Par un arrêt du 5 septembre 2023[1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par l’auteur d’un pourvoi formé contre une décision par laquelle la Cour d’appel de Paris a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.
La QPC présentée à la Haute juridiction par mémoire spécial était double dès lors qu’elle portait sur les restrictions apportées par la loi sur la liberté de la presse et le code de procédure pénale à la recevabilité de la constitution de partie civile d’une victime, non nommément visée, soit d’injure publique, soit de provocation publique à la haine, à la discrimination, en raison de sa religion :
« La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions combinées des articles 33 alinéa 3, 24 alinéa 7, 47, 48 et 48-1 alinéas 1 et 2, de la loi du 29 juillet 1881, 2, 2-1 alinéa 1 et 2 et 3 du code de procédure pénale, qui excluent la possibilité pour la victime, attaquée à raison de sa religion, de se constituer partie civile des chefs d’injure publique, lorsqu’elle n’est pas nommément visée, ou de provocation publique à la haine, à la discrimination ou à la violence, à raison de son appartenance à une religion, en réservant cette possibilité aux associations habilitées ou au ministère public, sont-elles contraires au droit de toute personne à un procès équitable, au droit à un recours effectif et à l’équilibre des droits des parties ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi tels qu’ils sont garantis par les articles 1er, 4, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ». »
S’agissant de la première infraction objet de la QPC, à savoir celle d’injure publique à raison de la religion, le refus de la renvoyer au Conseil constitutionnel était attendu dès lors que les sages de la rue de Montpensier se sont déjà prononcés et qu’aucun changement de circonstances n’est susceptible de conduire à les faire changer d’avis :
« Dans sa décision n° 2013-350 QPC en date du 25 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution l’article 47 et le dernier alinéa de l’article 48, à l’exception du 1°, de la loi du 29 juillet 1881 précitée notamment en ce qu’ils sont « relatifs aux pouvoirs respectifs du ministère public et de la victime en matière de mise en œuvre de l’action publique ».
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- Depuis cette décision, aucun changement des circonstances, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, n’est intervenu. »
S’agissant de la seconde infraction, la provocation publique, la Chambre criminelle s’est livrée à son contrôle classique des conditions de transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel.
En l’espèce, si les dispositions critiquées par l’auteur du pourvoi n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, il demeure que la QPC en cause ne présente pas un caractère sérieux.
En effet, la Chambre criminelle estime que le principe d’égalité devant la loi pénale n’est pas méconnu dès lors qu’une personne non individuellement visée par les faits de provocation ne se trouve pas dans la même situation qu’une association dont l’objet est de défendre les intérêts collectifs d’un groupe de personne visé par une telle infraction :
« La question posée ne présente pas un caractère sérieux.
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- En effet, l’application combinée des dispositions précitées ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale, lequel ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
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- Or, la personne physique qui n’a pas été visée individuellement par les faits de provocation visés à l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse n’est pas dans une situation identique à celle d’une association dont l’objet est de défendre les intérêts collectifs d’un groupe de personnes pouvant avoir été visé par cette infraction.
- En réservant au ministère public et à certaines associations la possibilité de mettre en mouvement l’action publique du chef de provocation à la discrimination, à la haine, à la violence à raison de la religion, le législateur a entendu, eu égard à la liberté de la presse et au droit à la liberté d’expression, limiter le risque de poursuites pénales abusives exercées par un membre du groupe visé à raison de son appartenance religieuse, groupe qu’il ne peut prétendre représenter en exerçant tous les droits reconnus à la partie civile au seul motif qu’il professerait la religion considérée.»
Pour la Chambre criminelle, les dispositions objet de la QPC permettent donc d’atteindre un équilibre qu’elle juge conforme à la Constitution.
[1] Cass. Crim., 5 septembre 2023, n° 23-81.316.