Brèves juridiques

Diffamation publique envers un particulier : conditions d’examen d’une offre de preuve et de l’exception de bonne foi

By 23 septembre 2022 No Comments

Les juges du fond doivent analyser précisément les pièces produites non seulement au titre d’une offre de preuve mais également celles fournies pour justifier l’exception de bonne foi.

Saisie de plusieurs pourvois contre un arrêt par lequel la Cour d’appel de Fort-de-France a condamné, d’une part, la directrice de la publication d’une revue pour diffamation publique envers un particulier, d’autre part, l’auteur des propos cités dans un article[1] de ladite revue pour complicité, la Chambre criminelle a précisé les conditions dans lesquelles les juges du fond doivent examiner les éléments produits par les prévenus pour établir la vérité des propos tenus et/ou leur bonne foi.

Pour faire droit aux pourvois, la Chambre criminelle de la Cour de la Cassation relève dans son arrêt du 13 septembre 2022 (n° 21-81.661)[2], rendu :

« les juges ne peuvent admettre ou écarter une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires sans démontrer, par une analyse précise de la teneur des pièces et témoignages produits, que ceux-ci rapportent la preuve proposée au regard tant de la matérialité des imputations formulées que de leur portée et de leur signification diffamatoire. »

Plus précisément, à peine de ne pas justifier sa décision, dès lors que le prévenu « s’est proposé » de rapporter la preuve de ce qu’il affirme dans les propos incriminés, une cour d’appel ne peut se contenter de faire un examen superficiel ou, à tout le moins non-exhaustif, des pièces et/ou témoignages produits.

En l’espèce la cassation de l’arrêt par lequel le prévenu a été condamné pour complicité de diffamation publique envers un particulier est encourue dans la mesure où :

« 16. Les juges n’ont, en effet, pas analysé précisément les vingt-six pièces produites au titre de l’offre de preuve ni les dépositions des deux témoins cités par le prévenu.

 17. Ils n’ont pu, en conséquence, ces pièces étant également produites au soutien de l’exception de bonne foi, déterminer si le propos incriminé, qui s’inscrivait dans un débat d’intérêt général portant sur l’existence de- pratiques condamnables au sein de la filière d’élevage à la Martinique, reposait sur une base factuelle suffisante, afin d’apprécier si une condamnation pour diffamation de l’auteur du propos était ou non nécessaire et proportionnée.»

« si c’est au seul auteur d’imputations diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d’établir les circonstances particulières démontrant cette exception, celle-ci ne saurait être légalement admise ou rejetée par les juges qu’autant qu’ils analysent les pièces produites par le prévenu et énoncent précisément les faits sur lesquels ils fondent leur décision. »

C’est donc à ce même examen précis de l’ensemble des pièces produites par un prévenu pour démontrer sa bonne foi que doivent se livrer les juges du fond.

Aussi, de la manière qu’exposé supra, la Chambre criminelle considère que la Cour d’appel n’a pas justifié sa décision de condamner la directrice de la publication de la revue dans laquelle les propos incriminés ont été rapportés :

« 23. Pour confirmer le jugement en ce qu’il a refusé à Mme [R] le bénéfice de la bonne foi, l’arrêt énonce, d’une part, que les propos incriminés, posés sous forme d’attaque personnelle contre Mme [P] et dont la vraisemblance est sujette à caution, ne reposent pas sur une base factuelle suffisante, d’autre part, qu’en l’absence du respect du contradictoire ou d’une enquête, la prévenue ne peut justifier de leur objectivité.

24. Les juges ajoutent que, si les propos poursuivaient un but d’intérêt général portant sur l’existence de certaines pratiques au sein de la filière d’élevage à la Martinique, ils sont dénués de prudence, en dépit de leur insertion en italique au sein de l’article et en l’absence d’usage du conditionnel.

25. Ils retiennent également qu’ils n’ont pas été recueillis lors d’une interview, mais sont la reprise de propos antérieurs sans que la personne mise en cause n’ait été invitée à réagir à leur insertion dans l’article incriminé.

26. En se déterminant ainsi, alors que le propos litigieux s’inscrivait dans un débat d’intérêt général portant sur l’existence de pratiques condamnables au sein de la filière d’élevage à la Martinique, la cour d’appel, qui devait analyser précisément les pièces produites par la prévenue au soutien de l’exception de bonne foi, afin d’apprécier en considération de ce qui précède, la suffisance de la base factuelle, n’a pas justifié sa décision.»

 

[1] L’article contenant les propos incriminés portait sur des pratiques qui auraient permis de dissimuler le passif de certaines coopératives agricoles préalablement à leur fusion.

[2] Voir également, dans la même affaire : Cass. Crim., 13 septembre 2022, n° 21-81.655.

[3] Article 10 de la CEDH :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »