Brèves juridiques

Déréférencement d’interface en ligne d’adresses électroniques dont les contenus présentent un caractère manifestement illicite : le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution le pouvoir d’injonction de l’administration

By 16 novembre 2022 No Comments

Considérant qu’une société exploitant une place de marché numérique (« marketplace ») et son application associée trompaient les consommateurs sur la nature des produits vendus, sur les risques inhérents à leur utilisation et les contrôles effectués, le service national des enquêtes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a demandé à ladite société, sur le fondement de l’article L.441-1 du code de la consommation, de cesser ces pratiques.

Estimant que la société concernée n’avait pas déféré à son injonction, l’administration a enjoint, en application de l’article L.521-3-1 du code de la consommation, à Google, Qwant, Microsoft et Apple, de procéder au déréférencement de l’adresse du site internet en cause de leurs moteurs de recherche et de leurs magasins d’applications.

La société exploitante ayant vu rejetée par le juge administratif des référés sa demande de suspension de la décision de déréférencement, celle-ci s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat contre l’ordonnance par laquelle il était également refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité des dispositions du a) du 2° de l’article L.521-3-1 du code de la consommation.

Par un arrêt du 22 juillet 2022 (CE, 22 juillet 2022, n° 459960), la Haute juridiction administrative a renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel, lequel a rendu sa décision le 21 octobre 2022 (Cons. Const., 21 octobre 2022, n° 2022-1016 QPC) sur les dispositions suivantes :

« Le a du 2° de l’article L. 521-3-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit que, lorsque sont constatées certaines infractions aux dispositions du même code, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut : « Notifier aux personnes relevant du I de l’article L. 111-7 du présent code les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont manifestement illicites pour qu’elles prennent toute mesure utile destinée à faire cesser leur référencement. »

Au soutien de la QPC, la société requérante soutenait :

◼ d’abord, qu’à défaut de l’intervention d’un juge et d’une limitation dans le temps et aux seuls contenus manifestement illicites, les dispositions permettant à l’administration d’ordonner le déréférencement méconnaîtraient la liberté d’expression et de communication (article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) ainsi que la liberté d’entreprendre (article 4 de la DDHC)

◼ ensuite, les dispositions déférées violeraient le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le « droit à une bonne administration», « dès lors qu’elles ne prévoient pas que la décision ordonnant le déréférencement doit être motivée et précédée d’une procédure contradictoire. ».

S’agissant du grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’expression et de la communication, le Conseil constitutionnel précise que, compte tenu de l’état actuel des moyens de communication et de l’importance prise par les services de communication au public en ligne, « ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer ».

Toutefois, comme pour tout droit et liberté, le législateur peut, sur le fondement de l’article 34 de la Constitution, encadrer leur exercice et, ainsi, « instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ».

Si les dispositions de l’article L.521-3-1 du code de la consommation portent effectivement à la liberté d’expression et de communication, il demeure qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, à savoir « renforcer la protection des consommateurs et assurer la loyauté des transactions commerciales en ligne ».

Au surplus, pour juger que l’injonction de déréférencement constitue une atteinte nécessaire, adaptée et proportionnée à cet objectif, les sages de la rue de Montpensier précisent que :

« 9. En deuxième lieu, d’une part, la mesure de déréférencement ne s’applique qu’à des sites internet ou à des applications, exploités à des fins commerciales par un professionnel ou pour son compte, et permettant aux consommateurs d’accéder aux biens ou services qu’ils proposent, lorsqu’ont été constatées à partir de ces interfaces des pratiques caractérisant certaines infractions punies d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement et de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs. D’autre part, seules peuvent faire l’objet d’un déréférencement les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus présentent un caractère manifestement illicite.

« 10. En troisième lieu, les dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que si l’auteur de la pratique frauduleuse constatée sur cette interface n’a pu être identifié ou s’il n’a pas déféré à une injonction de mise en conformité prise après une procédure contradictoire et qui peut être contestée devant le juge compétent.

« 11. En quatrième lieu, le délai fixé par l’autorité administrative pour procéder au déréférencement ne peut être inférieur à quarante-huit heures. Ce délai permet aux personnes intéressées de contester utilement cette décision par la voie d’un recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative

« 12. En dernier lieu, les dispositions contestées permettent, sous le contrôle du juge qui s’assure de sa proportionnalité, que la mesure de déréférencement s’applique à tout ou partie de l’interface en ligne.»

L’article L.521-3-1 du code de la consommation ne méconnaît donc ni la liberté d’expression et de communication, ni le droit à un recours juridictionnel effectif ; lequel existe devant le juge administratif des référés (référé-suspension ou référé-liberté) qui dispose des moyens pour agir en urgence et pour contrôler la proportionnalité de l’injonction.

En ce qui concerne la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel juge qu’elle n’est pas méconnue dès lors que l’injonction de l’administration ne porte que sur le déférencement de l’adresse des sites concernés et, partant, qu’elle ne les prive pas d’exercer leur activité commerciale.