Par la loi n° 2022-1159 du 16 août 2022 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroristes en ligne, le droit français intègre les principes et obligations définis par le règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.
Applicable depuis le 7 juin dernier, le règlement « TCO » (Terrorist content online) permet aux autorités nationales compétentes d’enjoindre aux hébergeurs de supprimer les contenus à caractère terroriste[1] ou de bloquer leur accès dans tous les Etats de l’Union européenne.
La loi du 16 août 2022 vient donc adapter la législation française aux exigences fixées dans le règlement européen en insérant 5 articles (6-1-1 à 6-1-5) à la suite de l’article 6-1 de la loi n° 2004-775 du 21 janvier 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Désormais, en complément de la procédure administrative existant depuis 2015 et de la possibilité de saisir le juge des référés afin qu’il ordonne l’arrêt d’un service en ligne en cas de trouble manifestement illicite, la loi prévoit notamment :
🟩 La désignation, à l’article 6-1-1, de l’autorité compétente pour émettre les injonctions de retrait ou de blocage au titre de l’article 3 du règlement, en l’espèce l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).
Le même article désigne l’autorité chargée de recevoir transmission des injonctions et instruire les injonctions transfrontalières. Ladite autorité est une personne qualifiée au sein de l’ARCOM ; laquelle vient de succéder au CSA.
Aux termes du III de l’article 6-1-1, l’ARCOM doit, par ailleurs, superviser la mise en place par les hébergeurs des mesures spécifiques prévues à l’article 5 du règlement européen telles que l’inscription « dans ses conditions générales des dispositions visant à lutter contre l’utilisation abusive de ses services pour diffuser au public des contenus à caractère terroriste » ou la mise en œuvre de « mesures spécifiques pour protéger ses services contre la diffusion au public de contenus à caractère terroriste ».
Dans le même sens, l’ARCOM doit veiller (article 6-1-4) « au respect du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité par les fournisseurs de services d’hébergement définis à l’article 2 du même règlement qui ont leur établissement principal en France ou dont le représentant légal réside en France. ».
🟩 Les sanctions pénales, administratives et financières en cas de manquement des hébergeurs à leurs obligations :
◼ S’agissant des sanctions pénales, en cas de non-respect de l’obligation de retrait ou de blocage dans le délai d’une heure à compter de la réception de l’injonction ou en cas de défaut d’information des autorités compétentes de l’existence d’un contenu terroriste, l’article 6-1-3 dispose que :
« -I.-La méconnaissance de l’obligation de retirer des contenus à caractère terroriste ou de bloquer l’accès à ces contenus dans tous les Etats membres dans un délai d’une heure à compter de la réception d’une injonction de retrait prévue au 3 de l’article 3 et au 2 de l’article 4 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité est punie d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Lorsque l’infraction prévue au premier alinéa du présent I est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende peut être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent.
II.-La méconnaissance de l’obligation d’informer immédiatement prévue au 5 de l’article 14 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité est punie d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.
Lorsque l’infraction prévue au premier alinéa du présent II est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l’amende peut être porté à 4 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent. »
◼ Des sanctions administratives et financières pourront être prononcées par l’ARCOM ainsi qu’en dispose l’article 6-1-4 de la loi du 16 août 2022. Ainsi, à la suite d’une mise en demeure de se conformer aux obligations du règlement européen restée infructueuse, l’autorité pourra infliger à l’hébergeur concerné une amende pouvant aller jusqu’à 4% de son chiffre d’affaires mondial.
Le montant de l’amende est déterminé en prenant en considération :
« 1° La nature, la gravité et la durée du manquement ;
2° Le fait que le manquement a été commis de manière intentionnelle ou par négligence ;
3° Les manquements commis précédemment par le fournisseur concerné ;
4° La situation financière du fournisseur concerné ;
5° La coopération du fournisseur concerné avec les autorités compétentes ;
6° La nature et la taille du fournisseur concerné ;
7° Le degré de responsabilité du fournisseur concerné, en tenant compte des mesures techniques et organisationnelles prises par ce fournisseur pour se conformer au règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 précité. »
🟩 Des recours en annulation spécifiques devant le tribunal administratif pour les hébergeurs et les fournisseurs de contenus qui viennent s’ajouter à la possibilité de former un référé-suspension (article L.521-1 du code de justice administrative) ou un référé liberté (article L.521-2 du code de justice administrative).
Plus précisément, l’article 6-1-5 crée un nouveau recours contre les injonctions de retrait (I de l’article 6-1-5) et les décisions motivées de la personnalité qualifiée mentionnée à l’article 6-1-1 (II de l’article 6-1-5) dont les caractéristiques sont les suivantes :
- Le recours en annulation doit être formé dans les 48 heures ;
- Le Tribunal administratif disposera d’un délai de 72 heures pour statuer ;
- Un appel pourra être interjeté dans un délai de 10 jours devant la Cour administrative d’appel ; laquelle devra rendre sa décision dans un délai d’un mois.
Il est également possible de contester devant le Tribunal administratif les décisions prises par l’ARCOM enjoignant aux services d’hébergement de mettre en place les mesures spécifiques précitées de l’article 5 du règlement européen dans un délai de 15 jours ; la juridiction devant statuer dans un délai d’un mois (IV de l’article 6-1-5).
En outre, la personne qualifiée de l’ARCOM est en mesure de contester devant le Tribunal administratif une injonction nationale de retrait qu’elle estimerait infondée.
Enfin, on remarque que si l’article 1er de la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « Loi AVIA » – qui prévoyait le blocage dans l’heure des contenus terroristes notifiés par l’OCLCTIC – avait été censuré par le Conseil constitutionnel, les Sages de la rue de Montpensier ont, dans une décision 2022-841 DC du 13 août 2022, déclaré conforme à la Constitution la loi du 16 août 2022.
[1] « Le nouveau règlement vise des contenus tels que des textes, des images, des enregistrements sonores ou des vidéos, y compris des transmissions en direct, qui :
- incitent à commettre des actes de terrorisme ou contribuent à la commission desdits actes
- donnent des instructions sur la manière de commettre de tels actes
- sollicitent la participation à des groupes terroristes» (Prévention de la radicalisation dans l’UE – Consilium (europa.eu))