Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 septembre 2024, 23-86.141, Inédit
Dans un arrêt du 24 septembre 2024, la Cour de cassation a rappelé que la critique portant sur les compétences professionnelles d’une personne, exprimée comme opinion et jugement de valeur, ne constitue pas une diffamation, car elle ne peut pas faire l’objet d’une preuve.
Le 16 mars 2022, lors d’une interview télévisée M. F. déclarait à propos de M. J. : « il y a un administrateur judiciaire, il est là pour faire un travail est préserver l’avenir du club (sic) ». Selon lui, M. J. était « totalement défaillant », « totalement inefficient, inefficace » et ne « fai(sait) pas son travail ».
A la suite de cette interview, M. J. faisait citer M. F. devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique envers un particulier.
Le 16 février 2023, le tribunal constatait la nullité de la citation pour imprécision et, en conséquence, prononçait la nullité des poursuites engagées contre M. F.
M. J. interjetait appel de cette décision.
L’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans rejetait l’exception de nullité portant sur l’imprécision des passages visés par la citation et condamnait le prévenu 1.000 euros d’amende dont 500 euros avec sursis.
M. F. formait un pourvoi en cassation et soulevait la nullité de la citation comme premier moyen aux motifs que :
- d’abord, de la discordance dans la citation entre les propos désignés comme poursuivis et ceux mentionnés dans les différentes pages de la citation ;
- ensuite de l’incohérence de dates : la citation faisait référence au 16 mars 2022 dans son dispositif et certains de ses motifs, tout en renvoyant à un constat d’huissier dans lequel la vidéo était datée du 17 mars 2022.
La Cour de cassation rejette le moyen et admet que dans la mesure où la citation reproduit précisément les passages incriminés tenus lors de l’interview litigieuse, qui sont soulignés et surlignés en gras, qu’elle en dénonce précisément le contenu, les qualifie, vise le texte applicable, et relève la date de cet entretien, il n’y avait pas d’ambigüité quant aux passages poursuivis :
« En prononçant ainsi, dès lors que la citation reproduit précisément les passages incriminés tenus lors de l’interview litigieuse, qui sont soulignés et surlignés en gras, qu’elle en dénonce précisément le contenu, les qualifie, vise le texte applicable, et relève la date de cet entretien, de sorte qu’il ne pouvait exister aucune ambiguïté sur les propos litigieux, objet de la poursuite, le fait que le constat d’huissier annexé ait retenu que la date de diffusion des propos était le lendemain de celle mentionnée dans la citation étant inopérant, la cour d’appel a justifié sa décision. »
Plus intéressant est le second moyen examiné par la Chambre criminelle relatif à la condamnation de M. J. pour diffamation publique
La Haute juridiction commence par rappeler la nature du contrôle exercé en cassation et que, dans une telle situation, il lui est permis de rechercher si « dans les propos retenus dans la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique, tels qu’ils sont » définis à l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse. et que rappelle la Chambre criminelle :
« Selon ce texte, seule l’allégation ou l’imputation d’un fait précis, de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, et qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé, présente un caractère diffamatoire. »
Au terme de son contrôle, la Cour de cassation juge que les propos litigieux ne réunissent pas les éléments légaux de la diffamation publique, dans la mesure où ils ne pouvaient pas faire l’objet d’un débat sur la preuve :
« les propos litigieux énoncés dans la citation relevaient, non pas de l’imputation d’un fait précis, mais de l’expression d’une opinion et d’un jugement de valeur sur les compétences professionnelles de l’intéressé, exclusifs de tout débat sur la preuve, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.».
Elle en conclut donc que les propos ne sont pas diffamatoires et prononce la cassation de la décision sans renvoi, mettant ainsi définitivement fin au litige.
Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une précédente décision de la Chambre criminelle du 13 novembre 2019[1], dans laquelle la Haute juridiction avait déjà retenu que des propos tenus dans un tract syndical et visant une adjointe au chef de bâtiment d’un centre de détention qualifiée de « radicalement incompétente » ne comportaient pas l’imputation d’un fait suffisamment précis pour faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire et par conséquent n’était pas diffamatoire.
Il semblerait que la critique de l’incompétence, appréciation désagréable mais subjective, ne puisse pas davantage être poursuivie sur le fondement de l’injure publique si elle n’est pas outrageante. C’est la solution qu’avait retenu le Tribunal de grande instance de Paris dans une décision du 13 janvier 2015 aux termes de laquelle il avait été jugé que :
« la seule appréciation d’incompétence ne peut constituer une injure, dans la mesure
où il s’agit d’une appréciation subjective, certes désagréable, relative aux compétences
professionnelles des intéressés, mais non d’une expression outrageante, d’un terme de
mépris ou d’une invective. [2]»
Dans le respect des conditions établies par la Cour de cassation, une critique mesurée et formulée de manière imprécise sur l’incompétence d’une personne est ainsi difficilement attaquable sur le fondement de la loi sur la liberté de la presse de 1881.
[1] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 novembre 2019, 18-84.864, Inédit
[2] Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre correctionnelle, jugement du 13 janvier 2015, Webpulser, Q. T., C. D. / T. V., N. J., J. D., P. A.