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Maître Céline Astolfe demande la publicité des débats au procès Le Scouarnec

By 16 mars 2020 No Comments

« La raison de ce huis clos n’est pas le manque de courage. C’est simplement l’application de la loi. » La voix d’Isabelle Fachaux, la présidente de la cour d’assises de Charente-Maritime, résonne jusque dans le hall du palais de justice. Elle vient de prononcer le huis clos total pour le procès de Joël Le Scouarnec. Le « chirurgien de Jonzac » est jugé à partir du vendredi 13 mars pour des viols et/ou des agressions sexuelles sur quatre mineures dans ce premier volet de l’une des plus vastes affaires de pédocriminalité en France. Le public et les journalistes récupèrent à la hâte leurs affaires. Puis les portes se referment. Ce que dira l’accusé restera entre les murs de la salle.

Une heure plus tôt, Joël Le Scouarnec, crâne dégarni couronné de cheveux blancs, lunettes fines sur le nez, a pris place dans le box des accusés, vêtu d’un long manteau noir. Invité à décliner son identité, il mentionne son ancienne profession, « chirurgien », et sa résidence, « maison d’arrêt de Saintes », où il est en détention provisoire depuis trois ans, « et, avant, Jonzac ». Il s’assoit et ôte son manteau. D’un regard perçant, avec une expression fermée, il scrute lentement chaque visage de l’assistance. Pédophile assumé, il « entend s’exprimer librement », assure son avocat. Pour cette raison, Thibaut Kurzawa demande la tenue d’un procès à huis clos, sans jamais prononcer clairement le mot.

« La publicité des débats lui ferait plaisir »

Car le huis clos total, c’est aussi et surtout une requête de trois parties civiles : deux nièces de l’ancien chirurgien digestif et une ancienne patiente âgée de 4 ans au moment des faits. « Ce n’est pas faire le jeu de Joël Le Scouarnec que d’interdire la publicité des débats, au contraire », plaide Delphine Driguez, conseil des deux nièces. Elles sont arrivées en dissimulant leur visage derrière leurs vestes. Leur avocate demande le huis clos en raison de « l’âge » de ses clientes – elles étaient mineures au moment des faits –, la « nature des faits [de viol] », « la pudeur » et les clichés « insoutenables » qu’elles ont découverts dans le dossier. Leur oncle est accusé d’avoir profité de leur sommeil pour commettre des agressions sexuelles et s’être pris en photo pendant les actes. « En plus d’être pédophile, Joël Le Scouarnec était exhibitionniste, insiste Delphine Driguez. La publicité des débats lui ferait plaisir. »

Huis clos total, partiel ou publicité des débats : la question n’est pas tranchée pour les associations de protection de l’enfance, parties civiles au procès. Pour Céline Astolfe, qui défend la Fondation pour l’Enfance, « il est capital de laisser ouvertes les portes des prétoires ». Au contraire, Marie Grimaud, qui représente l’association Innocence en danger, demande un huis clos total « pour la sérénité des débats ». Quant à l’avocat général, Mathieu Auriol, il souhaite autoriser les familles des plaignants à assister à l’audience « en soutien ». En revanche, il ne croit pas « que le huis clos autorisé aux médias soit constructif pour la recherche de la vérité ».

Francesca Satta n’est pas de cet avis. L’avocate des parents de Lucie*, la petite voisine de Joël Le Scouarnec à Jonzac, qui dénonce un viol à travers la clôture mitoyenne, réclame un huis clos partiel. Selon elle, il s’agirait d’un « bon compromis » pour assurer à la fois « une transparence de la justice » et « permettre que les secrets de certaines dépositions puissent être respectés ». « Ce silence lui a profité pendant des années », lance-t-elle en direction de l’accusé assis en face. Depuis les bancs des parties civiles, elle se définit comme « la voix de ses clients » : « Ils ressentent une douleur terrible et en ont assez de ce silence qui dure. » Et qui va perdurer, puisque c’est finalement sans presse, ni public, que la cour va se pencher jusqu’au mardi 17 mars sur ces quatre cas.

« Je veux leur dire que le monsieur est méchant »

Ecœurés, les parents de Lucie ont quitté l’audience après la décision sur le huis clos. « On est encore en train de couvrir Le Scouarnec », déclare le père de la fillette. Attablé à la terrasse d’un café en face du palais de justice, il se dit « vexé de la justice, à qui [il] ne fai[t] plus confiance ». « J’ai une petite fille qui pleure parce qu’elle sait qu’il y a un procès. Elle me dit ‘je veux y aller, leur dire que le monsieur est méchant’. Une petite fille de 9 ans a ce courage, malheureusement sa femme, à son âge, ne l’a pas », regrette avec une grande amertume Jérôme Loiseau.

Car ni l’épouse de Joël Le Scouarnec, dont il est séparé, ni l’un de ses fils, qui devaient témoigner, ne sont finalement présents. La femme de l’accusé a produit un certificat médical. La présidente de la cour d’assises a demandé une expertise pour vérifier qu’elle était réellement souffrante. Le père de Lucie aurait aimé « que l’omerta familiale soit dénoncée ». « Est-ce que sa femme était au courant dès le départ ? » La question reste en suspens, autant pour Jérôme Loiseau que pour sa fille, qui « attend des réponses ».

« Comprendre comment il en est arrivé là »

Les perquisitions ont révélé des milliers de documents informatiques du chirurgien, dont un journal intime, commencé en 1990. Dans son carnet, il décrit de possibles abus, ce qui a permis d’identifier à ce jour 349 victimes potentielles. Ces cas font l’objet d’autres investigations et ne seront pas abordés à Saintes. Vendredi, la cour d’assises de Charente-Maritime a commencé par l’examen de la personnalité de l’accusé. Une experte psychiatre a été entendue dans la matinée, la sœur de Joël Le Scouarnec dans l’après-midi.

« C’est un petit malin. Sa personnalité, on l’a tous comprise. De toute façon, ce mec n’est rien », raille Jérôme Loiseau. Malgré l’appel de son avocate, lui n’est pas revenu assister aux débats, contrairement à sa compagne. « Joël Le Scouarnec aborde cette audience avec un peu de stress, de l’anxiété, mais en même temps la patience de s’exprimer, de s’expliquer et de donner des éléments de réponse à ses victimes. Mais aussi de comprendre comment il en est arrivé là », a assuré l’avocat de l’accusé avant la reprise de l’audience, vers 15 heures. Dans ce premier procès, l’ancien chirurgien encourt vingt ans de réclusion criminelle.

* Le prénom a été changé

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