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Le Point – Soldats du droit – Je ne peux honorer un contrat : comment faire pour ne pas plomber mon entreprise ?

By 6 avril 2020 No Comments

En partenariat avec les Soldats du droit, un collectif d’avocats chevronnés, « Le Point » vous aide à traverser la crise.
Aujourd’hui : les cas de force majeure.

Céline Astolfe

Publié le 06/04/2020 à 13:30 | Le Point.fr

Comment sortir de la crise ? Alors que l’économie française tente d’encaisser les effets du coronavirus, à commencer par le confinement, des centaines de questions se posent aux entreprises : chômage partiel, congés, télétravail, contrats impossibles à honorer, responsabilité des entreprises face au risque sanitaire, versement des payes, etc. Pour vous aider à traverser cette période, Le Point a noué un partenariat avec les Soldats du droit, un collectif d’avocats créé par Me Céline Astolfe, du cabinet Lombard Baratelli & associés.

Chaque semaine, des fiscalistes, civilistes, spécialistes du droit commercial, du droit du travail et du droit pénal des affaires, parmi les plus pointus de leur profession, s’appuieront sur leur expérience et des cas concrets pour nous prodiguer leurs conseils.

Me Astolfe ouvre aujourd’hui le bal : comment sortir d’un contrat mis en péril par le coronavirus, sans plomber son entreprise ?

Le 28 février 2020, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé que l’épidémie de Covid-19 serait considérée comme un cas de force majeure. Si la force majeure est en effet un motif permettant de s’exonérer de ses obligations contractuelles, les déclarations du ministre de l’Économie ne pourront toutefois être invoquées que dans les contrats de droit public auxquels l’État est partie prenante. Dans les autres cas, comment pouvez-vous vous délier de vos obligations contractuelles ?

Le 1er réflexe : vérifier ce que dit votre contrat !

La première chose à faire est de vérifier si votre contrat stipule une clause de force majeure, et plus précisément :

  • Les cas visés par la clause (par exemple, si la clause prévoit les hypothèses d’épidémie ou de décision d’autorité publique, elle pourra aisément être invoquée dans le contexte du Covid-19). Dans les autres cas, il pourra être nécessaire d’apprécier la portée de la clause.
  • Les conditions formelles de mise en œuvre de la clause (par exemple, l’envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception dans un certain délai). Si ces conditions ne sont pas respectées, alors vous ne pourrez pas vous prévaloir de la clause.
  • Les effets prévus contractuellement : il peut s’agir des mêmes effets que ceux prévus par la loi. Mais si d’autres effets sont prévus, alors ils s’appliqueront également.

Et si je ne suis pas protégé par le contrat, que dit la loi ?

Dans le silence du contrat, il demeure possible de vous délier de vos obligations contractuelles en invoquant la force majeure. La force majeure est prévue à l’article 1218 du Code civil. Il s’agit d’« un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées », de sorte que cet événement empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Attention : le caractère inédit du Covid-19 et les risques sanitaires qu’il fait courir n’impliquent pas automatiquement qu’il constitue un cas de force majeure vous permettant d’échapper à l’exécution de vos obligations. La force majeure s’apprécie au cas par cas, en fonction du type de contrat, des obligations visées.

Quelques exemples

La Cour d’appel de Paris a pu considérer, concernant le virus Ebola, que le caractère avéré de l’épidémie qui a frappé l’Afrique de l’Ouest à partir du mois de décembre 2013, même à le considérer comme un cas de force majeure, ne suffit pas à établir ipso facto que la baisse de trésorerie d’une société lui serait imputable (Cour d’appel de Paris, 17 mars 2016, n° 15/04263).

La Cour d’appel de Basse-Terre a pu considérer qu’en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue…), le virus du chikungunya ne remplissait pas les critères d’imprévisibilité compte tenu de sa prévalence dans l’arc antillais et singulièrement sur l’île de Saint-Barthélemy courant 2013-2014, ni d’irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques était généralement surmontable (Cour d’appel de Basse-Terre, 1re chambre, 17 décembre 2018, n° 17/00739).

La Cour d’appel de Besançon a considéré que l’épidémie de grippe H1N1 ne remplissait pas le critère d’imprévisibilité puisque « largement annoncée et prévue », l’entreprise pouvait raisonnablement l’anticiper (Cour d’appel de Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/02291).

Vous devez donc vérifier si le Covid-19 remplit pour vous les conditions de la force majeure

– L’extériorité

On peut s’accorder à dire que cette condition ne devrait pas poser de difficulté dans l’hypothèse du Covid-19. A priori, les parties au contrat n’ont en effet aucun contrôle sur l’épidémie et les mesures prises par les autorités étatiques pour prévenir la propagation du virus.

– L’imprévisibilité

Elle suppose qu’à la date de conclusion du contrat – c’est-à-dire de signature, vous ne pouviez raisonnablement envisager que l’épidémie vous empêcherait d’exécuter normalement vos obligations. C’est une affaire de date et le juge est seul maître dans le choix de la date à retenir. Cela étant, certaines dates peuvent servir de repères. Décembre 2019 marque le début de l’épidémie de Covid-19 en Chine. Le 30 janvier 2020, l’OMS qualifie l’épidémie d’« urgence de santé publique de portée internationale ». Un mois plus tard, en février 2020, le virus se propage en Europe (Italie, France, Espagne…). Le 28 février 2020 : le ministre de l’Économie fait une annonce sur l’impact du coronavirus sur les contrats économiques. Le 9 mars 2020 : arrêté interdisant les rassemblements de plus de 1 000 personnes. Le 13 mars 2020 : arrêté interdisant les rassemblements de plus de 100 personnes. Le 15 mars 2020 : arrêté interdisant l’accueil du public des établissements non nécessaires à la vie de la nation. Et enfin, le 16 mars 2020 : décret n° 2020 2020-260 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19. C’est le confinement.

– L’irrésistibilité

Elle suppose une impossibilité absolue d’exécuter le contrat. Si l’exécution de l’obligation demeure possible, même à des conditions ruineuses, il n’y aura pas de force majeure. Il vous faut constituer un dossier solide démontrant à partir d’un faisceau d’indices que vous avez tout mis en œuvre pour trouver des solutions alternatives pour exécuter vos obligations.

Pour ce dernier point, quelques exemples : j’ai donné en location une salle pour un séminaire. Puis-je invoquer la force majeure pour échapper à mon obligation de délivrance ? Il sera tenu compte des mesures prises par les autorités publiques en matière de liberté d’entreprendre, de circulation ou de réunion. Vous pouvez être face à une impossibilité juridique. Mais attention, il faudra une nouvelle fois faire attention aux dates. Par exemple, si la location porte sur une salle de 20 personnes prévue le 14 mars 2020 alors qu’à cette date seuls les rassemblements de plus de 100 personnes étaient interdits, il sera difficile d’invoquer la force majeure.

Quels vont être les effets de la force majeure ?

Si le Covid-19 remplit pour vous les conditions de la force majeure, plusieurs effets sont possibles

– La suspension du contrat

L’épidémie aura une fin. Il se peut donc que l’empêchement vous poussant à ne pas vous exécuter ne soit que temporaire. Dans ce cas, le contrat est simplement suspendu sans qu’il ne puisse vous être reproché de ne pas avoir exécuté et sans que des pénalités ne puissent vous être appliquées. Exemple : j’ai souscrit un abonnement dans une salle de sport. Dois-je continuer à payer mon abonnement alors que je ne peux plus m’y rendre ? Non, l’abonnement avec votre salle de sport est en principe suspendu. Toutefois, il faut vérifier que les conditions générales de cette dernière ne stipulent pas une clause spécifique qui prévoirait, par exemple, l’hypothèse d’une fermeture temporaire de la salle de sport sur décision de l’autorité publique.

– La résolution du contrat

Si votre empêchement est définitif, alors votre contrat est résolu de plein droit, sans que l’intervention d’un juge soit nécessaire. C’est également le cas si l’empêchement est temporaire mais qu’il rend inutile la prestation. Il en ira ainsi, par exemple, d’une prestation devant être accomplie à date fixe – et empêchée par le cas de force majeure, ou bien de la livraison de produits périssables. Dans le cas d’une résolution, les parties doivent être remises dans l’état qui était le leur avant la conclusion du contrat. Cela signifie notamment que les acomptes ou arrhes que vous auriez reçus doivent être restitués. Il convient également de noter qu’aucune rupture de relations commerciales établies ne saurait vous être reprochée en cas de force majeure.

Exemples :

J’ai commandé des tissus pour la production de ma collection printemps-été, mais mon fournisseur a été contraint de suspendre ses livraisons. Puis-je demander la résiliation du contrat dans la mesure où je ne serai pas livrée en temps et en heure ? Oui, si à la date à laquelle il pourra reprendre ses livraisons les tissus seront devenus inutiles.
Je suis restaurateur. Mes fournisseurs continuent de me livrer alors que je suis contraint de fermer mon restaurant. Puis-je invoquer la force majeure pour ne plus les payer ? Non, car la force majeure ne peut être utilisée que s’il vous incombe d’accomplir une prestation, si vous en étiez le débiteur, et que vous en êtes empêché. Vous ne sauriez donc vous en prévaloir si vous devez uniquement payer le prix d’une prestation, alors que votre débiteur peut l’accomplir.
Mon traiteur m’a livré ses produits pour mon mariage qui a eu lieu le 14 mars alors que j’ai dû annuler la réception. Dois-je quand même le payer ? En principe, oui, car il ne vous est pas possible d’invoquer la force majeure dans la mesure où ce n’est pas à vous qu’il incombait d’accomplir une prestation. Les restrictions de déplacement n’étant pas en vigueur au 14 mars, votre traiteur a pu vous livrer, peu importe que vous ayez dû annuler votre mariage, car les cérémonies de plus de 100 personnes étaient alors interdites.

Et concrètement ? Il convient de ne pas oublier que les contrats sont gouvernés, de bout en bout, par les principes de loyauté et de bonne foi. Ainsi, si vous pensez être empêché d’exécuter vos obligations en raison d’un cas de force majeure, vous devez en informer votre cocontractant afin de lui indiquer l’événement qui vous empêche d’exécuter et lui expliquer concrètement en quoi il vous est impossible d’exécuter votre obligation.

Quelles sont vos alternatives si vous ne remplissez pas les conditions de la force majeure ?

Deux solutions juridiques pourraient permettre de se soustraire à ses obligations, ou du moins d’en assouplir la force obligatoire. Il s’agit de la caducité et de l’imprévision.

– La caducité

Prévue par l’article 1186 du Code civil, elle pourrait permettre de se sortir d’affaire dans l’hypothèse précédemment évoquée d’un mariage. Il s’agit en effet d’affirmer qu’un élément essentiel et déterminant à la conclusion de votre contrat a disparu en cours de route. En l’espèce, vous pourriez affirmer que vous n’avez contracté avec votre traiteur que parce que vous alliez vous marier. Étant désormais dans l’impossibilité de vous marier, le contrat ne saurait survivre. Et concrètement ? Concrètement, il serait préférable de négocier avec votre traiteur pour lui expliquer votre situation et évoquer l’hypothèse d’une résolution amiable. En effet, la caducité ne pourra être constatée que par un juge et, dans les conditions actuelles, il vous faudra attendre de longs mois avant d’obtenir d’un magistrat qu’il déclare votre contrat caduc.

– L’imprévision

Avant toute chose, il vous faut à nouveau vérifier dans votre contrat que l’hypothèse de l’imprévision n’est pas écartée par une clause, devenue de style depuis quelques années. Par ailleurs, avant de vous en prévaloir, il conviendra de vérifier que votre contrat a bien été conclu postérieurement au 1er octobre 2016, car avant cette date l’imprévision n’existait pas, légalement du moins. Aux termes de l’article 1195 du Code civil, l’imprévision vise un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat [et qui en] rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». Autrement dit, les conditions de l’imprévision sont plus souples que celles de la force majeure : il vous suffira d’établir que l’exécution est devenue excessivement onéreuse et non plus radicalement impossible. L’imprévision va alors vous permettre de demander à votre cocontractant une renégociation des conditions de votre contrat.

Contrairement à la force majeure, il est impératif que vous continuiez à exécuter le contrat tant qu’un accord ou une décision du juge n’est pas intervenu. À défaut, votre responsabilité pourra être recherchée, ce qui signifie que vous pourrez être condamné au paiement de dommages et intérêts. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, vous pourrez convenir avec votre contractant de la résolution du contrat, à la date et aux conditions que vous déterminerez. Vous pourrez également demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge pourra, à votre demande ou celle de votre contractant réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixera.

En conclusion, face au Covid-19, les cocontractants doivent eux aussi adopter des réflexes : analyser le contrat et leur situation propre avant d’invoquer la force majeure, et privilégier le dialogue, tout en respectant les distances bien sûr !

*Me Céline Astolfe, du cabinet Lombard Baratelli & associés

 

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