Le litige entre la société coopérative à capital variable, EMRYS La Carte, et l’association UFC Que Choisir vient de connaître son épilogue avec l’arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation du 29 mars 2023[1].
Editrice du magazine Que choisir argent, UFC Que Choisir avait refusé de publier un droit de réponse à un article traitant des cartes et programmes de fidélité développés par EMRYS.
L’intérêt de cette affaire ne se trouve pas tant dans le refus de la haute juridiction, dans une précédente décision du 13 juillet 2022, de ne pas renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité[2], que dans le rappel du régime de prescription applicable en matière de droit de réponse : la Cour de cassation confirme l’alignement du délai de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur celui de l’article 65 de la même loi.
La demanderesse au pourvoi invoquait :
- d’abord, le fait que le délai de prescription trimestrielle, prévu à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne pouvait être appliqué qu’à l’exercice d’une « action » publique ou civile et non à celui d’un « droit », à savoir celui de réponse défini à l’article 13 de cette même loi.
La Haute juridiction écarte logiquement ce moyen dès lors que la sanction d’un refus d’insertion de droit de réponse nécessite, naturellement, l’engagement d’une « action » en justice :
« c’est à bon droit que la cour d’appel a énoncé que l’action en justice afin de faire sanctionner le refus d’insertion d’un droit de réponse est soumise au délai de prescription de trois mois prévu à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
- ensuite, un « formalisme excessif» de la Cour d’appel de Toulouse qui se serait bornée « à considérer que cette action était soumise à la prescription trimestrielle sans se prononcer sur l’existence d’un calendrier de procédure et la volonté persistante du demandeur de maintenir son action ».
Ici encore, on voit mal comment la Cour de cassation aurait pu accueillir le moyen qu’elle juge d’ailleurs inopérant.
En effet, calendrier de procédure ou pas, il revient au « demandeur à l’action en insertion forcée d’un droit de réponse de s’assurer de l’accomplissement dans les délais requis des actes nécessaires à l’interruption de la prescription trimestrielle ».
La Première Chambre civile saisit ce moyen pour rappeler, comme elle l’avait fait pour motiver son refus de renvoyer la QPC susmentionnée, qu’en prévoyant un délai de prescription trimestrielle, le législateur a cherché à protéger la liberté d’expression tout en garantissant un recours effectif :
« L’existence d’un court délai de prescription édicté par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 a pour objet de garantir la liberté d’expression et ne prive pas le demandeur à l’action en insertion forcée de tout recours effectif, dès lors qu’il a la faculté d’interrompre la prescription par tout acte régulier de procédure manifestant son intention de continuer l’action. Ces règles sont suffisamment claires et accessibles pour permettre aux parties d’agir en conséquence (CEDH, ordonnance du 29 avril 2008, n° 24562/03 ; CEDH, ordonnance du 17 juin 2008, n° 39141/04). »
- La demanderesse au pourvoi avait, enfin, soulevé devant la Cour d’appel de Toulouse que « le message RPVA de l’avocat des intimés déposé à la cour le 11 juin 2021 serait de nature à interrompre la prescription, en ce qu’il y est sollicité le renvoi de l’affaire pour permettre à l’avocat plaidant de prendre connaissance et répliquer aux conclusions de l’appelante déposées le 10 juin 2021». Pour la société EMRY, la Cour d’appel aurait dû « examiner si la fixation du calendrier de la procédure ne constituait pas un empêchement d’agir prévu par la loi ou la convention et, partant, un motif valable de suspension de la prescription ». Dans le même sens, les juges d’appel n’auraient pas légalement justifié leur décision « en jugeant irrecevable l’action exercée en insertion forcée du demandeur sans se prononcer sur l’attitude déloyale du défendeur, seul à l’origine de la prescription opportunément soulevée par lui ».
La Cour de cassation juge que :
« 10. La cour d’appel a, d’abord, énoncé à bon droit qu’un message RPVA adressé par l’avocat des défendeurs à l’action dans lequel ceux-ci sollicitent le renvoi de l’affaire pour permettre de répliquer aux conclusions du demandeur n’est pas de nature à interrompre la prescription trimestrielle.
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- Ayant constaté, ensuite, qu’aucun acte régulier de procédure manifestant son intention de poursuivre l’action n’avait été effectué entre le 10 juin et le 25 septembre 2021 par la société demanderesse à l’action en insertion forcée, elle en exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la prescription était acquise. »
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Dit autrement, et on le comprend fort bien, c’est sur le demandeur que pèse la responsabilité de veiller à l’interruption de la prescription trimestrielle et ce par un acte autrement plus formel qu’un message RPVA, qui plus est lorsqu’il n’en est pas l’auteur.
Vigilance donc, toujours et encore, à accomplir les actes requis pour interrompre la prescription en matière de presse.
[1] Cass. Civ. 1ère, 29 mars 2023, n° 22-10.875
[2] Ne présentait pas de caractère sérieux la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
« Les dispositions des articles 12 et 13 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, combinées à celles de l’article 65 alinéa 1er de la même loi, en ce qu’elles prévoient que l’action en insertion forcée d’un droit de réponse est soumise à la prescription trimestrielle prévue pour l’exercice d’une action (civile ou publique) résultant d’un crime, d’un délit ou d’une contravention prévus par la loi sur la presse, portent-elles atteinte au droit d’accès à un juge, au droit à un recours effectif et à l’équilibre des droits des parties tels qu’ils sont garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »