Dans son arrêt du 19 décembre 2023[1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur le pourvoi formé contre un arrêt du 17 février 2023, par lequel la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a rejeté la requête en nullité de pièces de la procédure, déposée par un mis en examen. La Chambre de l’instruction a également rejeté une demande de nullité de certains actes, formée par mémoire, à la suite et en raison de la diffusion à la télévision, d’un « reportage, dans lequel plusieurs scènes tirées de l’interpellation de MM. [W] et [K] [S] [V] étaient visibles. ».
Intéressant, déjà, quant à la question « de savoir si, en présence d’une irrégularité tenant au défaut de signature du procès-verbal de perquisition, l’absence de contestation, par la personne qui se prévaut d’un droit sur le local perquisitionné, de la présence et de l’intégrité des objets saisis fait obstacle à ce qu’une autre personne mise en examen établisse l’existence d’un grief pris de cette irrégularité. »[2], l’arrêt de la Chambre criminelle l’est aussi, peut-être encore davantage, s’agissant de la mise en balance entre le respect du secret de l’enquête et de l’instruction, d’une part, celui de la liberté d’expression et du droit à l’information, d’autre part.
Plus précisément, le demandeur au pourvoi avait sollicité la nullité de son interpellation et de la fouille réalisées en présence d’un tiers ; en l’espèce un journaliste ayant procédé à la captation de ces actes d’enquête.
Rendu au visa de l’article 11 du code de procédure pénale – lequel soumet au secret de l’enquête « les agents ou fonctionnaires auxquels la loi attribue des pouvoirs de police judiciaire »[3], l’arrêt ici commenté peut légitimement faire naître quelques inquiétudes chez les journalistes dont le travail pourrait être très sérieusement compliqué.
En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que la présence d’un tiers, quand bien même aurait-elle été régulièrement autorisée, constitue, en elle-même, une violation du secret de l’enquête :
« La présence d’un tiers ayant obtenu d’une autorité publique l’autorisation de capter, par le son ou l’image, fût-ce dans le but d’informer le public, le déroulement des actes d’enquête auxquels procèdent ces agents ou fonctionnaires, constitue une violation de ce secret. »
Plus encore, la Haute juridiction judiciaire pose le principe suivant : « Une telle violation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. »[4].
Le principe retenu par la Cour de cassation est général ; peu importe, en l’espèce, que le mis en examen ait été indentifiable ou non sur les images captées et diffusées à la télévision : la seule présence d’un tiers – ici d’un journaliste – « fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée »[5].
C’est donc un arbitrage en faveur du droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence auquel la Chambre criminelle vient de procéder, et ce au détriment de la liberté d’expression et du droit à l’information :
« Le secret de l’enquête a pour objet de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence des personnes concernées dans la procédure en cause (Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC). Dès lors, la cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l’exception de nullité tirée de la violation du secret de l’enquête, en ce qu’elle se réfère à l’acte qui concerne M. [W], à savoir son interpellation (cote D 11). Les autres dispositions seront donc maintenues. »
A la lecture de cet arrêt, on peut se demander si l’on pourra encore à l’avenir regarder des reportages portant sur des enquêtes menées par des services de police ou de gendarmerie. Comment, en effet, imaginer qu’une autorisation de captation d’images ou de sons puisse être donnée alors qu’une telle mesure expose la procédure à un risque de nullité de certains actes ?
Il conviendra de suivre les suites et précisions données par les juridictions à cet arrêt dont la lecture laisse penser que les journalistes ne pourraient plus, dans le respect du secret défini à l’article 11 précité du code de procédure pénale, que « rendre compte d’une procédure pénale et [de] relater les différentes étapes d’une enquête et d’une instruction »[6].
La position de la Chambre criminelle permet-elle toujours de considérer, ainsi que l’avait jugé le Conseil constitutionnel, que les dispositions dudit article 11 ne portent qu’une atteinte limitée à la liberté d’expression et de communication ?
Nul doute que la presse se posera cette question.
[1] Cass. Crim., 19 décembre 2023, n° 23-81.286.
[2] §§ 8 à 21 de l’arrêt.
[3] § 23 de l’arrêt.
[4] Ibid.
[5] § 25 de l’arrêt.
[6] Cons. const., décision du 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC, considérant n° 9.