Brèves juridiques

La Conférence nationale des procureurs de la République réagit aux arrêts de la Cour de cassation relatifs à l’accès aux données de connexion

By 31 août 2022 No Comments

Dans notre news du 20 juillet 2022, nous évoquions les 4 arrêts du 12 juillet 2022 aux termes desquels la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déduit les conséquences, en droit interne, de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 mars 2021 relative aux conditions d’accès aux données de connexion, en l’espèce, de téléphonie.

Dans la note explicative de ces quatre décisions, la Cour de cassation précise que :

« Les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante.

En revanche, le juge d’instruction est habilité à contrôler l’accès aux données de connexion. »

Le procureur de la République, autorité de poursuite, n’est donc pas compétent pour ordonner l’accès à de telles données ; lesquelles constituent des mesures d’investigation attentatoires à la vie privée.

Preuve de l’importance de ces arrêts, le Conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) a publié le 15 juillet 2022 un communiqué de presse pour alerter sur les conséquences des principes retenus par la Haute juridiction.

La CNPR attire l’attention sur plusieurs points :

  • d’abord, la CNPR rappelle que si « le juge conserve cependant la possibilité de valider les actes de procédure, au cas par cas», la Cour de cassation précise toutefois que « même le juge ou l’autorité administrative indépendante n’a la possibilité d’autoriser de telles investigations que dans le périmètre de la « criminalité grave », notion qu’elle ne définit pas et qui n’obéit à aucune définition dans le droit pénal français. ».

L’absence d’une telle définition inquiète la CNPR qui souligne « l’insécurité juridique majeure à laquelle doit faire face la lutte contre toutes les formes de délinquances » dans la mesure où il devient désormais impossible, en dehors d’une « criminalité grave » non définie, de recourir à la téléphonie qui est pourtant un outil d’enquête essentiel tant à charge qu’à décharge.

  • ensuite, outre les obstacles majeurs à l’identification des auteurs d’infraction, la CNPR estime que quand bien même « à supposer promulguée une loi nouvelle qui ouvrirait la voie d’un contrôle préalable des réquisitions de téléphonie par le juge, le volume de procédures susceptibles d’être concernées est tel que, pour répondre au besoin d’autorisation d’une masse considérable de réquisitions pratiquées annuellement en la matière, il faudrait redéployer une part notable des juges aujourd’hui en juridiction, dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’ils ne sont d’ores et déjà pas en effectifs suffisants pour faire face à leurs attributions actuelles.».

C’est donc une réaction très forte de la CNPR qui rappelle que les magistrats du ministère public « accomplissent au quotidien un contrôle de nécessité et de proportionnalité sur les actes d’investigation » ; c’est, d’ailleurs, la position du Conseil constitutionnel (Cons. const., 20 mai 2022, n° 2022-993 QPC) qui, ainsi que l’avions déjà souligné, a pourtant jugé conformes à la Constitution les articles 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale en raison de la qualité de magistrat de l’ordre judiciaire du procureur de la République, auquel il revient, en application de l’article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits.

Une loi viendra-t-elle organiser le contrôle préalable exigé par le droit européen ? Une telle mission sera-t-elle confiée à une autorité administrative indépendante (la CNIL ? une nouvelle autorité ?) ?

Si l’une ou l’autre de ces possibilités devait voir le jour, le problème des effectifs disponibles – évoqué à juste raison par la CNPR – risquerait de compromettre l’exercice dudit contrôle dont la célérité serait une des conditions essentielles de son efficacité.

C’est ainsi que le recrutement de personnels annoncé par la Première ministre dans son discours de politique générale prend tout son sens. Cependant, avec une nouvelle mission aussi considérable, on peut légitimement s’interroger sur le caractère suffisant des recrutements promis par le Gouvernement.