Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 septembre 2024, n°23-83.457
Par une décision du 24 septembre 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est de nouveau penchée sur les modalités d’appréciation des « quatre critères du fait justificatif de la bonne foi », à l’occasion d’un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Pau (Chambre correctionnelle).
Les 29 et 30 janvier 2019, un syndicat de police diffusait un tract syndical dans les locaux d’un commissariat et par courriel interne aux adhérents dudit syndicat.
Le tract, intitulé « (X) : chasser le naturel il revient au bureau » était rédigé en ces termes :
« inadmissible, surréaliste… le 18 janvier 2019, alors que l’ensemble des collègues de la section d’intervention sont une nouvelle fois décalés de 13 h à 21h pour un service de maintien de l’ordre leur excellentissime major décide de rester en horaire de journée au chaud dans son bureau. Rien ne change… il est vrai que cette unité peut se le permettre étant en sureffectif… il ose tout… lui c’est même à ça qu’on le reconnaît. Unité (…) demandera une fois de plus des explications à ses supérieurs concernant cette attitude ».
Le 26 avril 2019, le major de police visé par ces propos déposait plainte du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, notamment à l’encontre du secrétaire départemental du syndicat de police.
Le 21 janvier 2020, le prévenu était renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique pour l’affichage du tract au sein du commissariat, dans les espaces recevant du public, et diffamation non publique, pour la diffusion du tract par courriel interne et son affichage dans les locaux du commissariat non accessibles au public.
Le 26 octobre 2021, le secrétaire départemental était relaxé par le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, mais était déclaré coupable du chef de diffamation non publique.
Il interjetait appel de cette décision et invoquait au soutien de sa défense la bonne foi dont il estimait devoir bénéficier.
La Cour d’appel de Pau confirmait le jugement attaqué et écartait le bénéfice de la bonne foi au motif que :
« les propos litigieux constituent uniquement une attaque visant le chef de la section d’intervention, dans son statut de chef, sur le terrain de son éthique professionnelle, en ce que les imputations concernent les qualités personnelles et professionnelles de la partie civile, et non l’organisation du service dont il avait la charge.
- Ils en concluent que les quatre conditions légales de la bonne foi, qui doivent être cumulées, ne sont pas réunies. »
La Cour d’appel fondait son appréciation sur les quatre critères traditionnels de la bonne foi dégagés par la jurisprudence qui sont les suivants : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi qu’une base factuelle suffisante qui recouvre la notion d’enquête sérieuse[1].
A l’occasion de l’examen du pourvoi, la Cour de cassation rappelait le contexte de publication du tract litigieux :
« 14. En effet, le tract litigieux, qui s’inscrit dans une action syndicale de protestation relative aux difficultés de travail au sein d’une section d’intervention, à l’occasion d’une opération de maintien de l’ordre, dans le cadre d’un conflit social, contribue à un débat d’intérêt général. »
Selon la Haute juridiction, puisqu’il avait été diffusé dans un contexte caractérisé par une action syndicale, à l’occasion d’une opération de maintien de l’ordre et dans le cadre d’un conflit social, le tract contribuait à un débat d’intérêt général.
La Chambre criminelle rappelle que la bonne foi doit être appréciée au regard de l’interprétation donnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :
« 15. Il appartient alors aux juges du fond, en application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, de rechercher si les propos reposent sur une base factuelle suffisante, notion qui recouvre celle d’enquête sérieuse, puis, lorsque cette deuxième condition est également réunie, de déterminer si l’auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l’expression et était dénué d’animosité personnelle, ces deux derniers critères devant être alors appréciés moins strictement. »
Selon la CEDH, le juge doit donc :
- d’abord, rechercher si les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante,
- puis, si ces deux conditions sont réunies, déterminer si l’auteur des propos a conservé prudence et mesure dans l’expression et qu’il était dénué d’animosité personnelle.
En ne suivant pas ce « manuel » de l’appréciation de la bonne foi, la Cour de cassation juge que : « la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. » et renvoie « la cause et les parties devant la cour d’appel de Bordeaux ».
Par cet arrêt, la chambre criminelle réaffirme ainsi une position déjà établie dans un précédent arrêt de 2023[2].
Désormais, plus de doute, l’évaluation de la bonne foi reposera systématiquement sur l’approche en deux étapes définie par la jurisprudence de la CEDH.
[1] Cass, crim, 11 avril 2012, n°11-83.007 ou encore dans le même sens sur l’application des quatre critères traditionnels Cass, crim, 2 juillet 2014, n°13-20.219
[2] Cass, crim, 5 septembre 2023, n°22-84.763
Dans son arrêt de Grande Chambre du 4 octobre 2024 (Aff. C‑633/22), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient d’apporter une pierre complémentaire importante à l’édification d’un régime juridique protecteur de la liberté d’expression.
Plus précisément, la CJUE a statué sur « une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 28 septembre 2022, parvenue à la Cour le 11 octobre 2022 » dans une procédure opposant le club de football du Real Madrid et un membre de son équipe médicale à la société éditrice du quotidien Le Monde et à l’un de ses journalistes salariés ; procédure qui avait abouti à leur condamnation pour avoir publié le 7 décembre 2006, un article dans lequel il était affirmé que le Real Madrid et le Fútbol Club Barcelona avaient recouru aux services d’un instigateur d’un réseau de dopage dans le milieu du cyclisme.
Dans l’arrêt ici commenté, la CJUE a dû se prononcer sur la possibilité pour un juge national de refuser l’exécution d’une décision d’une juridiction étrangère lorsque celle-ci aurait pour effet une violation manifeste de la liberté de la presse.
En principe, le droit de l’Union européenne prévoit que l’exécution des décisions de justice rendues par une juridiction d’un autre Etat membre doit être simple et rapide ainsi qu’en disposaient les considérants 16 et 17 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000[1], concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable à la présente espèce :
« (16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.
(17) Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement. »
Toutefois, ce même règlement prévoyait
- d’une part, à son article 34, point 1, que :
« Une décision n’est pas reconnue si :
- la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat membre requis».
- d’autre part, à son article 45 que :
« 1. La juridiction saisie d’un recours prévu à l’article 43 ou 44 ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. Elle statue à bref délai.
-
- En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »
Pour mieux comprendre la raison de la demande préjudicielle adressée par la Cour de cassation à la CJUE, il est nécessaire de rappeler les faits et la nature de la condamnation prononcée par une juridiction espagnole à l’encontre de la société éditrice du Monde et de l’un de ses journalistes.
Ainsi que l’expose la Cour :
« Le 7 décembre 2006, le journal Le Monde a publié un article, rédigé par EE, journaliste salarié de ce journal, dans lequel il était affirmé que le Real Madrid et le Fútbol Club Barcelona avaient recouru aux services d’un instigateur d’un réseau de dopage dans le milieu du cyclisme. De nombreux médias, notamment espagnols, ont relayé cette publication. Le 23 décembre 2006, le journal Le Monde a publié, sans commentaire, une lettre de démenti que lui avait fait parvenir le Real Madrid. »
Assignés par le Real Madrid et le membre susmentionné de son équipe médicale, la société éditrice du Monde et le journaliste auteur de l’article ont été condamnés le 27 février 2009 par un tribunal madrilène – décision confirmée après rejet d’un pourvoi par la Cour suprême espagnole le 24 février 2014 – à payer, en réparation du préjudice moral subi, 300.000 euros au Real Madrid et 30.000 au membre de son équipe médicale.
A ces sommes sont venues s’ajouter celles de 90.000 euros, au profit du Real Madrid, et de 3.000 euros pour le soignant, au titre des intérêts et des frais, à la suite d’une décision du 11 juillet 2014 du Tribunal de première instance de Madrid ordonnant l’exécution de l’arrêt de la Cour suprême espagnole.
Si le 15 février 2018, le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu « deux déclarations constatant le caractère exécutoire de l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 24 février 2014 ainsi que de ces ordonnances. », la Cour d’appel de Paris les a infirmées au motif qu’elles étaient manifestement contraires à l’ordre public international français dès lors que ces condamnations avaient « un effet dissuasif sur la participation d’un journaliste et d’un organe de presse à la discussion publique des sujets intéressant la collectivité, de nature à entraver les médias dans l’accomplissement de leur tâche d’information et de contrôle, de sorte que la reconnaissance ou l’exécution des décisions prononçant ces condamnations heurtait de manière inacceptable l’ordre public international français, en tant qu’elle portait atteinte à la liberté d’expression ».
C’est à l’occasion de l’instruction du pourvoi en cassation formé par le Real Madrid et le membre de son équipe médicale que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser pas moins de 7 questions préjudicielles[2].
Avant de dire comment il convient d’interpréter les dispositions des articles 34.1 et 45 du règlement n° 44/2001 à la lumière de l’article 11, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne aux termes duquel « toute personne a droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières », la CJUE rappelle que :
« un recours à la clause de l’ordre public, prévue à l’article 34, point 1, du règlement no 44/2001, n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance ou l’exécution de la décision rendue dans un autre État membre heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État membre requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. Afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision étrangère, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État membre requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique (arrêts du 28 avril 2009, Apostolides, C-420/07, EU:C:2009:271, point 59, et du 25 mai 2016, Meroni, C-559/14, EU:C:2016:349, point 42). »
L’exécution d’une décision d’une juridiction d’un Etat membre dans un autre Etat de l’Union doit donc être la règle ; le refus d’exécuter, l’exception :
« Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’article 34 du règlement no 44/2001 doit recevoir une interprétation stricte en ce qu’il constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux poursuivi par ce règlement. Il ne doit dès lors jouer que dans des cas exceptionnels (arrêts du 28 avril 2009, Apostolides, C-420/07, EU:C:2009:271, point 55, et du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Associa on, C-700/20, EU:C:2022:488, point 77 ainsi que jurisprudence citée). »
En l’espèce, et comme la CJUE a l’habitude de le faire lorsqu’est en cause la liberté d’expression, elle va s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. La CJUE précise même qu’en vue de l’interprétation de l’article 11 de la Charte, elle doit « tenir compte des droits correspondants garantis par l’article 10 de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que seuil minimal de protection ».
La CJUE rappelle ainsi, dans des formulations très proches de celles employées par la CEDH, que :
- d’abord, « Lorsque sont concernés des journalistes et/ou des éditeurs et organes de presse du fait d’une publication d’un article de presse, la liberté d’expression et d’information est spécifiquement protégée par l’article 11, paragraphe 2, de la Charte, en vertu duquel la liberté des médias et leur pluralisme doivent être respectés.» ;
- ensuite, « l’article 11 de la Charte constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et pluraliste, faisant partie des valeurs sur lesquelles est (…) fondée l’Union» et que, dès lors, s’agissant de la presse et des journalistes, « Les ingérences dans les droits et libertés garantis par cet article 11 doivent donc, dans un tel contexte, être limitées au stricte nécessaire ».
La Cour reprend même la jurisprudence spécifique définie par la CEDH en la matière et selon laquelle :
- « les exceptions auxquelles est soumise la liberté d’expression appellent une interprétation stricte», l’article 10, paragraphe 2, de la Convention ne laissant « guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique et dans celui des questions d’intérêt général » ;
- « Si les personnes lésées par des propos diffamatoires ou par d’autres types de contenu illicite doivent disposer de la possibilité d’engager une action en responsabilité de nature à constituer un recours effectif contre les atteintes à leur réputation, toute décision accordant des dommages intérêts pour une atteinte causée à la réputation doit présenter un rapport raisonnable de proportionnalité entre la somme allouée et l’atteinte en cause».
La CJUE fait ainsi sienne la position de la CEDH qui incite à la prudence lorsque « les mesures ou les sanctions prises sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion de questions présentant un intérêt général légitime, et donc avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté de la presse à l’égard de telles questions ».
C’est au vu de l’ensemble de ces principes que la CJUE va se livrer à une lecture conjointe de l’article 34, point 1 et de l’article 45 du règlement n° 44/2001 avec l’article 11 de la Charte et considérer que :
« 68 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, parmi lesquelles figurent non seulement les ressources des personnes condamnées mais également la gravité de leur faute et l’étendue du préjudice telles qu’elles ont été constatées dans les décisions en cause au principal, si l’exécution de ces décisions aurait pour effet, au regard des critères énoncés aux points 53 à 64 du présent arrêt, une violation manifeste des droits et libertés tels que consacrés à l’article 11 de la Charte.
69 À cet effet, il incombe à cette juridiction de vérifier si les dommages-intérêts accordés dans lesdites décisions s’avèrent manifestement disproportionnés par rapport à l’atteinte à la réputation en cause et risquent ainsi d’avoir un effet dissuasif dans l’État membre requis sur la couverture médiatique de questions analogues à l’avenir ou, plus généralement, sur l’exercice de la liberté de la presse, telle que consacrée à l’article 11 de la Charte. »
Reste donc à attendre la décision qui sera rendue par la Cour de cassation sur le fondement de cette interprétation du droit de l’Union dans les circonstances spécifiques du litige opposant le Real Madrid à la société éditrice du Monde. La Haute juridiction française devra dire si l’exécution de la condamnation prononcée par la justice espagnole doit être refusée au motif qu’ « elle aurait pour effet une violation manifeste de la liberté de la presse, telle que consacrée à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux, et ainsi, une atteinte à l’ordre public de l’Etat membre requis ».
[1] Aujourd’hui abrogé et remplacé par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale
[2] « 1) Les articles 34 et 36 du règlement [no 44/2001] et l’article 11 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une condamnation pour l’atteinte à la réputation d’un club sportif par une information publiée par un journal est de nature à porter manifestement atteinte à la liberté d’expression et à constituer ainsi un motif de refus de reconnaissance et d’exécution ? 2) En cas de réponse affirmative, ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que le caractère disproportionné de la condamnation ne peut être retenu par le juge requis que si les dommages-intérêts sont qualifiés de punitifs soit par la juridiction d’origine, soit par le juge requis, et non s’ils sont alloués pour la réparation d’un préjudice moral ? 3) Ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que le juge requis ne peut se fonder que sur l’effet dissuasif de la condamnation au regard des ressources de la personne condamnée ou qu’il peut retenir d’autres éléments tels que la gravité de la faute ou l’étendue du préjudice ? 4) L’effet dissuasif au regard des ressources du journal peut-il constituer, à lui seul, un motif de refus de reconnaissance ou d’exécution pour atteinte manifeste au principe fondamental de la liberté de la presse ? 5) L’effet dissuasif doit-il s’entendre d’une mise en danger de l’équilibre financier du journal ou peut-il consister seulement en un effet d’intimidation ? 6) L’effet dissuasif doit-il s’apprécier de la même façon à l’égard de la société éditrice d’un journal et à l’égard d’un journaliste, personne physique ? 7) La situation économique générale de la presse écrite est-elle une circonstance pertinente pour apprécier si, au-delà du sort du journal en cause, la condamnation est susceptible d’exercer un effet d’intimidation sur l’ensemble des médias ? »
Cour d’appel de Paris, Pôle 1 Chambre 3, arrêt du 10 septembre 2024
L’obtention des données d’identification auprès des plateformes est une question épineuse dont le régime juridique mouvant nous préoccupe depuis quelques temps déjà.
Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs news droit de la presse et réseaux sociaux[1].
Avec cet arrêt du 10 septembre 2024, la Cour d’appel de Paris rappelle la possibilité de solliciter les données d’identification au juge civil et réaffirme l’état du droit positif quant à la catégorie de données susceptibles d’être demandées aux plateformes.
M.X, maire d’une commune depuis plusieurs années, découvrait l’existence de quatre comptes Facebook créés courant mars 2023, usurpant son identité en utilisant ses nom et prénom, ainsi que l’image de son profil et celle de couverture de son compte, à savoir une photographie officielle sur laquelle il porte l’écharpe tricolore de maire et une autre photographie le représentant accompagné de son équipe municipale.
Les quatre comptes avaient depuis été supprimés pour le premier peu avant l’acte d’assignation, pour les autres peu après celui-ci, puis au cours de la procédure.
Le 17 mai 2023, M. X assignait en effet la société Meta en référé afin que lui soit communiquées les données, et notamment l’adresse IP lui permettant d’identifier les titulaires des comptes Facebook, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Le 5 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris déboutait M. X. de l’intégralité de ses demandes et le condamnait aux dépens.
Le 9 octobre 2023, M.X. interjetait appel de cette décision et sollicitait qu’il soit ordonné à Meta la communication des données visées aux articles 2 à 6 du décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, pris en application du II de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 10 septembre 2024 permet de faire point sur le type de données dont il est toujours possible de solliciter la communication sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
- Premièrement, les données d’identification peuvent être sollicitées au juge civil sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile
La Cour d’appel de Paris a jugé à deux reprises, qu’une action en référé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile aux fins d’obtenir la communication de données d’identification, ne peut être engagée que dans la perspective d’une future action pénale (CA Paris, 18 février 2022, n° 20/13824 ; CA Paris, 27 avril 2022, n° 21/14958).
Nous avions évoqué ces décisions lorsque nous avions commenté un jugement rendu par la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 septembre 2024 s’inscrit dans le prolongement de ces décisions et rappelle qu’il est toujours de la compétence du juge des référés de demander la communication de données d’identification devant le juge civil :
« Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
La Cour d’appel de Paris explique de manière explicite que la nouvelle rédaction de l’article 6 de la LCEN ne retire pas d’attribution au juge des référés, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Les pouvoirs dont bénéficie le juge civil dans ce domaine ont pu être questionnés. Tel n’est plus le cas désormais.
Après une analyse de l’ensemble des pièces apportées par M. X, la Cour d’appel estime que les faits dénoncés sont susceptibles de revêtir la qualification d’usurpation d’identité, ce qui rend légitime la recherche de la preuve de l’identité des personnes derrière ces comptes :
« En l’état, ces faits sont susceptibles de recevoir la qualification d’usurpation d’identité au sens de l’article 226-4-1 du code pénal. Il existe donc un procès potentiel entre M. X. et la ou les personnes ayant ouvert ces comptes litigieux, qui n’est pas manifestement voué à l’échec, rendant légitime la recherche de la preuve de l’identité de cette ou ces personnes.
La demande de communication des éléments d’identification du ou des créateurs des comptes litigieux, qui n’apparaît pas, dans son principe, disproportionnée, sera accueillie.
L’ordonnance sera infirmée de ce chef. »
- Deuxièmement, les données techniques utilisées pour procéder à une connexion et celles relatives aux équipements terminaux utilisés ne peuvent être sollicitées que pour la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, s’agissant de faits d’usurpation d’identité
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris insiste sur la distinction entre, d’une part, les données relatives à l’identité civile de l’utilisateur ainsi que celles fournies par celui-ci lors de la souscription du contrat et, d’autre part, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion et les équipements terminaux utilisés.
Ces dernières données ne peuvent être conservées que pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave :
« il ressort[2] que les hébergeurs ne sont tenus de conserver, pour les besoins des procédures pénales, que les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur et les autres informations fournies par lui lors de la souscription du contrat ou de la création du compte ainsi que les informations relatives au paiement – les premières pendant cinq ans, les secondes pendant un an -, à l’exclusion des données techniques permettant d’identifier la source de la connexion et de celles relatives aux équipements terminaux utilisés.
En effet, ces dernières données ne peuvent être conservées que pour les seuls besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale et ce, pendant une durée d’un an. »
M. X. sollicitait la communication de données d’identification des auteurs de comptes Facebook pour les besoins d’une procédure pénale, celui-ci souhaitant poursuivre le ou les personnes ayant créé lesdits comptes pour des faits d’usurpation d’identité, délit défini et réprimé par les dispositions de l’article 226- 4-1 du code pénal.
La Cour, après avoir rappelé les dispositions de cet article, juge que M. X :
« n’agit donc pas pour « les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale » visés au 3° de l’article L. 34-1 précité du code des postes et communications électroniques. »
Cela a pour conséquence de limiter considérablement les données qui peuvent être sollicitées par M. X auprès de Meta en particulier en ce qui concerne les données techniques (telles que l’adresse IP) utilisées pour procéder à une connexion et celles relatives aux équipements terminaux utilisés.
Mais cela n’empêche pas la Cour d’appel de Paris d’ordonner la communication de certaines informations qui ne sont pas des données techniques mais d’identité civile.
L’arrêt infirme ainsi l’ordonnance querellée et estime nécessaire et proportionnée d’ordonner à Meta la communication des données suivantes :
« les noms et prénoms ou la raison sociale du titulaire du compte,
l’adresse postale associée ;
la date de naissance ;
les pseudonymes utilisés ;
les adresses de courrier électronique ou de comptes associés ;
les numéros de téléphone. »
L’arrêt d’appel confirme donc qu’il n’est pas impossible d’obtenir, en agissant en référé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, des données d’identification. Toutefois, et cela est désormais bien acquis, dès lors que l’action engagée est sans lien avec la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, le juge ne peut enjoindre la communication des données techniques.
Si la sollicitation des données d’identité civile est toujours envisageable, sous réserve de satisfaire aux conditions de recevabilité de l’action au titre de l’article 145 susmentionné, il demeure que la relative fiabilité des données d’identité civile renseignées lors de la création de comptes est de nature à rendre beaucoup plus aléatoire et difficile l’identification de la ou des personnes liées auxdits comptes.
[1] Obtenir les données d’identification ? Bien sûr, c’est toujours possible ! https://cabinetlombard.net/obtenir-les-donnees-didentification-bien-sur-cest-toujours-possible/; Le dénigrement d’une entreprise par de faux avis sur internet constitue un préjudice réparable sur le fondement de l’article 1240 du code civil https://cabinetlombard.net/news-droit-de-la-presse-reseaux-sociaux-le-denigrement-dune-entreprise-par-de-faux-avis-sur-internet-constitue-un-prejudice-reparable-sur-le-fondement-de-larticle-1240-du/
[2] Des dispositions des articles 6-I-2 et 6-II de la loi LCEN, du II bis, III et III bis de l’article L.34-1 du code des postes et des communications électroniques, et du décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, pris en application du II de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Cass. Crim., 24 septembre 2024, n° 23-84.300
Dans un arrêt du 24 septembre 2024, la Cour de cassation confirme la décision d’appel ayant constaté la prescription tant de l’action publique que civile au motif que le cours de la prescription n’a pu être suspendu par une note d’audience jugée irrégulière.
Le 7 mai 2021, M. U avait fait cité M. EJ pour des faits de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service public, à raison de propos tenus dans un courriel du 10 février 2021 puis publiés sur un blog le 4 avril 2021.
L’audience était renvoyée par un jugement du 10 mars 2022 à une audience du 9 juin de la même année, puis au 8 septembre 2022 et au 3 novembre 2022.
Le 3 novembre 2022, le Tribunal judiciaire relaxait M. EJ pour le courrier adressé le 10 février 2021 mais le déclarait coupable du délit de diffamation publique pour la publication du 4 avril 2021.
M.EJ interjetait appel de cette décision, M.U et le Ministère public interjetaient appel incident.
Le 5 juillet 2023, la Cour d’appel de Poitiers jugeait que la prescription de l’action publique était acquise, et déclarait M.U irrecevable en ses demandes.
Pour constater l’extinction de l’action publique, la Cour d’appel retenait que la note d’audience du 9 juin 2022 était irrégulière, car non signée par le Président, et n’avait donc pu suspendre le cours de la prescription :
« 9. Pour constater l’extinction de l’action publique et de l’action civile par la prescription et déclarer la partie civile irrecevable en ses demandes, l’arrêt attaqué énonce que, par jugement en date du 10 mars 2022, signifié le 3 mai suivant, le tribunal a ordonné un sursis à statuer, suspendant la prescription, dans l’attente d’un arrêt d’appel à intervenir dans une autre procédure, et a ordonné le renvoi à l’audience du 9 juin suivant.
- Les juges indiquent que l’arrêt de la cour d’appel ayant motivé le sursis à statuer est intervenu le 7 avril 2022 et qu’à l’audience du 9 juin suivant le tribunal a ordonné un nouveau renvoi à l’audience du 8 septembre 2022.
- Ils précisent que le renvoi contradictoire a été mentionné sur la note d’audience, sans être suivi d’un jugement ni d’une citation à comparaître et que la note d’audience n’est pas signée par le président.
- Ils en concluent que ladite note d’audience est irrégulière et n’a pu suspendre le cours de la prescription qui était acquise entre le 3 mai 2022, date de signification du jugement du 10 mars 2022, et le jugement rendu le 8 septembre suivant. »
Dit autrement, à défaut d’une note d’audience régulière, la prescription était acquise entre le 3 mai 2022 et le jugement du 8 septembre 2022, dès lors que pendant ces quatre mois, aucun acte valide susceptible d’interrompre la prescription n’avait été réalisé.
M. U. formait un pourvoi en cassation contre cette décision de la Cour d’appel de Poitiers.
Le demandeur soutenait que le renvoi ordonné le 9 juin 2022 était contradictoire et interrompait valablement la prescription :
« qu’il ressort de la procédure, et notamment des constatations du jugement du 8 septembre 2022 mentionnant qu’« A l’audience du 9 juin 2022, à laquelle [J] [E] était comparant et [U] [D] était régulièrement représenté, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 8 septembre devant la chambre correctionnelle du tribunal correctionnel de La Rochelle » et des notes d’audience du 8 septembre 2022, visées par le greffier et signées par le président, constatant que le prévenu a été convoqué par « renvoi contradictoire du 09/06/2022 », que le caractère contradictoire du renvoi ordonné le 9 juin 2022 est incontestable et qu’il n’a été contesté par le prévenu ni en première instance ni en appel, la cour d’appel a violé l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. »
La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la décision de la Cour d’appel tout en rappelant les conditions selon lesquelles les notes d’audience sont susceptibles d’interrompre la prescription.
Ainsi, pour que le renvoi mentionné sur les notes d’audience soit interruptif de prescription, il faut que ces notes soient signées par le greffier, qu’elles soient visées par le président de la formation de jugement et que je jugement soit contradictoire à l’égard du prévenu et de la partie civile :
« 13. En prononçant ainsi, et dès lors que, d’une part, à défaut d’une décision de renvoi formalisée par un jugement ou un arrêt, un tel renvoi mentionné sur les notes d’audience n’interrompt la prescription que lorsque ces notes sont signées par le greffier et visées par le président de la formation de jugement et qu’il est intervenu contradictoirement à l’égard du prévenu et de la partie civile, »
La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle, comme elle l’a déjà fait à de nombreuses reprises, que c’est à la partie civile qu’incombe la responsabilité de surveiller la procédure et de veiller à ce que la prescription soit correctement et régulièrement interrompue :
« d’autre part, celle-ci, à qui incombe l’obligation de surveiller la procédure, pouvait délivrer une nouvelle citation devant la juridiction de jugement avant l’expiration du délai de prescription, la cour d’appel a fait l’exacte application du texte visé au moyen. »
Et que lorsque la prescription n’est pas correctement interrompue, la partie civile a toujours la possibilité de délivrer une nouvelle citation devant la juridiction de jugement.
Cette décision peut paraître sévère à l’égard des parties civiles, à qui il est demandé de faire preuve de vigilance à toutes les étapes de la procédure pour éviter la prescription de l’action publique, mais elle s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie de la Haute juridiction judiciaire.
« « Cette affaire pose très sérieusement la question de la responsabilité de tous les acteurs qui ont eu à connaître des antécédents de ce médecin, estime Céline Astolfe, avocate de l’association la Fondation pour l’enfance, partie civile. Cette abstention généralisée des ordres, des services du ministère, des directions des établissements hospitaliers interpelle et nous aurons à en débattre. Il nous faut comprendre, pour les victimes et pour que cela ne se reproduise pas ! » »
(cliquer ici pour lire l’article du 1er octobre 2024 dans son intégralité)
« « Dans cette affaire, les parties civiles ont découvert leur qualité de victimes à l’occasion de leur convocation par les enquêteurs », affirme Céline Astolfe, avocate de l’association la Fondation pour l’enfance, qui sera partie civile lors de ce « procès hors norme, par le nombre hyperbolique de victimes, par sa période de prévention infinie et par le mode de découverte de ces faits ». « Cela pose la question de l’accompagnement psychologique dans ces situations où une telle nouvelle fait effraction dans votre quotidien. C’est vertigineux ! », poursuit-elle. »
(cliquer ici pour lire l’article du 30 septembre 2024 dans son intégralité)
◼️ Extrait du journal Barlamane.com publié le 27 septembre 2024 ( cliquer ici pour lire l’article dans son intégralité ) :
» Le Maroc, qui a «étudié un pourvoi en cassation pour faire valoir son droit d’agir contre les accusations calomnieuses émises par certains organes de presse ayant affirmé, sans la moindre preuve ou commencement de preuve, qu’il utiliserait le logiciel Pegasus», voit une nouvelle fois la vérité empêchée : ni le tribunal correctionnel de Paris en première instance, ni la cour d’appel ou encore la cour de cassation n’ont creusé l’affaire, malgré des citations directes contre Le Monde, Radio France, France Media Monde, Mediapart, L’Humanité, Forbidden Stories et Amnesty International.
En cause, un article de la loi française de 1881, très controversé, qui «interdit à un État, qui ne peut pas être assimilé à un particulier au sens de ce texte, d’engager une poursuite en diffamation.» L’avocat du Maroc, Olivier Baratelli, avait précisé que le royaume avait «le droit de défendre l’honneur de ses services de renseignement» visé par des «journalistes irresponsables.» «
◼️ Extrait du journal LE DESK publié le 26 septembre 2024 ( cliquer ici pour lire l’article dans son intégralité ) :
Cour de cassation, Chambre civile 1, 4 septembre 2024, 23-14.951, Inédit
Le 4 septembre 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris dans une affaire opposant un avocat à la société éditrice du Nouvel Observateur et son directeur de publication.
Les faits remontaient à février 2020, lorsque l’hebdomadaire publiait un article mettant en doute la légitimité d’un avocat à représenter un activiste russe impliqué dans une affaire judiciaire.
Selon cet article, l’avocat n’aurait jamais été officiellement désigné pour représenter l’activiste russe en question :
« Malgré ses déclarations, l’avocat n’a jamais été le défenseur désigné par l’activiste russe dans aucun de ses dossiers judiciaires. S’il doit intervenir dans l’affaire [U], ce sera pour être interrogé sur son rôle dans la diffusion de la vidéo. » (…) « La réalité semble bien plus complexe. En réalité [T] [H] n’a jamais été le défenseur désigné par l’activiste russe dans aucun de ses dossiers judiciaires. Il ne peut donc, de ce fait, avoir été dessaisi … [X] [V], comme il l’a déclaré à l’AFP, a bien « consulté » Me [H] « avant de mettre la vidéo en ligne » le mercredi 12 février, mais il ne l’a jamais choisi dans aucune des procédures judiciaires le visant, désignant au contraire dès samedi après-midi l’avocate pénaliste [S] [G]. ».
L’avocat visé par cet article estimait que ces propos étaient diffamatoires dès lors qu’ils mettaient en cause son intégrité professionnelle.
Il assignait alors le directeur de publication du média et la société éditrice pour obtenir réparation et la publication d’un communiqué judiciaire.
Le 19 avril 2023, la Cour d’appel de Paris rejetait les demandes de l’avocat.
Selon la Cour, les faits relatés et qui lui étaient prêtés ne pouvaient être qualifiés de diffamatoires, dès lors que l’article ne lui imputait qu’un simple mensonge, ce qui, d’après les juges d’appel, ne portait pas atteinte à son honneur ou à sa considération professionnelle :
« Pour rejeter les demandes de M. [H], l’arrêt retient que les propos selon lesquels il avait menti en prétendant être l’avocat d’une personne gardée à vue, alors qu’il ne l’était pas, ne sont pas diffamatoires, dès lors qu’un simple mensonge ne peut s’analyser en propos diffamatoire. »
L’avocat formait un pourvoi en cassation et soutenait que le fait d’accuser un avocat d’avoir menti sur sa désignation dans une affaire judiciaire constituait une atteinte aux règles déontologiques de sa profession, ce qui était un fait suffisamment précis, susceptible de preuve pour correspondre aux critères de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 :
« M. [H] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors « que constitue une diffamation l’imputation faite à M. [H], avocat soumis aux règles déontologiques de sa profession, du fait précis susceptible de preuve d’avoir faussement prétendu être l’avocat d’une personne placée en garde à vue, quand il n’avait pas été désigné par cette dernière ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé articles 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. »
La Cour de cassation accueillait le moyen soulevé par le demandeur au pourvoi au visa de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, qui définit la diffamation comme toute allégation ou imputation portant atteinte à l’honneur d’une personne.
La Haute juridiction estime qu’en qualifiant les propos litigieux de mensonge, Cour d’appel de Paris, a « violé le texte susvisé » dès lors que :
« le fait pour un avocat de mentir quant à sa désignation par une personne gardée à vue étant contraire aux règles déontologiques de sa profession, l’imputation de tels propos portait atteinte à son honneur et à sa considération »
Dit autrement, la Cour de cassation considère qu’une telle prétention n’est pas constitutive d’un simple mensonge, puisque pour un avocat, mentir sur la désignation de son client serait contraire aux règles déontologiques de sa profession, ce qui constituerait une imputation susceptible de porter atteinte à l’honneur et à la considération de la personne visée.
Par conséquent, la Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.