Brèves juridiques

L’affirmation selon laquelle la publication de propos diffamatoires n’est pas le fait de leur auteur mais de tiers doit être démontrée avec précision

By 13 décembre 2023 No Comments

Il n’y a pas qu’en politique que le contentieux de la diffamation prospère. La vie syndicale charrie également son lot de conflits et de propos qui testent les limites de la liberté d’expression.

Tel a été le cas dans une affaire où les parties civiles avaient fait citer un membre du bureau du syndicat national des pilotes de lignes « devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers particuliers pour avoir publié sur le site internet » dudit syndicat les propos suivants :

« J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W] au moment de la nomination de [G] [W] au poste de Déléguée Générale du SNPL et de son augmentation de salaire. J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W], lorsque celle-ci a rédigé une analyse juridique sur les SOF. Analyse sur laquelle repose (sic..) toutes les accusations diffamatoires sur le Bureau de HOP ! dans l’affaire des SOF.

J’accuse [K] [S] d’avoir dissimulé une relation personnelle avec [G] [W], lorsque celui-ci lui a signé un chèque de plus de 75 000 € en guise de rupture conventionnelle, faisant fi des statuts du SNPL ».

Le tribunal correctionnel, après avoir « requalifié les faits en contravention de diffamation non publique envers particuliers », a « déclaré coupables M. [H] [directeur de la publication du site internet du syndicat] de cette infraction et M. [C] de complicité de celle-ci. » ; lesquels ont interjeté appel.

Le prévenu condamné pour complicité de diffamation non publique envers particulier a formé un pourvoi en cassation que la Chambre criminelle a rejeté par un arrêt du 21 novembre 2023[1] qui retient notre attention sur deux points :

  • en premier lieu, la question de l’imputabilité de la mise en ligne des propos incriminés:

La Haute de juridiction fait sienne la motivation des juges d’appel qui leur a permis de conclure que le demandeur au pourvoi a volontairement mis en ligne lesdits propos et non pas des tiers, membres de sa section syndicale, comme il le soutenait.

En effet, alors que le prévenu :

  • ne contestait pas être l’auteur des propos litigieux ;
  • celui-ci a reconnu qu’il savait que ceux-ci allaient être publiés sur le site internet du syndicat depuis son compte personnel ;

la Chambre criminelle retient que les juges d’appel ont pu à bon droit considérer que le prévenu avait autorisé « implicitement les auteurs supposés à y procéder » et qu’aucun élément précis ne venait soutenir que des tiers auraient pu procéder à la publication des messages :

« 8. Ils précisent que les explications de M. [C] selon lesquelles les publications seraient le fait de tiers peinent à convaincre dès lors qu’elles sont, à cet égard, marquées par leur imprécision, puisqu’il s’est contenté de parler de « deux ou trois personnes » à qui il aurait donné son code, sans en dire davantage, et par leur confusion, en ce qu’il affirme que le texte avait vocation à être remis aux membres du bureau national alors même qu’il a écrit, à la fin du message : « Il doit savoir que je dispose des preuves de ces accusations graves et que je les évoquerai lors du prochain BN », ce qui est incohérent.

    1. Ils ajoutent que, alors que les propos ont été publiés depuis son compte personnel, ce qui suppose l’utilisation de son identifiant et de son mot de passe personnel, et en son nom, M. [C] ne produit aucun élément venant corroborer ou même simplement donner un semblant de crédibilité à ses affirmations selon lesquelles les publications seraient le fait de tiers.
    2. Ils en concluent qu’il est établi que M. [C] a volontairement mis en ligne les messages contenant les propos diffamatoires, qui lui sont dès lors imputables.
    3. En prononçant ainsi, par des motifs pertinents, exempts d’insuffisance, et, dès lors que, lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication est mis en cause, l’auteur peut être poursuivi comme complice, la cour d’appel a justifié sa décision.»
  • en second lieu, le refus du bénéfice de l’excuse de bonne foi pour insuffisance de base factuelle et manque de prudence dans les propos :

Il ne suffit pas que des propos attentatoires à l’honneur ou à la considération soient relatifs à un débat d’intérêt général pour que leur auteur puisse bénéficier de l’excuse de bonne foi.

On sait qu’il faut, en outre et notamment, que lesdits propos reposent sur une base factuelle suffisante et que leur auteur ait fait preuve de prudence.

L’arrêt de la Chambre criminelle illustre le fait que ce sont les allégations qui contribuent à donner aux propos leur caractère diffamatoire qui doivent absolument reposer sur une base factuelle suffisante. En l’espèce, si certaines pièces produites par le prévenu permettaient de vérifier une partie des propos tenus, rien ne démontrait la « liaison supposée » entre les parties civiles sur laquelle étaient fondées l’ensemble des imputations diffamatoires :

« 14. Pour écarter l’exception de bonne foi, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé que les propos poursuivis portent atteinte à l’honneur ou à la considération des parties civiles, retient que les propos litigieux sont relatifs à un sujet d’intérêt général, celui du fonctionnement interne et des modalités d’usage des crédits d’heures de délégation (dites « SOF ») au sein de l’un des principaux syndicats de pilotes de lignes en France et énonce que l’ensemble des imputations diffamatoires portent sur des faits trouvant leur origine dans la liaison supposée entre M. [S] et Mme [W].

  1. Les juges précisent que le rapport d’un enquêteur privé produit par M. [C] n’est pas de nature à établir l’existence d’une vie commune entre les parties civiles sur la période concernée, allant de 2015 à 2017, parce que d’une part, les constatations faites par l’enquêteur sont insuffisantes à établir cette communauté de vie, d’autre part, la matérialité de ses constatations est contestée, à juste titre, par les parties civiles qui produisent une attestation de Mme [A] [D] affirmant être la locataire de la maison surveillée depuis le 30 octobre 2018, la propriétaire du véhicule cité et la femme identifiée par l’huissier comme étant Mme [W].
  2. Ils ajoutent que, si les documents produits par M. [C] viennent confirmer que Mme [W] était bien l’auteur de l’analyse juridique à l’origine de décisions du conseil de discipline relatives aux « SOF » et a bien bénéficié d’une augmentation de salaire, puis, au moment de son départ en 2017, d’une indemnité, aucun de ces documents n’est de nature à constituer une base factuelle suffisante qui aurait permis à M. [C] au moment des publications de tenir les propos litigieux. »

Au surplus, la Cour de cassation ne pouvait que confirmer l’arrêt d’appel et refuser le bénéfice de la bonne fois dès lors que l’auteur des propos n’avait fait preuve d’aucune prudence en les formulant :

« 17. Ils relèvent également le manque de prudence dans les propos, notamment par la formule « J’accuse », employée et répétée à chaque phrase. »

Ce faisant la Chambre criminelle confirme qu’il n’est pas toujours nécessaire de vérifier l’ensemble des critères de l’excuse de bonne foi – ici l’absence d’animosité personnelle – pour en refuser son bénéfice, dès lors que l’examen de certains d’entre eux suffit à établir la conviction des juges.

 

[1] Cass. Crim., 21 novembre 2023, n° 22-87.535.