La Chambre criminelle de la Cour de cassation a une nouvelle fois rappelé, dans un arrêt du 29 novembre 2022[1], l’attention toute particulière qui doit être portée à l’écoulement du temps en matière de presse.
A l’origine de cette affaire, des propos prononcés oralement, à la sortie d’une école, le 4 décembre 2020 : « est-ce que ton autorité parentale te permet de frapper ta fille et de mal la traiter quand elle est chez toi… ».
La procédure qui s’ensuivait était peu orthodoxe : le 20 décembre 2020, la victime des propos déposait une plainte simple du chef de diffamation publique devant les services de police. Le 30 décembre 2020, le Procureur de la République délivrait un soit-transmis aux fins d’enquête aux services de police, qui procédaient à l’audition des parties.
Le 26 janvier 2021, le Procureur de la République ordonnait un rappel à la loi, en application de l’article 41-1 du code de procédure pénale, notifié le 11 février 2021 à l’auteur des propos.
La procédure ne devait pas s’arrêter là.
Le 6 avril 2021, la victime des propos décidait de déposer une plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation publique entre les mains du Doyen des Juges d’instruction, qui rendait une ordonnance de refus d’informer en raison de la prescription des faits.
En matière de prescription, donc, deux questions se posaient ici, articulées en deux branches du même moyen : d’une part, celle de l’effet interruptif du soit-transmis aux fins d’enquête émis par le Procureur de la République, et des actes d’exécution consécutifs (1.) et, d’autre part, celle de l’effet suspensif du rappel à la loi (2.).
- concernant le soit-transmis aux fins d’enquête : un effet interruptif soumis aux critères posés par l’article 65 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881
Le plaignant faisait valoir que le soit-transmis du 30 décembre 2020 avait interrompu la prescription trimestrielle. Le plaignant précisait que le soit-transmis aux fins d’enquête, accompagné de la plainte initiale, mentionnait « URGENT Prescription courte ».
La mention d’une prescription courte était toutefois totalement inopérante pour l’interruption de la prescription. En effet, pour interrompre la prescription, les réquisitions aux fins d’enquête doivent respecter les conditions définies à l’article 65 de la loi sur la liberté de la presse et plus particulièrement celles du deuxième alinéa dudit article :
« L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait.
Toutefois, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée. »
Dit autrement, seule la qualification des faits par le réquisitoire introductif conditionne le caractère interruptif des actes subséquents (i.e. le soit-transmis du Ministère public aux fins d’enquête et les actes d’exécution consécutifs).
En l’espèce, le soit-transmis n’a pas pu interrompre la prescription, dès lors que les réquisitions qui le précédaient ne faisaient état que d’une « diffamation publique, sans autre précision sur le type de diffamation visé ».
Ce faisant, la Chambre criminelle juge que :
« le soit-transmis du ministère public aux fins d’enquête et les actes d’exécution qui ont suivi n’ont pu interrompre la prescription, dès lors que les réquisitions aux fins d’enquête ont seulement fait état d’une diffamation publique, sans autre précision sur le type de diffamation visé, et n’ont donc pas qualifié les faits, comme l’exige l’article 65, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
En conséquence, faute pour les réquisitions de satisfaire aux exigences de l’article 65 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, le soit-transmis et les actes d’enquête consécutifs n’ont pas interrompu la prescription.
- concernant le rappel à la loi issu de l’article 41-1 du Code de procédure pénale : un effet suspensif circonscrit
On savait déjà que le rappel à la loi, procédure prévue à l’article 41-1-1° du code de procédure pénale, « suspend la prescription de l’action publique ». La Cour de cassation précise ici, et de manière bienvenue, le moment de la reprise du délai prescription.
Le plaignant faisait valoir que la prescription avait été suspendue entre le 26 janvier 2021 (décision du Procureur d’ordonner un rappel à la loi) et le mois de novembre 2021 (décision du Procureur sur l’action publique).
La Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que l’effet suspensif du rappel à la loi est bien plus circonscrit que cela : la prescription n’est suspendue que de la date de la décision du Procureur de la République jusqu’à celle de la notification du rappel à la loi à l’intéressé, soit, en l’espèce, jusqu’au 11 février 2021 :
« le rappel à la loi prévu par l’article 41-1 du code de procédure pénale, dès lors qu’il s’effectue en deux temps, a entraîné la suspension du délai de prescription du 26 janvier 2021, date de la décision du ministère public, au 11 février suivant, date de la notification à l’intéressé dudit rappel. »
En conséquence, la prescription qui avait couru, sans être interrompue, du 4 décembre 2020 au 26 janvier 2021, puis à compter du 11 février 2021, était largement acquise le 6 avril 2021, jour du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile.
Gare, donc, à l’écoulement du temps, dont on ne saurait distordre le cours à sa convenance.
[1] Cass. Crim., 29 novembre 2022, n° 22-81.814