Brèves juridiques

Compensation des manquements au procès équitable : la CEDH réaffirme sa jurisprudence protectrice

By 14 octobre 2022 No Comments

Garante du respect du droit à un procès équitable, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle régulièrement que, sans s’ériger « en juge de quatrième instance », il lui appartient de procéder à « un examen de l’équité globale de la procédure » pénale.

 

A l’occasion d’un arrêt rendu le 20 septembre 2022 (CEDH, 20 septembre 2022, Mehari et Delahaye c. France, n° 38288/15), la Cour de Strasbourg a réaffirmé la nature et l’étendue du contrôle qu’elle opère sur l’ensemble d’une procédure pénale au regard des exigences du droit à un procès-équitable.

 

En l’espèce, il s’agissait de déterminer si le fait d’avoir recueilli les aveux du requérant lors d’une audition libre, alors que celui-ci ne s’était pas vu notifier son droit de garder le silence et qu’il n’était pas assisté de son avocat, « a ou non affecté l’équité de la procédure dans son ensemble ».

 

S’il est vrai que l’affaire n’a pas un intérêt majeur pour l’avenir du procédé de l’audition libre dont le régime juridique[1] s’est grandement rapproché de celui, très protecteur, de la garde à vue, la décision de la Cour demeure intéressante dans la mesure où il y est réaffirmé que :

 

« La Cour doit (…) rechercher si les restrictions litigieuses aux droits garantis ont été compensées de telle manière que la procédure peut être considérée comme ayant été équitable dans son ensemble[2]. Pour ce faire, elle doit vérifier si les juridictions internes ont procédé à l’analyse nécessaire de l’incidence de l’absence d’avocat et du défaut de notification du droit de garder le silence à un moment crucial de la procédure. »

 

Dit autrement, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’il y a violation de l’article 6 de la CEDH si les manquements ayant affecté la procédure pénale, dans son entier déroulement, n’ont pas été rectifiés ou compensés.

 

A cet égard, on relèvera que les juges de Strasbourg notent que si le requérant « a bénéficié, dans le cadre de sa garde à vue postérieure à l’audition libre litigieuse, d’un certain nombre de garanties », la conjonction de différents facteurs « et non chacun d’eux pris isolément » a « rendu la procédure inéquitable dans son ensemble ».

 

Il revient donc aux juridictions nationales d’assurer cette rectification ou cette compensation afin que la procédure ne soit pas considérée comme inéquitable.

 

On remarquera, par ailleurs, et avec grand intérêt, que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ne dit pas autre chose. S’inspirant de la jurisprudence de la CEDH relative au droit au procès équitable, la CJUE a très récemment dit pour droit (CJUE, 15 septembre 2022, n° C 347/21), dans une décision rendue sur renvoi préjudiciel, que :

 

« si l’interrogatoire d’un témoin à charge lors d’une audience tenue en l’absence de la personne poursuivie pour des raisons indépendantes de sa volonté constitue une violation du droit de cette personne d’assister à son procès, consacré à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, cette disposition ne s’oppose pas à ce qu’il soit remédié à cette violation à un stade ultérieur de la même procédure. »

Il convient donc de retenir qu’il y a inéquité globale d’une procédure pénale dès lors qu’une violation du droit au procès équitable n’a pu être compensée à un stade ultérieur de ladite procédure.

[1] L’article 61-1 du code de procédure pénale dispose aujourd’hui que :

« Sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :

 

1° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

2° Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;

3° Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;

4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;

5° Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;

6° De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.

 

La notification des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal.

Si le déroulement de l’enquête le permet, lorsqu’une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles et à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition.


Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire.
 »

[2] CEDH, 9 novembre 2018, Beuze c. Belgique, n° 71409/10.