Brèves juridiques

Suspension de la prescription pour la partie civile juridiquement empêchée et obligation de contrôle de la régularité de la plainte

By 2 novembre 2022 No Comments

Dans un arrêt du 11 octobre 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur le pourvoi formé contre un arrêt d’une Chambre de l’instruction qui, « sur renvoi après cassation, a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction » renvoyant le requérant « devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire. ».

L’examen des deux moyens du pourvoi a permis à la Chambre criminelle de rappeler deux principes importants du droit de la presse :

◼  le premier moyen portait sur la prescription de l’action publique.

S’il est de jurisprudence constante qu’il appartient à la partie civile de « de surveiller le déroulement de la procédure et d’accomplir les diligences utiles, c’est à la condition qu’elle puisse juridiquement le faire et qu’elle ne rencontre pas d’obstacle dirimant ».

Tel est le cas tant que le procureur de la République n’a pas pris ses réquisitions après communication de la plainte :

« « il résulte de la combinaison des articles 82-1 et 89 du code de procédure pénale que la faculté de présenter une demande d’acte au juge d’instruction n’est offerte à la partie civile qu’après l’ouverture de l’information[1]. Celle-ci ne dispose d’aucun moyen de droit pour obliger le juge d’instruction à accomplir un acte interruptif de prescription tant que le procureur de la République n’a pas pris ses réquisitions après communication de la plainte en application de l’article 86 dudit code de sorte qu’entre temps, la prescription est nécessairement suspendue. »

En l’espèce, faute d’ouverture d’une information judiciaire, la partie civile était bien juridiquement empêchée d’accomplir les diligences nécessaires pour interrompre la prescription de l’article 65 de la loi sur la presse :

« pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction ayant rejeté sa requête aux fins de constatation de la prescription de l’action publique, l’arrêt attaqué énonce que celle-ci ne saurait être constatée, puisqu’un obstacle de droit a interdit à la partie civile d’agir dès lors que, pour la période visée, de la décision de la chambre de l’instruction jusqu’à la saisine du ministère public par le juge d’instruction, la partie civile ne disposait d’aucun moyen de droit pour forcer le magistrat instructeur à accomplir un acte afin d’interrompre la courte prescription de l’article 65 de la loi sur la presse. »

◼  le second moyen critiquait le refus de la Chambre de l’instruction, « statuant comme juridiction de renvoi après cassation d’un arrêt rendu sur le règlement d’une procédure», d’examiner la demande de nullité fondée sur l’irrégularité de la plainte au regard des exigences de l’article 50 de la loi sur la presse.

Pour rappel, l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que :

« Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d’articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite. »

Pour accueillir le moyen, la Chambre criminelle précise :

  • d’une part, que sur le fondement des articles 206 et 609-1 du code de procédure pénale, il relève bien de l’office de la Chambre de l’instruction, statuant dans les conditions exposées supra, « d’examiner la régularité des procédures qui lui sont soumises et, si elle découvre une cause de nullité, de prononcer la nullité de l’acte qui en est entaché et, s’il convient, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure.».

Le raisonnement de la Haute Cour est sans surprise tant le texte de l’article 206[2] du code de procédure pénale est clair ; à tel point qu’il lui a suffi d’en reprendre les termes pour motiver sa décision.

  • d’autre part, que la nullité découlant de l’inobservation de l’article 50 de la loi sur la presse est absolue et d’ordre public. Plus précisément, la Chambre criminelle juge qu’en considérant que l’examen de la régularité de la plainte relevait de la compétence des juges du fond, la cassation de l’arrêt objet du pourvoi est encourue dès lors que ledit examen est « une condition nécessaire de la validité du renvoi de la personne mise en examen devant le tribunal correctionnel».

 

[1] Cass. Crim., 22 novembre 2005, n° 05-82.807, Bull. n° 304.

[2] Article 206 du code de procédure pénale :

« Sous réserve des dispositions des articles 173-1,174 et 175, la chambre de l’instruction examine la régularité des procédures qui lui sont soumises.

 Si elle découvre une cause de nullité, elle prononce la nullité de l’acte qui en est entaché et, s’il y échet, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure.

 Après annulation, elle peut soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201,202 et 204, soit renvoyer le dossier de la procédure au même juge d’instruction ou à tel autre, afin de poursuivre l’information. »