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Compétence des juridictions françaises pour des propos diffamatoires ou injurieux publiés sur un site web et visant une personne résidant sur le territoire national

By | Brèves juridiques

Lorsque dans notre News Presse & Réseaux sociaux du 8 novembre 2023 nous écrivions que le champ politique était riche de contentieux en droit de la presse, nous n’exagérions pas.

Voici, en effet, une nouvelle affaire sur laquelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de se prononcer dans un arrêt du 7 novembre 2023[1] ; aboutissement d’une procédure initiée par un homme politique, alors conseiller régional, qui avait déposé plainte avec constitution de partie civile « des chefs de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, d’injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public et d’injure publique commises à raison de l’orientation sexuelle » en raison de propos publiés sur un site internet.

Renvoyé par le juge d’instruction devant le tribunal correctionnel, le Président et directeur de la publication dudit site a été relaxé du chef de diffamation publique mais « déclaré coupable des autres chefs de prévention ». En appel, la partie civile s’est vue débouter de l’ensemble de ses demandes au motif que les juridictions françaises étaient incompétentes.

Les juges d’appel ont estimé, alors même que l’enquête policière avait conclu à la commission de l’infraction en France, que, d’une part, les investigations n’avaient pas permis « de déterminer de façon précise le lieu d’émission », d’autre part, « le seul fait que les propos aient été accessibles depuis le territoire français ne caractérise pas un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître ».

Statuant au visa de l’article 113-2-1 du Code pénal[2], la Chambre criminelle a censuré l’arrêt d’appel et juge que la Cour a méconnu le texte précité dès lors que :

  • en premier lieu, « il est constant que M. … réside en France, de sorte que les infractions poursuivies étaient réputées commises en France» ;
  • en second lieu, « c’est en contradiction avec leur décision d’incompétence que les juges se sont ensuite prononcés sur la responsabilité pénale du prévenu».

L’arrêt d’appel est par ailleurs censuré à un autre titre au motif que si la Cour d’appel a, « à juste titre », écarté le « le régime de responsabilité de plein droit prévu par l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, qui ne s’applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France, les juges ont retenu qu’il n’était pas établi que M. … soit le directeur de publication du site internet et ont écarté sa responsabilité de ce chef. », les juges ne pouvaient s’abstenir de rechercher si le prévenu avait contribué, d’une autre manière, à la diffusion sur le territoire français des propos qui visaient l’auteur du pourvoi :

« En prononçant ainsi, alors qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher, en appréciant le mode de participation du prévenu aux faits poursuivis dans les termes du droit commun, s’il avait contribué personnellement à la diffusion en France, sur un site internet édité à l’étranger, des propos litigieux, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »

Ce faisant, la Chambre criminelle rappelle sa conception extensive de la compétence des juridictions françaises pour des propos visant des personnes résidant en France, et ce quand bien même le support de publication serait édité à l’étranger.

[1] Cass. Crim., 7 novembre 2023, n° 22-86.349.

[2] Article 113-2-1 du Code pénal : « Tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République. »

Nouvel exemple du contrôle des limites de la liberté d’expression dans le débat politique

By | Brèves juridiques

Les rivalités politiques charrient souvent leur lot de propos polémiques et, inévitablement, sont à l’origine de nombreux contentieux[1] dans lesquels les juges s’interrogent sur les limites de la liberté d’expression.

L’affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 17 octobre 2023[2], nous en donne un nouvel exemple.

A la suite de la publication sur la page Facebook d’une commune d’un communiqué de presse intitulé « emplois suspects : le maire de … demande des comptes à l’ancien maire » par lequel son maire nouvellement élu mentionnait avoir écrit à son prédécesseur « pour obtenir des éclaircissements sur plusieurs cas suspects d’emplois de complaisance », ledit prédécesseur a fait citer son successeur « du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public ».

L’auteur du communiqué litigieux a d’abord été relaxé par le tribunal correctionnel, puis l’ancien maire ayant relevé appel du jugement, a formé un pourvoi contre l’arrêt du 10 novembre 2022 par lequel la Cour d’appel de Paris « a dit qu’il a commis une faute civile et s’est déclarée incompétente pour statuer sur l’action civile ».

Rendue au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la décision de la Chambre criminelle rappelle les particularités de l’appréciation des limites admissibles de la liberté d’expression dans le débat politique et l’objet du contrôle du caractère suffisant de la base factuelle supposée soutenir les propos incriminés.

Pour la Haute juridiction, la Cour d’appel a méconnu l’article 10 précité.

En effet :

  • d’abord, alors que la Chambre criminelle confirme le « caractère attentatoire à l’honneur et à la considération» des propos du nouveau maire à l’égard de son prédécesseur, elle relève que si la Cour d’appel a eu raison d’énoncer dans son arrêt que « les propos litigieux s’inscrivent dans un débat d’intérêt général portant sur la gestion de la municipalité de … et ont été tenus dans le cadre polémique politique opposant le nouveau maire à son prédécesseur », elle ne pouvait juger que le prévenu n’a produit aucun élément susceptible d’étayer ses propos et, partant, que la base factuelle sur laquelle ils reposaient « est particulièrement faible » ;

La Cour de cassation juge au contraire que :

« le propos incriminé repose sur une factuelle suffisante dès lors que M. … a produit des pièces démontrant avoir procédé, pendant plusieurs mois, à des vérifications internes avant de solliciter des explications à son prédécesseur ».

  • ensuite, outre l’insuffisance de la base factuelle, les juges d’appel ont estimé que le nouveau maire a tenu des propos excédant les limites admissibles de la liberté expression au motif supplémentaire qu’ « en employant les termes « demande des comptes », « emplois suspects » et « emplois de complaisance », le prévenu a manqué de prudence et de mesure dans l’expression».

Tel n’est pas l’avis de la Chambre criminelle qui insiste non seulement sur le cadre dans lequel les propos ont été tenus mais aussi sur la qualité de leur auteur :

« le propos de M. …. n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique, non professionnel de l’information, dans le contexte de possibles infractions pénales commises par l’ancien maire auquel il a succédé ».

Ce faisant, la Chambre criminelle confirme, outre son contrôle des pièces fournies pour démontrer l’existence d’une base factuelle suffisante, la particularité du discours politique et notamment des joutes entre opposants politiques.

 

[1] Voir notre News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 5 juillet 2023 relative aux Responsabilité des politiques pour les propos tenus par des tiers sur leur compte Facebook.

[2] Cass. Crim., 17 octobre 2023, n° 22-87.470.

Maître Olivier BARATELLI, avocat de Christian ESTROSI et de la Métropole de Nice Côté d’Azur, répond

By | Actualités

Extrait de l’article publié sur le site internet du journal Le Figaro, dans son édition du 30 octobre 2023 :

« Tempête Alex : ce document interne sur le financement des travaux qui sème le trouble autour de Christian Estrosi.

ENQUÊTE – Depuis des mois, la lenteur des travaux de reconstruction des vallées maralpines sinistrées interroge et suscite la colère des élus locaux et des populations concernées. Et si la Métropole de Nice, compétente sur la majorité des chantiers, s’était financièrement désengagée? »

(…)

« Contactée sur la note du comité de direction du 20 septembre 2022, la Métropole nous a renvoyés à son avocat, Maître Olivier Baratelli. Celui-ci soutient que la présidence de la collectivité, autrement dit Christian Estrosi, « n’a pas connaissance de ce relevé de décisions, dont les termes sont manifestement inadaptés ». Pour l’avocat, « l’engagement de la Métropole n’a jamais faibli, ni immédiatement après la tempête, ni en 2023 ». Il ne s’agirait, exprime-t-il, que d’une manœuvre conduite par ceux qui ont « un intérêt politique à émettre ce type de suppositions »Maître Baratelli en veut pour preuve le budget annexe dédié à la reconstruction des vallées adopté le 27 mars par le conseil métropolitain et qui prévoyait un niveau de dépenses d’investissement de 27 millions et demi d’euros et d’un peu plus d’un million d’euros de dépenses de fonctionnement. «Il est donc totalement faux d’affirmer que la Métropole n’a pas prévu ou engagé de crédits pour la reconstruction des vallées en 2023.»

 

👉🏻 Pour lire l’article dans son intégralité, sur le site internet du journal Le Figaro, cliquer ici : « Tempête Alex : ce document interne sur le financement des travaux qui sème le trouble autour de Christian Estrosi » 

 

Rappel des conditions de l’excuse de bonne foi, appréciation particulière du ton employé par un journaliste engagé réfugié politique et absence de faute civile dès lors que l’imprécision des propos litigieux ne permet pas de dire si la partie civile était visée comme auteur ou victime d’une infraction pénale

By | Brèves juridiques

Dans un arrêt du 17 octobre 2023 (Cass. Crim., 17 octobre 2023, n° 22-87.544), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le directeur adjoint d’une banque étrangère et par ladite banque contre l’arrêt d’appel ayant confirmé la relaxe d’un journaliste contre lequel une plainte avec constitution de partie civile avait été déposée pour diffamation publique envers un particulier.

Pour accorder le bénéfice de l’excuse de bonne foi au prévenu, qui avait notamment évoqué un « scandale de détournement de fonds » au cœur duquel serait cette banque détenue par deux banques d’Etat et intervenant à l’étranger, ainsi que l’audition de son « patron » pendant « plus de 17 heures par la police française », la Cour d’appel de Paris a fait application des critères classiques (inscription des propos dans un débat d’intérêt général, existence d’une base factuelle suffisante au regard de l’analyse faite par les juges de première instance) et a ajouté :

« qu’aucune animosité personnelle n’anime le prévenu, journaliste engagé[1], qui a été emprisonné en … pour de précédents articles critiques et qui bénéficie aujourd’hui de la qualité de réfugié politique en France. Ils en déduisent que celui-ci doit bénéficier d’une protection accrue de sa liberté d’expression, de sorte qu’une plus grande liberté de ton doit lui être reconnue, dès lors qu’il est en mesure de justifier d’un minimum de base factuelle. »

Cette précision des juges d’appel sur la nécessaire protection supérieure dont doit bénéficier un « journaliste engagé », « réfugié politique en France », témoigne de la détermination des juridictions françaises de garantir la liberté d’expression de personnes qui en sont privées dans leur pays d’origine, à la condition toutefois, et naturellement, qu’elles soient en capacité d’étayer un minimum leurs affirmations. La qualité de journaliste engagé et de réfugié politique ne doit pas constituer un blanc-seing permettant un exercice dévoyé de la liberté d’expression.

Ici, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel a justifié sa décision et rappelle une distinction importante dans l’analyse qui doit être faite de la bonne foi, à savoir que « l’existence d’une base factuelle suffisante ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits ».

L’arrêt ici commenté retient également notre attention en tant que la Haute juridiction confirme le rejet en appel des demandes des parties civiles au motif que les propos litigieux « ne sont pas suffisamment précis pour déterminer si la société … est visée comme auteur d’une infraction pénale ou comme victime ».

La Chambre criminelle considère, en effet, que :

« 17. En premier lieu, elle a souverainement analysé les éléments extrinsèques susceptibles d’éclairer le sens et la portée des propos poursuivis tels qu’ils pouvaient être compris par les personnes susceptibles d’en prendre connaissance.

  1. En second lieu, elle a, au terme de cette analyse, exactement retenu que ces propos n’étaient pas suffisamment précis pour déterminer que la société BIA était visée en tant qu’auteur des faits dénoncés et non comme victime.»

En effet, si la banque, partie civile dans la présente espèce, était citée comme « au cœur d’un scandale de détournement de fonds », il était possible pour certains lecteurs de comprendre qu’elle était décrite par le journaliste comme l’auteur d’une infraction pénale, pour d’autres, comme une victime de ces faits.

La Chambre criminelle rappelle donc que pour faire droit aux demandes des parties civiles, il ne doit pas exister de doute quant à la « qualité » qui leur est prêtée par l’auteur des propos.

[1] Mis en gras par nos soins.

Tribune, dans le journal Le Monde, des avocats Céline ASTOLFE et Sébastien DU PUY MONTBRUN, sur la lutte contre les violences faites aux enfants dans le sport – Perspective JO 2024

By | Actualités

Extrait de la tribune publiée le 20 octobre 2023 dans le journal Le Monde : 

« En vue des Jeux olympiques de Paris 2024, les avocats Céline Astolfe et Sébastien du Puy-Montbrun appellent, dans une tribune au « Monde », à poursuivre les efforts entamés pour lutter contre les violences faites aux enfants dans le sport. »

 

👉🏻 Pour lire l’article intégral directement sur le site du journal Le Monde, cliquer ici : « Sport : « Les violences faites aux enfants sont protéiformes et doivent trouver une réponse globale, aussi bien dans les sphères professionnelles qu’amatrices« 

Maître Olivier BARATELLI, avocat du collectionneur qui avait découvert un dessin de Léonard De Vinci par hasard, obtient l’autorisation de vente

By | Actualités

Extrait de l’article publié par le journal Le Parisien, édition du 20 octobre 2023 :

« La France ne pourra pas conserver ce trésor sur son territoire. Le tribunal administratif de Paris a tranché en faveur du propriétaire d’un dessin de Vinci estimé à plusieurs millions d’euros et enjoint la ministre de la Culture de permettre sa vente à l’étranger, a-t-on appris d’un communiqué du tribunal vendredi.

(…)

Christie’s en charge de la vente

« Une grande victoire », pour Olivier Baratelli, avocat du propriétaire. « Cet exceptionnel dessin de Léonard de Vinci, longtemps privé d’exposition au grand public en raison de revendications farfelues, va enfin pouvoir être présenté et vendu », a-t-il déclaré. »

👉🏻 Pour lire l’article intégral directement sur le site Le Parisien, cliquer ici : « Le collectionneur qui avait découvert un dessin de Vinci par hasard autorisé à le vendre à l’étranger par la justice »

 

Sur le même sujet, dans l’édition du journal Le Monde du 20 octobre 2023 : 

« C’est une grande victoire, jubile Me BaratelliCe jugement sanctionne le comportement du ministère de la culture qui avait refusé la délivrance du passeport sur des bases bien fragiles. » L’étude de saint Sébastien devrait prochainement passer sous le marteau, possiblement chez Christie’s. « Mais ce que mon client aurait voulu, c’est que le Louvre l’achète », confie l’avocat.

 

👉🏻 Pour lire l’article intégral directement sur le site Le Monde, cliquer ici : « Le ministère de la culture contraint de délivrer un certificat d’exportation pour un dessin de Léonard de Vinci »

 

Maître Olivier BARATELLI, avocat de Christian ESTROSI et de la métropole Nice Côte d’Azur : la justice est saisie et suit son cours

By | Actualités

Extrait de l’article publié sur le journal Nice-Matin, édition du 19 octobre 2023 : 

« Anomalies », actes « graves », « rapport terrible »: que se passe-t-il sur le chantier post-Alex de cette route de la Vésubie? Alors que l’enquête pour « détournement de fonds publics » suit son cours, des expertises sur les travaux de la route de la Madone dans la Vésubie révèlent un préjudice de 8 millions d’euros.»

(…)

« Tout ça donne lieu à un signalement supplémentaire au parquet de Nice », indique Maître Olivier Baratelli. Contacté, l’avocat de la Métropole rappelle que la collectivité « est soucieuse de participer pleinement à la manifestation de la vérité. Elle a saisi, dès le 28 février, le parquet de Nice qui mène depuis, avec diligence, une enquête, préliminaire, rapide et efficace. Le secret de l’enquête interdit de révéler les nombreuses investigations déjà intervenues mais la Métropole peut confirmer qu’elle a récemment remis de nouvelles pièces, issues de ses investigations internes et des expertises qu’elle avait demandées concernant des suspicions relatives aux travaux de la route de la Madone. Si des irrégularités ou des infractions ont été commises dans la vallée de la Vésubie, la justice doit trouver les coupables et les sanctionner ».

 

👉🏻 Pour lire l’article intégral sur le site de Nice-Matin, cliquer ici : https://www.nicematin.com/amp/urbanisme/-anomalies-actes-graves-rapport-terrible-que-se-passe-t-il-sur-le-chantier-post-alex-de-la-route-de-la-madone-de-fenestre-a-saint-martin-vesubie–880131 

L’accessibilité au public français par internet de propos diffamatoires ne suffit pas à rendre compétentes les juridictions françaises

By | Brèves juridiques

Le fait que des propos considérés comme diffamatoires par la partie civile soient accessibles, via internet, depuis la France, suffit-il à rendre compétentes les juridictions françaises ?

Telle est la question à laquelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à répondre[1] dans un arrêt du 5 septembre 2023 (Cass. Crim., n° 22-84.537), saisie d’un pourvoi formé par un ancien Président de la République d’Albanie et des membres de sa famille, de nationalité et de résidence albanaises, contre un arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris ayant confirmé l’ordonnance par laquelle un juge d’instruction s’était déclaré incompétent « pour informer sur leur plainte du chef de diffamation publique envers un particulier ».

En l’espèce, la plainte avec constitution de partie civile, déposée le 28 juillet 2021 entre les mains du Doyen des juges d’instruction du Tribunal judiciaire de Paris, visait le « secrétaire d’Etat américain, du chef de diffamation publique envers un particulier en raison de la publication, le 19 mai précédent, sur le site internet du département d’Etat américain, d’un communiqué de presse en anglais contenant des propos jugés diffamatoires ». Le même secrétaire d’Etat américain avait également publié le même jour des propos similaires sur son compte Twitter.

Les demandeurs au pourvoi critiquaient le raisonnement de la Chambre de l’instruction aux termes duquel celle-ci avait jugé qu’il n’existait pas d’élément de rattachement au territoire français susceptible de fonder la compétence de ses juridictions.  Ils estimaient notamment que les propos du Secrétaire d’Etat américain diffusés par internet étaient destinés, même non exclusivement, au public français, dès lors qu’ils avaient « été relayés en langue française par un article du Figaro et deux articles du Courrier des Balkans, et que 7 personnes résidant en France, dont deux albanais naturalisés français, en aient eu connaissance ».

La Chambre criminelle n’a accueilli aucun des moyens soulevés[2] et a confirmé la décision objet du pourvoi qui reprenait une jurisprudence désormais bien établie[3] selon laquelle :

« s’agissant de propos diffusés par internet, le critère d’accessibilité aux propos litigieux depuis le territoire français ne peut suffire à lui seul à caractériser un acte de publication sur ce territoire, rendant le juge français compétent pour en connaître.

    1. Les juges en déduisent qu’il doit être recherché si les propos poursuivis peuvent être rattachés au territoire de la République, c’est-à-dire s’ils sont destinés au public français.»

Dans la présente affaire, aucun élément n’était susceptible de démontrer que les propos litigieux étaient destinés, ne seraient-ce que pour partie, au public français et, partant, de fonder la compétence des juridictions françaises.

En effet, qu’il s’agisse de la langue dans laquelle les propos ont été initialement publiés (l’anglais), du sujet abordé (la vie politique albanaise), de la nationalité ou du lieu de résidence des plaignants, rien ne permettait de considérer que le public français était « destinataire » et ce malgré la traduction du communiqué et du tweet du Secrétaire d’Etat américain dans le Figaro.

Au surplus, la Chambre criminelle précise que :

« En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

    1. En premier lieu, en l’absence de tout critère rattachant au territoire de la République les propos incriminés, la circonstance que ceux-ci, du fait de leur diffusion sur le réseau internet, aient été accessibles depuis ledit territoire ne caractérisait pas, à elle seule, un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître.
    1. En second lieu, les plaignants auraient pu poursuivre les organes de presse ayant repris en France les propos dénoncés.
    1. Ainsi, le moyen doit être écarté.»

La Chambre criminelle applique ici sa propre jurisprudence et fait preuve de bon sens en exigeant un véritable rattachement au territoire français pour que les juridictions de celui-ci retiennent leur compétence. A défaut, tout propos diffamatoire publié sur internet serait, par son simple accès depuis la France, susceptible de ressortir de la compétence desdites juridictions. Chacun peut convenir que la situation ainsi créée serait ingérable.

[1] Cass. Crim., 5 septembre 2023, 22-84.537.

[2] Moyens qui visaient « les articles 113-2 et 113-2-1 du code pénal, 29, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 591 et 593 du code de procédure pénale ».

[3] Cass. Crim., 12 juillet 2016, n° 15-86.645.

Diffamation et exception de nullité de l’assignation : l’allégation de propos diffamatoires implique que l’action engagée par la victime soit fondée sur les dispositions applicables de la loi sur la liberté de la presse

By | Brèves juridiques

Specialia generalibus derogant : les lois spéciales dérogent aux lois générales.

Cet adage bien connu des étudiants en droit trouve particulièrement à s’appliquer en matière d’actions engagées par une personne s’estimant victime de propos diffamatoires.

Dans un arrêt du 13 septembre 2023[1], la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur un pourvoi formé contre un arrêt aux termes duquel les juges d’appel avaient rejeté l’exception de nullité d’une assignation visant expressément les articles 9 et 9-1 du code civil, 835 du code de procédure civile et 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Dans cette affaire, un enseignant qui venait d’être désigné principal d’un collège avait vu sa nomination critiquée en ces termes par un syndicat : « chef maltraitant recasé : stop au pas de vague » et « un chef maltraitant au collège des (…) ».

L’enseignant avait alors assigné en référé le syndicat pour obtenir le retrait des propos publiés par le syndicat ; lequel avait alors soulevé une exception de nullité de l’acte d’assignation.

Pour la rejeter, les juges d’appel ont estimé que l’assignation :

« vise expressément les articles 9 et 9-1 du code civil, 835 du code de procédure civile et 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qu’il s’agit d’une action tendant à obtenir, en référé, la cessation d’un trouble manifestement illicite à la vie privée, à la présomption d’innocence et à la liberté de travailler et qu’il n’y est à aucun moment fait référence à la loi du 29 juillet 1881 pour obtenir réparation de faits diffamatoires. »

Dit autrement, on comprend que la Cour d’appel a considéré que dès lors que la loi sur la presse n’était pas visée dans l’assignation, il ne s’agissait pas d’une action ayant pour objet la réparation de propos diffamatoires mais la cessation d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du code de procédure civile. Le droit commun s’appliquait selon elle et l’assignation n’était pas nulle au motif qu’elle ne faisait pas mention de la loi spéciale, celle sur la liberté de la presse.

La 1ère Chambre civile censure l’arrêt d’appel au visa des articles 29 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 dont elle rappelle que :

« Aux termes du premier de ces textes, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation et, selon le second, la citation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite. »

En l’espèce, la Haute juridiction juge que la Cour d’appel aurait dû accueillir l’exception de nullité dès lors que, dans son arrêt, elle relevait bien que l’enseignant en cause avait exposé être victime d’allégations diffamatoires :

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait préalablement relevé que M. [D] exposait être victime dans les communiqués des 6 et 13 novembre 2020 d’allégations diffamatoires et que ces communiqués le présentaient comme un chef d’établissement maltraitant, la cour d’appel, qui n’a pas tiré conséquences légales de ces constatations, a violé les articles susvisés. »

En d’autres termes, dès lors que les allégations étaient présentées comme diffamatoires, l’action de la personne qui estime en être victime doit être fondée sur les dispositions pertinentes de la loi sur la liberté de la presse.

L’assignation qui, dans une telle hypothèse, ne vise pas expressément ladite loi est donc nulle.

 

 

[1] Cass. Civ. 1ère, 13 septembre 2023, n° 22-20.947.