doute quant à la « qualité » qui leur est prêtée par l’auteur des propos.
[1] Mis en gras par nos soins.