Brèves juridiques

Précision sur les auteurs du délit de favoritisme et rappel des conditions d’appréciation du préjudice

By 30 septembre 2022 No Comments

Le délit d’octroi d’avantage injustifié, dit plus communément délit de « favoritisme », est défini et réprimé par l’article 432-14 du code pénal, lequel dispose que :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession. »

Dans un arrêt du 7 septembre 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la possibilité d’imputer le délit de favoritisme à une salariée d’une association, titulaire sortante de la délégation de service public (DSP) portant sur la gestion du restaurant scolaire d’une commune et, par ailleurs, employée municipale (catégorie C) de ladite commune, affectée au service scolaire pour la gestion et la surveillance du restaurant scolaire.

Pour critiquer l’arrêt d’appel, la salariée (responsable du restaurant) / employée municipale (adjoint administratif) avançait que :

« le délit de favoritisme au sens de l’article L. 432-14 du code pénal est un délit attitré qui ne peut être imputé qu’aux organes et/ou personnes spécialement désignés par ce texte ; qu’en l’absence de tout élément susceptible de rattacher la requérante au cercle restreint des personnes entrant dans le champ de ce texte, la cour a procédé par voie d’analogie et a violé le texte susvisé ensemble le principe d’interprétation stricte de la loi pénale. »

Pour juger que la prévenue relevait « bien de la catégorie des personnes visées par les dispositions de l’article 432-14 du code pénal et susceptibles d’être poursuivies pour délit de favoritisme », la Chambre criminelle s’est assuré que la Cour d’appel avait justifié sa décision en considérant que, notamment, par ses doubles fonctions au sein de l’association titulaire de la DSP et de la municipalité, sa qualité d’interlocutrice directe de la directrice générale des services concernant le restaurant scolaire et principale des usagers, elle « jouait un rôle déterminant dans l’organisation de la restauration scolaire ».

Pour écarter le moyen, la Cour de cassation précise également que :

d’une part, « l’article 432-14 du code pénal n’exige pas que la personne poursuivie soit intervenue, en fait ou en droit, dans la procédure d’attribution d’une commande publique» ;

d’autre part, « en raison de ses connaissances techniques et du savoir-faire dont elle disposait du fait de son affectation au service de restauration scolaire de la commune, la prévenue disposait de compétences et d’informations privilégiées lui ayant permis de procurer à la société [5] et à son dirigeant M. [P] un avantage injustifié de nature à porter atteinte au principe de liberté d’accès et d’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.»

La capacité à procurer un avantage injustifié suffit donc pour être auteur du délit de favoritisme.

Par ailleurs, cette affaire a été l’occasion pour la Chambre criminelle de rappeler comment les juges du fond doivent apprécier le caractère direct et certain du préjudice invoqué par le candidat évincé, partie civile, en l’espèce l’ancien titulaire de la DSP, non retenu à l’issue de la procédure de renouvellement du contrat.

Après avoir énoncé le principe posé à l’article 2 du code de procédure pénale selon lequel « l’action en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par cette infraction », la Cour de cassation juge que la Cour d’appel ne pouvait débouter la partie civile de sa demande en réparation sans avoir recherché si elle « avait, compte tenu de son activité, de son expérience ou de tout autre élément, une chance sérieuse d’obtenir la DSP et si l’attribution irrégulière de celle-ci a eu pour conséquence directe de lui faire perdre cette chance ».

C’est donc, selon une méthode proche de celle mise en œuvre par le juge administratif lorsqu’il statue sur une demande indemnitaire formulée par un candidat évincé irrégulièrement d’une procédure de passation d’un contrat de commande publique et non dépourvu de toute chance de remporter le contrat (CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe c/ Commune du Lamentin, n° 249630 ; CE, 19 décembre 2012, Simon, n° 355139) que les juges du fond doivent se prononcer sur les intérêts civils :

« Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre, lesquels n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général. » (CE, 28 février 2020, Société Régal des Iles, n° 426162)