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Demande de déréférencement en ligne et condamnation pénale : le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles la CNIL est tenue de mettre en demeure la société exploitant un moteur de recherches

By 27 septembre 2023 No Comments

Dans notre News Droit de la Presse & Réseaux sociaux du 26 juillet 2023, nous avions évoqué un arrêt de Grande Chambre du 4 juillet 2023 de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui avait confirmé la position des juridictions belges ; lesquelles avaient jugé que « l’archivage électronique d’un article relatif (…) ne doit pas créer (…) une sorte de « casier judiciaire virtuel » ».

Alors que l’arrêt susmentionné concernait la question de l’anonymisation d’un article de presse relatant la condamnation pénale d’un individu, le Conseil d’Etat a eu à connaître d’une problématique voisine, à savoir le déréférencement d’un lien, apparaissant dans un moteur de recherches, vers un article de presse relatant un procès et la condamnation d’un prévenu.

En l’espèce, n’ayant pu obtenir de la société exploitant le moteur de recherches le déréférencement vers ledit article « accessible à partir d’une recherche effectuée par son prénom et son nom », la personne concernée a saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) afin que celle-ci mette en demeure la société de procéder au déférencement.

Face au refus de la CNIL, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 20 avril 2023[1], a été amené à se prononcer sur la grille d’analyse que la Commission se doit d’appliquer lorsque lui est adressée une demande de mise en demeure de déréférencement.

Concrètement, la Haute juridiction administrative s’est attelée à donner le mode d’emploi de l’exercice de ce que l’on nomme le « droit à l’effacement ».

  1. le principe : la CNIL doit faire droit à une demande de déréférencement sous réserve du respect du droit à la liberté d’information

Ainsi que le rappellent les juges du Palais Royal, « L’article 51 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que :  » Le droit à l’effacement s’exerce dans les conditions prévues à l’article 17 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 ».

Si le paragraphe 1 de l’article 17 du règlement susmentionné consacre le droit « d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel » et définit les motifs pour lesquels la demande doit être obligatoirement satisfaite :

  • d’une part, le paragraphe 3 du même article dispose que :

« Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire : /a) à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information […] « .

  • d’autre part, aux termes de l’article 10 du même règlement : « Le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes fondé sur l’article 6, paragraphe 1, ne peut être effectué que sous le contrôle de l’autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l’Union ou par le droit d’un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées. Tout registre complet des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l’autorité publique.»

La Cour de justice de l’Union européenne[2] ayant jugé que les liens accessibles, depuis un moteur de recherches, vers des pages web contenant des données personnelles telles que les procédures pénales visées à l’article 10 du règlement (UE) 2016/679, sont susceptibles de causer une ingérence particulièrement grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données de la personne concernée, le Conseil d’Etat considère qu’ :

« il appartient en principe à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), saisie d’une demande tendant à ce qu’elle mette l’exploitant d’un moteur de recherche en demeure de procéder au déréférencement de liens renvoyant vers de telles pages web, publiées par des tiers et contenant de telles données, de faire droit à cette demande. Il n’en va autrement que s’il apparaît, compte tenu du droit à la liberté d’information, que l’accès à une telle information à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public. »

  1. la mise en œuvre du principe : l’appréciation de la stricte nécessité de préserver l’information du public

Toujours soucieuse de l’apport pédagogique de ces décisions, la Haute juridiction administrative a défini la méthode selon laquelle « l’autorité publique » mentionnée à l’article 10 du règlement (UE) 2016/679 – ici la CNIL – peut légalement « faire échec à une demande de déréférencement au motif que l’accès à des données à caractère personnel relatives à une procédure pénale à partir d’une recherche portant sur le nom de la personne concernée est strictement nécessaire à l’information du public ».

C’est sans surprise que l’on retrouve ici une grande similitude avec la méthode de la CEDH (cf. supra) relative aux conditions de mise en œuvre du droit à l’oubli[3] dès lors qu’il s’agit, dans le cadre d’une demande de déréférencement, de déterminer si l’ingérence particulièrement grave aux droits fondamentaux du demandeur peut être justifiée par la liberté d’information.

Ainsi, le Conseil d’Etat juge qu’il incombe à la CNIL, de tenir compte :

  • d’une part, « de la nature des données en cause, de leur contenu, de leur caractère plus ou moins objectif, de leur exactitude, de leur source, des conditions et de la date de leur mise en ligne et des répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée» et,

 

  • d’autre part, « de la notoriété de cette personne, de son rôle dans la vie publique et de sa fonction dans la société. Il lui incombe également de prendre en compte la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clés ne mentionnant pas le nom de la personne concernée. »

En l’espèce, rien ne permettait à la CNIL d’estimer que l’accès aux données en cause était « strictement nécessaire à l’information du public » dès lors que :

  • l’article de presse du 20 janvier 2017 se rapporte à des faits antérieurs de 2014, est purement factuel et ne comporte pas « d’analyses ou de commentaires de nature à nourrir un débat d’intérêt public sur les enjeux liés à cette procédure» pénale ;

 

  • le requérant « ne jouit pas d’une notoriété particulière» dans la mesure où « le dossier ne faisant à cet égard ressortir ni que l’affaire dans laquelle il a été condamné aurait fait l’objet d’autres commentaires publics, ni que la décision d’appel aurait elle-même donné lieu à un article de presse référencé par le même moteur de recherche à partir de son nom » ;

 

  • « l’article de presse litigieux ne serait pas accessible en ligne à partir d’autres informations que le nom de M. A…. » ;

 

  • « l’article de presse dont le déréférencement est demandé ne peut être regardé comme reflétant la situation judiciaire actuelle de l’intéressé dès lors que, par un arrêt du 14 mars 2018, la cour d’appel de Riom a réduit la peine infligée au requérant par le tribunal correctionnel à deux ans d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve de deux ans et à une interdiction de gérer de dix ans et a confirmé la peine complémentaire de première instance de publication de la décision en la limitant toutefois au dispositif de son arrêt et à une seule publication.».

C’est pour toutes ces raisons, « et eu égard aux répercussions que le référencement de cet article est susceptible d’avoir sur la situation personnelle du requérant », que le Conseil d’Etat a décidé d’annuler le refus de la CNIL et lui a enjoint de mettre en demeure la société exploitant le moteur de recherches de déréférencer le lien litigieux, dès lors que « l’accès à ce contenu en ligne à partir du nom de ce dernier ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme strictement nécessaire à l’information du public, justifiant de maintenir le lien litigieux par exception au principe selon lequel la personne concernée a le droit au déréférencement des contenus la concernant. ».

*

Droit à l’oubli par l’anonymisation des articles de presse archivés, droit à l’effacement par le déréférencement des liens vers des pages web contenant des données relatives à des procédures pénales dont le maintien n’est plus strictement nécessaire à l’information du public, l’on sait désormais clairement comment éviter qu’internet devienne un « casier judiciaire virtuel ».

[1] CE, 20 avril 2023, n° 463487.

[2] CJUE, 24 décembre 2019, C-136/17.

[3] CEDH, Grande Chambre, 4 juillet 2023, Hurbain c. Belgique, n° 57292/16, § 205 :

« la mise en balance de ces différents droits de valeur égale à effectuer lors de l’examen d’une demande d’altération d’un contenu journalistique archivé en ligne doit prendre en considération les critères suivants : i) la nature de l’information archivée ; ii) le temps écoulé depuis les faits, depuis la première publication et depuis la mise en ligne de la publication ; iii) l’intérêt contemporain de l’information ; iv) la notoriété de la personne revendiquant l’oubli et son comportement depuis les faits ; v) les répercussions négatives dues à la permanence de l’information sur Internet ; vi) le degré d’accessibilité de l’information dans des archives numériques, et vii) l’impact de la mesure sur la liberté d’expression, plus précisément la liberté de la presse. »