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Des allégations diffamatoires ou injurieuses ne peuvent pas être poursuivies pour harcèlement moral et doivent faire l’objet de poursuites initiées sur la loi sur la presse de 1881. La Haute Cour vient également repréciser que des dommages et intérêts peuvent être accordés après la seule constatation de l’atteinte à la vie privée.

By 24 avril 2024 No Comments

M.K. était salarié d’une société au sein de laquelle il était titulaire de divers mandats de représentant syndical, notamment de délégué syndical CFDT et de médiateur de la société.

La CGT avait publié des publications à son propos intitulées « le Consultant Enchaîné ». Ces publications étaient accompagnées de tracts qui le qualifiait de « mediator ». Elles alléguaient par ailleurs de l’existence de corruption de certains délégués syndicaux en établissant un lien entre la signature d’accords collectifs défavorables aux salariés et l’augmentation de rémunération des représentants.

C’est dans ce contexte que des extraits des bulletins de salaire mentionnant le montant de la rémunération de ce salarié étaient publiés.

Le 21 mars 2019, celui-ci et le syndicat CFDT saisissaient le Tribunal de Grande Instance de Bobigny aux fins de condamnation de la fédération et des syndicats CGT. Cette action tendait à obtenir des réparations au préjudice subi pour deux motifs distincts : le harcèlement et l’atteinte à la vie privée.

Le 15 octobre 2020, le Tribunal condamnait la fédération et la CGT in solidum au versement de sommes d’argent en réparation à M.K.

L’arrêt d’appel du 19 mai 2022, déboutait la fédération et les syndicats CGT de leurs demandes de nullité de cette assignation.

Elle reconnaissait l’atteinte à la vie privée du salarié, tout en refusant d’accorder des dommages et intérêts.

Par un arrêt du 20 mars 2024[1], la Haute Cour a cassé l’arrêt de la Cour d’appel sur ces deux points.

  • Premièrement, des allégations diffamatoires ne peuvent être poursuivies que sur le fondement de la loi de 1881

Dans son arrêt du 20 mars 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation met en garde contre la poursuite de propos diffamatoires ou injurieux sur un mauvais fondement, en l’espèce le harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail.

Des propos suffisamment précis et portant atteinte à l’honneur et la considération d’un individu doivent être poursuivis uniquement sur le fondement de la loi de 1881, ce qui implique de respecter les conditions de procédure et de forme prévues par ces dispositions dans l’acte introductif d’instance.

L’arrêt d’appel estimait que, dès lors que le salarié sollicitait la réparation de son préjudice causé par l’atteinte à la vie privée et le harcèlement, il en résultait que celui-ci n’était, par conséquent, pas tenu de respecter les conditions strictes en termes de délais et de procédure prévues par la loi de 1881 sur la presse.

La Chambre sociale de la Haute juridiction casse cet arrêt au visa des articles 29 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 au motif que :

« En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que les faits incriminés, de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération du demandeur, pouvaient être constitutifs de diffamation ou d’injure au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles susvisés. »

Et juge que :

« L’assignation, visant expressément l’article L. 1152-1 du code du travail afin d’obtenir la réparation d’allégations diffamatoires ou injurieuses, est nulle en ce que M. [K] et le syndicat CFDT demandent la condamnation de la fédération et des syndicats CGT à leur payer une certaine somme au titre d’un harcèlement moral. »

On retiendra de cet arrêt, le rappel du strict respect des dispositions prévues par la loi sur la presse de 1881 pour obtenir réparation d’allégations diffamatoires ou injurieuses.

  • Deuxièmement, sur l’indemnisation automatique du préjudice causé par l’atteinte à la vie privée

Le tract litigieux évoqué supra reprenait des éléments du bulletin de salaire de M. K.

Le salarié et le syndicat CFDT avaient sollicité que la publication de ces bulletins de salaire ouvre le droit à une indemnisation, arguant que dans la mesure où les bulletins de salaire étaient un élément de sa vie privée publié sans son accord, cette publication constituait une atteinte à celle-ci.

La Cour d’appel avait reconnu que la publication constituait une atteinte à la vie privée, tout en refusant de lui allouer des dommages et intérêts.

Ce refus était motivé par le fait que :

« celui-ci n’apporte aucun élément de nature à établir que la communication, à des tiers, du montant de sa rémunération aurait eu un effet quelconque en termes de réputation, de carrière, d’image au sein de l’entreprise. ».

La Chambre sociale de la Cour de cassation saisit cette occasion pour rappeler que :

« la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé. ».

Apporter la preuve d’un préjudice causé par l’atteinte à la vie privée n’est pas nécessaire pour obtenir réparation. Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt du 7 novembre 2018 dans lequel elle avait déjà considéré :

« que selon l’article 9 du code civil, la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation ; que la cour d’appel, après avoir constaté l’atteinte portée au droit des trois salariés au respect de leur vie privée par la diffusion intégrale de leur bulletin de salaire, a souverainement évalué le montant du préjudice subi ; »

Cette décision, aux vertus pédagogiques rappelle ainsi une jurisprudence constante de la Cour, qu’il conviendrait nécessairement de suivre pour éviter des déconvenues judiciaires.

[1] Cass, civ, 20 mars 2024, 22-19.153