Dans un arrêt du 23 novembre 2022 (Cass. Civ. 1ère, 23 novembre 2022, n° 21-22.078), la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler ce qu’elle a jugé pourtant à de nombreuses reprises[1], à savoir qu’ :
« Est nulle une assignation qui retient pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation comme étant de nature à créer, une incertitude quant aux faits reprochés. »
Le principe qui fonde ce raisonnement est le même que dans des matières autres que le droit de la presse : pour permettre à la personne mise en cause de produire une défense utile, il ne doit exister aucune incertitude sur la qualification des faits reprochés à son auteur.
C’est ce qu’avait déjà précisé la Première chambre civile de la Cour de cassation[2] dans une affaire relative à des propos publiés sur Facebook que la personne visée considérait comme « constitutifs, à son égard, de diffamation et, pour certains, d’injures ».
La Cour de cassation avait censuré l’arrêt de la Cour d’appel au motif :
« Qu’en statuant ainsi, alors que les mêmes passages des mêmes écrits se trouvaient poursuivis sous deux qualifications différentes et que ce cumul de qualifications était de nature à créer pour M. Y… une incertitude préjudiciable à sa défense, de sorte que l’assignation était nulle en son entier, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »
Dans l’arrêt ici signalé, rendu comme le précédent au visa de l’article 53[3] de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, une société s’estimant injuriée et diffamée par certains propos tenus dans un ouvrage, a assigné les coauteurs du livre, l’auteur des propos reproduits et la société d’édition, en suppression des passages litigieux sur le fondement de la loi précitée.
Appliquant une jurisprudence qu’il faut bien qualifier de constante, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi aux termes du raisonnement suivant :
« 6. La cour d’appel a constaté que, si la société avait distingué, dans les motifs des assignations, entre les propos estimés diffamatoires et ceux considérés comme injurieux, le dispositif qualifiait cumulativement les propos d’injurieux et de diffamatoires sans distinction et tendait à la suppression d’un passage entier du livre qui contiendrait ces propos.
7. C’est donc à bon droit, sans modifier l’objet du litige ni porter une atteinte excessive au droit d’accès au juge de la société X, qu’elle en a déduit que ce cumul de qualifications était de nature à créer, à l’égard des défendeurs, une incertitude préjudiciable à leur défense et qu’elle a annulé les assignations en leur entier.»
La jurisprudence de la Cour de cassation est donc limpide et nous confirme :
◾ d’une part, qu’est nulle une assignation comportant une double qualification pour un même fait ;
◾ d’autre part, que, quand bien même la distinction entre les propos allégués comme étant diffamatoires et ceux poursuivis comme étant injurieux apparaîtrait clairement dans les motifs de l’assignation, dès lors que le dispositif présente une double qualification pour les mêmes propos, la nullité de l’acte introductif d’instance est encourue.
[1] Cass.Civ. 1ère, 4 février 2015, n° 13-16.263 et 13-19.455 ;
[2] Cass. Civ., 1ère, 7 février 2018, 17-11.316.
[3] Dont la Cour de cassation rappelle que « Ces dispositions assurent un juste équilibre entre le droit au recours juridictionnel du demandeur, la protection de la liberté d’expression et le respect des droits de la défense (CC, 17 mai 2013, n° 2013-311 QPC ; CEDH 2 mars 2017, [G] c/ France, n° 52733/13). »