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Délais de prescription après un avis 175 : petite leçon de calcul par la Chambre criminelle de la Cour de cassation

By 20 novembre 2024 No Comments

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 octobre 2024, 24-80.360, Inédit

Dans cet arrêt du 22 octobre 2024, la Cour de cassation est venue rappeler l’articulation des délais, à compter de l’avis de fin d’information, prévu par l’article 175 du code de procédure pénale jusqu’au réquisitoire définitif rendu tardivement, voire non notifié par le procureur de la République.

Dans la présente affaire, Madame X. avait déposé une plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation publique.

L’avis de fin d’information était délivré le 8 novembre 2022. Aucune partie ne régularisait de déclaration d’intention.

Le procureur de la République ne rendait pas de réquisitoire définitif.

Le 22 septembre 2023, le juge d’instruction constatait la prescription de l’action publique et rendait une ordonnance de non-lieu.

Madame X interjetait appel de cette décision.

Le 12 décembre 2023, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nîmes confirmait cette ordonnance de non-lieu.

L’arrêt attaqué énonçait que l’avis de fin d’information ayant été délivré le 8 novembre 2022, la prescription était suspendue jusqu’au 8 mars 2023, date à laquelle la prescription triennale de l’article 65 de la loi sur la presse de 1881 recommençait à courir.

Ce délai de quatre mois énoncé par la Cour d’appel entre le 8 novembre et le 8 mars 2023 correspondait en réalité à l’addition de deux délais :

  • un premier délai de trois mois accordé au procureur de la République pour déposer ses réquisitions,
  • un second délai d’un mois accordé au juge d’instruction pour rendre son ordonnance de règlement.

En l’absence d’action de la partie civile, la Chambre de l’instruction jugeait que le délai triennal de prescription recommençait à courir à l’issue de l’expiration de ces deux délais. La prescription triennale courrait ensuite à partir du 8 mars 2023 et ce jusqu’au 8 juin 2023, date à laquelle l’action se prescrivait :

« 9. Les juges précisent que, dans ces conditions, le procureur de la République disposait d’un délai de trois mois pour déposer ses réquisitions et, à son issue, le juge d’instruction, du délai d’un mois pour rendre son ordonnance de règlement, de telle façon que le délai de prescription de l’action publique de trois mois recommençait à courir à compter du 8 mars 2023 pour s’achever le 8 juin suivant.

  1. Ils indiquent qu’entre cette date et l’ordonnance de non-lieu du 22 septembre 2023, aucun acte interruptif n’est intervenu».

Selon la Chambre de l’instruction, le juge d’instruction pouvait prendre son ordonnance de règlement, et ce même s’il n’avait pas reçu les réquisitions du procureur.

« 11. Ils précisent en outre que le juge d’instruction peut rendre son ordonnance de règlement y compris lorsqu’il n’a pas reçu les réquisitions ou observations dans les délais précités. »

Le demandeur au pourvoi contestait cette décision et soulevait que la prescription de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 était suspendue pendant le temps où la partie civile se heurtait à un obstacle de droit l’empêchant d’agir.

Selon le demandeur, la prescription était par conséquent suspendue jusqu’à la notification du réquisitoire définitif du procureur de la République, qui n’avait dans le cas d’espèce pas été notifié.

La Cour de cassation remet en cause la position de la Chambre de l’instruction, selon laquelle le délai de prescription avait été suspendu pour une durée de quatre mois entre le 8 novembre et le 8 mars 2023 :

« C’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu qu’aucune déclaration d’intention n’ayant été établie par une partie, le délai de prescription de trois mois recommençait à courir à compter du 8 mars 2023 pour s’achever le 8 juin suivant. »

A l’occasion de l’examen du pourvoi, la Chambre criminelle rappelle les règles en matière d’articulation des délais à l’issue d’un avis de fin d’information lorsque les parties n’ont pas formulé de déclaration d’intention.

Elle explique que, dans une telle situation, la prescription est en réalité suspendue pour une durée totale de sept mois par :

  • un premier délai de prescription de trois mois entre le 8 novembre 2023 et le 8 février 2023, correspondant au délai au terme duquel le juge d’instruction pouvait rendre son ordonnance de règlement conformément à l’article 175 du code de procédure pénale ;
  • un second délai de quatre mois prévu à l’article 221-2 du code de procédure pénale[1] commençait à courir à la date d’expiration du premier délai soit jusqu’au 8 juin 2023.

A l’expiration de ces deux délais, la prescription triennale classique de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, commençait à courir et la prescription de l’action publique était acquise à partir du 8 septembre 2023 et non pas du 8 juin 2023 comme l’avait retenu la Chambre de l’instruction.

Ainsi, la Haute juridiction, même si elle considère que le raisonnement de la Cour d’appel est erroné, conclut que le résultat auquel elle arrive est le bon : l’action était effectivement prescrite lorsque l’ordonnance de règlement a été prise :

« 16. L’arrêt n’encourt néanmoins pas la censure dès lors que la prescription était acquise le 8 septembre 2023, en l’absence d’acte interruptif, en application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’ordonnance de règlement n’étant intervenue que le 22 septembre 2023. »

Le pourvoi est ainsi rejeté.

Une nouvelle décision de la Chambre criminelle qui est rendue à point nommé puisque la déclaration d’intention nous a quittés depuis le 30 septembre 2024.

[1] « Lorsqu’un délai de quatre mois s’est écoulé depuis la date du dernier acte d’instruction, les parties peuvent saisir la chambre de l’instruction dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l’article 173. Ce délai est ramené à deux mois au profit de la personne mise en examen lorsque celle-ci est placée en détention provisoire.

Dans les huit jours de la réception du dossier par le greffe de la chambre de l’instruction, le président peut, par ordonnance motivée non susceptible de recours, décider qu’il n’y a pas lieu de saisir la chambre de l’instruction.

La chambre de l’instruction, lorsqu’elle est saisie, peut, soit évoquer et procéder dans les conditions prévues par les articles 201,202,204 et 205, soit renvoyer le dossier au juge d’instruction ou à tel autre afin de poursuivre l’information.

Si, dans les deux mois suivant le renvoi du dossier au juge d’instruction initialement saisi, aucun acte d’instruction n’a été accompli, la chambre de l’instruction peut être à nouveau saisie selon la procédure prévue aux premier et deuxième alinéas du présent article. Ce délai est ramené à un mois au profit de la personne mise en examen lorsque celle-ci est placée en détention provisoire.

La chambre de l’instruction doit alors, soit évoquer comme il est dit au troisième alinéa du présent article, soit renvoyer le dossier à un autre juge d’instruction afin de poursuivre l’information. »