Brèves juridiques

Nouvel exemple du contrôle des limites de la liberté d’expression dans le débat politique

By 8 novembre 2023 No Comments

Les rivalités politiques charrient souvent leur lot de propos polémiques et, inévitablement, sont à l’origine de nombreux contentieux[1] dans lesquels les juges s’interrogent sur les limites de la liberté d’expression.

L’affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 17 octobre 2023[2], nous en donne un nouvel exemple.

A la suite de la publication sur la page Facebook d’une commune d’un communiqué de presse intitulé « emplois suspects : le maire de … demande des comptes à l’ancien maire » par lequel son maire nouvellement élu mentionnait avoir écrit à son prédécesseur « pour obtenir des éclaircissements sur plusieurs cas suspects d’emplois de complaisance », ledit prédécesseur a fait citer son successeur « du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public ».

L’auteur du communiqué litigieux a d’abord été relaxé par le tribunal correctionnel, puis l’ancien maire ayant relevé appel du jugement, a formé un pourvoi contre l’arrêt du 10 novembre 2022 par lequel la Cour d’appel de Paris « a dit qu’il a commis une faute civile et s’est déclarée incompétente pour statuer sur l’action civile ».

Rendue au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la décision de la Chambre criminelle rappelle les particularités de l’appréciation des limites admissibles de la liberté d’expression dans le débat politique et l’objet du contrôle du caractère suffisant de la base factuelle supposée soutenir les propos incriminés.

Pour la Haute juridiction, la Cour d’appel a méconnu l’article 10 précité.

En effet :

  • d’abord, alors que la Chambre criminelle confirme le « caractère attentatoire à l’honneur et à la considération» des propos du nouveau maire à l’égard de son prédécesseur, elle relève que si la Cour d’appel a eu raison d’énoncer dans son arrêt que « les propos litigieux s’inscrivent dans un débat d’intérêt général portant sur la gestion de la municipalité de … et ont été tenus dans le cadre polémique politique opposant le nouveau maire à son prédécesseur », elle ne pouvait juger que le prévenu n’a produit aucun élément susceptible d’étayer ses propos et, partant, que la base factuelle sur laquelle ils reposaient « est particulièrement faible » ;

La Cour de cassation juge au contraire que :

« le propos incriminé repose sur une factuelle suffisante dès lors que M. … a produit des pièces démontrant avoir procédé, pendant plusieurs mois, à des vérifications internes avant de solliciter des explications à son prédécesseur ».

  • ensuite, outre l’insuffisance de la base factuelle, les juges d’appel ont estimé que le nouveau maire a tenu des propos excédant les limites admissibles de la liberté expression au motif supplémentaire qu’ « en employant les termes « demande des comptes », « emplois suspects » et « emplois de complaisance », le prévenu a manqué de prudence et de mesure dans l’expression».

Tel n’est pas l’avis de la Chambre criminelle qui insiste non seulement sur le cadre dans lequel les propos ont été tenus mais aussi sur la qualité de leur auteur :

« le propos de M. …. n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique, non professionnel de l’information, dans le contexte de possibles infractions pénales commises par l’ancien maire auquel il a succédé ».

Ce faisant, la Chambre criminelle confirme, outre son contrôle des pièces fournies pour démontrer l’existence d’une base factuelle suffisante, la particularité du discours politique et notamment des joutes entre opposants politiques.

 

[1] Voir notre News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 5 juillet 2023 relative aux Responsabilité des politiques pour les propos tenus par des tiers sur leur compte Facebook.

[2] Cass. Crim., 17 octobre 2023, n° 22-87.470.