Brèves juridiques

Action en diffamation et injure publiques : du risque d’extinction de l’action publique par la prescription avant l’engagement des poursuites

By 7 juin 2023 No Comments

La prescription est à la mode !

Après l’alignement du délai de prescription d’une action en insertion forcée d’un droit de réponse sur celui trimestriel de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la Cour de cassation s’est de nouveau livrée à un rappel des règles de prescription, cette fois-ci dans le cadre d’une action en diffamation et injure publiques.

Dans son arrêt du 10 mai 2023[1], la Chambre criminelle a, tout en remettant en cause les motifs retenus par la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, rejeté le pourvoi formé contre un arrêt du 17 septembre 2021 aux termes duquel avait été constatée l’extinction de l’action publique par la prescription.

  1. La prescription de l’action publique ne peut être opposée à une partie civile se trouvant dans l’impossibilité d’agir

Pour « déclarer éteinte par la prescription l’action engagée » par le demandeur, la Chambre de l’instruction avait considéré qu’aucun obstacle de droit n’avait empêché la partie civile d’agir entre la transmission du dossier à ladite Chambre et sa remise au parquet général puis à l’avocat général pour réquisitions.

La Chambre criminelle, si elle rejette in fine le pourvoi, n’a pas validé la motivation de la Cour d’appel :

« 14. Pour déclarer éteinte par la prescription l’action engagée par M. [O], l’arrêt attaqué énonce que le dossier transmis à la chambre de l’instruction le 3 décembre 2020 a été remis au parquet général le 9 juin 2021 et pour réquisitions à l’avocat général, le lendemain.

 15. Les juges en déduisent qu’en application des dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et faute d’obstacle de droit mettant la partie poursuivante dans l’impossibilité d’agir, les faits sont prescrits.

 16. C’est à tort que les juges se sont prononcés par les motifs qui précèdent, dès lors que la partie civile, qui n’est recevable à présenter une demande d’acte qu’après l’ouverture de l’information, se trouvait, alors, dans l’impossibilité d’agir.»

Cependant, la Cour de cassation ne censure pas l’arrêt de la Chambre de l’instruction dès lors que la Haute juridiction était en mesure « de s’assurer, par l’examen des pièces dont elle a le contrôle » que l’action publique était éteinte par prescription bien avant la procédure d’appel.

  1. Le rappel du régime de l’interruption de la prescription avant l’engagement des poursuites : seules les réquisitions aux fins d’enquête articulant et qualifiant les faits dont elles sont l’objet sont interruptives de prescription

Ce qu’expose ici la Chambre criminelle est connu, mais les justiciables ignorent souvent qu’une demande d’aide juridictionnelle ou le dépôt d’une plainte simple ne sont pas des actes interruptifs de prescription.

Aussi, la Cour de cassation juge, dans le cas d’espèce, que :

« la publication litigieuse des 2 et 3 décembre 2018 a fait courir la prescription de trois mois, laquelle n’a été interrompue ni par la demande d’aide juridictionnelle du 7 décembre 2018 ni par la décision relative à celle-ci du 31 janvier 2019 ni par la plainte simple de M. [O] du 15 février suivant.

18. En effet, aux termes des dispositions de l’article 65 précité, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête articulant et qualifiant les faits dont elles sont l’objet sont interruptives de prescription.

19. La prescription était donc acquise les 2 et 3 mars 2019, soit antérieurement à la plainte avec constitution de partie civile de M. [O], du 29 novembre suivant.»

La tendance actuelle à faire reposer définitivement la responsabilité de l’interruption de la prescription sur la partie civile pose la sérieuse question des outils mis à sa disposition pour ce faire.

La Chambre criminelle vient rappeler le critère de « l’impossibilité d’agir » de la partie civile qui doit guider les juridictions sur l’appréciation de la prescription.

 

[1] Cass. Crim., 10 mai 2023, n° 21-86.348.