Brèves juridiques

Les nouveaux contours de l’organe ou du représentant susceptible d’engager la responsabilité pénale d’une personne morale appartenant à un groupe de sociétés

By 18 novembre 2022 No Comments

Depuis la loi du 9 mars 2004 (loi dite Perben) entrée en vigueur le 31 décembre 2005, les personnes morales sont responsables pénalement pour toutes les infractions pénales.

Les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal précise que la responsabilité pénale des personnes morales est engagée lorsque « des infractions a été commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

La Cour de cassation censure systématiquement les décisions dans lesquelles les juridictions du fond n’ont pas précisément identifié l’organe ou le représentant de la personne morale ayant agi pour son compte [1].

L’ « organe » au sens de cet article vise « tout un ensemble de personnes ou toute personne chargée, par la loi ou les statuts de la personne morale, de son administration, de sa direction ou de son contrôle » [2], comme par exemple le directeur général de la personne morale.

Le représentant est celui qui dispose « de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires, ayant reçu une délégation de pouvoirs, de droit ou de fait, de la part des organes de la personne morale » [3].

Au sein d’un groupe de sociétés, la jurisprudence admet que le délégataire ne soit pas nécessairement le préposé du délégant au sens strict du droit du travail et qu’il reçoive délégation du dirigeant de la société mère afin d’accomplir sa mission dans une ou plusieurs filiales [4].

Depuis un arrêt très remarqué du 21 juin 2022 [5], l’organe ou le représentant susceptible d’engager la responsabilité pénale d’une société peut être la société mère, présidente de la société fille ayant commis l’infraction : il n’est donc plus indispensable que la juridiction de fond identifie une personne physique.

Dans cet arrêt, un salarié de la société fille, exploitant un site d’industrie textile, avait subi un accident du travail sur une machine. La société mère, la société fille et le directeur du site étaient poursuivis des chefs de blessures involontaires suivies d’une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et de non-respect des mesures relatives à l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail.

La Cour de cassation devait examiner deux moyens : le premier relatif à la responsabilité pénale de la société fille et le second, concernant la responsabilité pénale de la société mère.

◾ Sur le premier moyen, la Cour d’appel a constaté qu’aucune délégation de pouvoirs n’avait été consentie au directeur d’usine et donc qu’il appartenait à l’employeur, la société fille, d’exercer elle-même « la surveillance indispensable à l’application effective de la réglementation relative à l’hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail ».

Puis, elle a jugé que « la société [mère], présidente de la société [fille], est sa représentante légale et son organe au sens de l’article 121-2 du Code pénal ».

Pour la première fois, la Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel selon lequel une société mère qui assure la présidence d’une société fille, est un organe de celle-ci, susceptible de commettre des infractions pour son compte et donc d’engager la responsabilité pénale de la société fille. Elle a donc confirmé l’arrêt d’appel en ce qu’il avait déclaré coupable la société fille des infractions pour lesquelles elle était poursuivie.

◾ Sur le second moyen, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel qui avait déclaré pénalement responsable la société mère, faute pour la Cour d’appel d’avoir identifié l’organe ou le représentant de la société mère ayant agi pour son compte pour commettre l’infraction.

Désormais, une société mère d’un groupe, présidente d’une filiale est un organe de la société filiale au sens de l’article 121-2 du Code pénal. Néanmoins, la société mère n’engera sa propre responsabilité pénale que si les juridictions identifient son organe ou son représentant ayant commis l’infraction pour son compte.

Cet arrêt illustre une nouvelle fois l’impérieuse nécessité de mettre en place des délégations de pouvoirs effectives et efficaces au sein des groupes de sociétés afin d’optimiser la répartition de la responsabilité pénale des dirigeants et désormais des sociétés au sein d’un groupe.

 

[1] Cass. crim., 12 janv. 2016, n° 14-84.442 ; Cass. crim., 10 nov. 2015, n° 14-86.799 ; Cass. crim., 29 mars 2022, n° 21-82.717 ; Cass. crim., 9 mars 2021, n° 20-83.304.

[2] Roger Bernardini, Rép. pén. Dalloz, Personne morale, n° 53

[3] Cass. crim., 17 oct. 2017, n° 16-80.821 ; Cass. crim., 17 oct. 2017, n° 16-87.249 ; Cass. crim., 26 juin 2001, n° 00-83.466

[4] Cass. Soc. 19 janvier 2005, n°02-45.675.

[5] Cass. crim., 21 juin 2022, n° 20-86.857.