Comment identifier les auteurs du délit de diffamation publique envers un particulier alors que l’infraction a été commise « de manière anonyme et/ou sous pseudonyme, par le biais d’un moyen de communication en ligne » ?
Une question qui nous préoccupe depuis quelques temps déjà mais que le Conseil constitutionnel n’aura pas à trancher.
Cette préoccupation était née à la suite de l’adoption du nouvel article 60-1-2 du Code de procédure pénale ; lequel limite, rappelle la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 2023, « la possibilité de requérir les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, aux procédures portant sur un délit puni d’au moins un an d’emprisonnement commis par l’utilisation d’un réseau de communications électroniques. ». Une limitation importante, donc, au droit au juge pour les victimes d’infractions de presse.
Saisie par la Cour d’appel de Versailles[1] d’une demande de renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les dispositions de l’article 60-1-2 précité, la Chambre criminelle a jugé que la QPC ne présentait pas un caractère sérieux et ne pouvait, dès lors, être transmise aux sages de la rue de Montpensier.
La motivation retenue par la Chambre criminelle permet de faire un ultime (?) rappel des données susceptibles d’être obtenues ou requises afin de tenter d’identifier le ou les auteurs de propos diffamatoires :
- en premier lieu, la Chambre criminelle juge qu’en limitant « aux procédures portant sur un délit puni d’au moins un an d’emprisonnement» la possibilité de requérir des données techniques, le législateur a entendu « renforcer les garanties répondant aux exigences constitutionnelles, compte tenu du caractère attentatoire à la vie privée de telles mesures, en tenant compte de la gravité de l’infraction recherchée et des circonstances de sa commission ».
Il est donc désormais clair qu’en matière de diffamation publique envers un particulier, délit qui expose son ou ses auteurs à une seule peine d’amende, il n’est plus possible de requérir les données techniques[2] afin d’identifier ce ou ces derniers.
- en revanche, et en second lieu, « l’article 60-1-2 précité ne fait pas obstacle à ce que le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire par lui commis requière des opérateurs de communications électroniques, fournisseurs d’accès à internet et hébergeurs, la remise des données relatives à l’identité civile de l’utilisateur ou de celles fournies par celui-ci au moment de la création du compte. De telles informations peuvent donc être sollicitées par une victime de diffamation publique commis sur un réseau de communication électronique, infraction punie d’une peine d’amende.»
Il demeure donc possible d’obtenir les données d’identité civile[3], afin d’engager une procédure pénale qui ne serait pas vouée à l’échec.
Pour le reste, le défaut de caractère sérieux de la QPC est constaté en raison de l’absence :
- d’abord, d’atteinte au droit à un recours effectif ou au droit à obtenir réparation, dans la mesure où rien n’empêche « la victime de mettre en mouvement l’action publique devant la juridiction d’instruction ou, le cas échéant, directement devant la juridiction de jugement » ;
- ensuite, d’atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale dès lors qu’ « en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu limiter les ingérences dans le droit au respect de la vie privée, eu égard au caractère particulièrement attentatoire de ces réquisitions, en fonction de la gravité des infractions poursuivies, sans instaurer de discrimination injustifiée entre les victimes. ».
Doit-on, en définitive, être rassuré par la motivation retenue par la Chambre criminelle ? Sans doute un peu.
Toutefois, on aimerait, pour être certain de l’efficacité des seules données d’identité civile dans la recherche des auteurs de délits punis d’une seule peine d’amende, telles que la diffamation publique, avoir un peu de recul.
A voir donc en pratique.
[1] CA Versailles, 6 décembre 2022.
[2] Dont on a indiqué la nature précise dans une précédente news. Ainsi qu’en dispose le IV de l’article R.10-13 du code des postes et communications électroniques :
« IV.-Les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, mentionnées au 3° du II bis de l’article L. 34-1, que les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver, sont :
1° L’adresse IP attribuée à la source de la connexion et le port associé ;
2° Le numéro d’identifiant de l’utilisateur ;
3° Le numéro d’identification du terminal ;
4° Le numéro de téléphone à l’origine de la communication. »
[3] Voir notre précédente news concernant la possibilité d’obtenir les données d’identification dans le cadre d’une procédure en référé fondé sur l’article 145 du Code de procédure civile (ordonnance du Président du Tribunal judiciaire de Paris ; affaire dans laquelle les actions envisagées concernaient de possibles faits de dénigrement et de cyberharcèlement).