Brèves juridiques

Secret des sources : le Conseil constitutionnel confirme l’impossibilité pour un journaliste, tiers à une procédure pénale, de présenter une requête en nullité

By 9 novembre 2022 No Comments

Le secret des sources est un principe cardinal de la liberté de la presse, défini en ces termes à l’article 2 de la loi 29 juillet 1881 :

« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public.

Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public.

Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.

Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources.

Au cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. »

Par un arrêt du 27 juillet 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) formulée en ces termes :

« Les dispositions des articles 60-1, alinéa 3, 100-5, alinéa 4, 170, 171 et 173 du code de procédure pénale qui s’abstiennent de prévoir la possibilité pour un journaliste, qui n’est ni partie à la procédure ni témoin assisté, de saisir la chambre de l’instruction d’une requête en nullité d’actes de l’instruction portant atteinte à ses droits, sont-elles contraires au droit d’accès au juge, au droit à la liberté d’expression, au droit à la vie privée et au principe d’égalité consacrés par les articles 1, 2, 6, 11 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? »

Le 28 octobre 2022 (Décision n° 2022-1021 QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions contestées qu’il a identifiées comme étant :

  • le 3ème alinéa de l’article 60-1[1] du code de procédure pénale :

« A peine de nullité, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition prise en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »

  • le 4ème alinéa de l’article 100-5[2] du code de procédure pénale :

« A peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »

Pour ce faire, après avoir rappelé qu’il résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction », les Sages de la rue de Montpensier ont jugé :

◼ en premier lieu, qu’en réservant[3], dans le cadre d’une information judiciaire, au juge d’instruction, au procureur de la République, aux parties et témoins assistés, la possibilité de « saisir la chambre de l’instruction aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure», le législateur a entendu poursuivre « les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 »

◼ en second lieu, que le droit à un recours juridictionnel effectif n’est pas méconnu dans la mesure où un journaliste tiers à une procédure dispose de voies de droit.

Plus précisément, le Conseil constitutionnel en identifie deux, l’une par laquelle un journaliste qui s’estimerait victime d’une infraction pourrait mettre en action l’action publique, l’autre permettant de mettre en jeu la responsabilité de l’Etat du fait d’une violation du secret des sources :

« lorsqu’un acte d’investigation accompli en violation du secret des sources est constitutif d’une infraction, le journaliste qui s’estime lésé par celle-ci peut mettre en mouvement l’action publique devant les juridictions pénales en se constituant partie civile et demander la réparation de son préjudice. Si, en application de l’article 6-1 du code de procédure pénale, l’action publique ne peut être exercée dans le cas où l’illégalité de l’acte ne serait pas soulevée par le juge d’instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté, et définitivement constatée par la juridiction qui en est saisie, le journaliste conserve la possibilité d’invoquer l’irrégularité de cet acte à l’appui d’une demande tendant à engager la responsabilité de l’État du fait de cette violation. »

 

[1] Relatif au pouvoir de réquisition d’informations dans le cadre d’une enquête de flagrance.

[2] Qui permet au juge d’instruction, dans le cadre d’une information judiciaire, d’intercepter « des correspondances émises par la voie de moyens de communication électroniques »

[3] Articles 170 et 173 du code de procédure pénale.