Brèves juridiques

La communication d’un code de téléphone portable au cours d’une garde à vue. Quelle sanction pénale en cas de refus ?

By 11 mars 2022 No Comments

Code d’un téléphone portable et garde à vue : déchiffrement de la solution rendue par la Cour de cassation

Une personne en garde à vue s’expose-t-elle à une sanction pénale si elle refuse de communiquer, au cours de son audition, le code de son téléphone portable ?

A cette question, a priori simple, la Cour de cassation a apporté une réponse quelque peu cryptique ou, à tout le moins, qui mérite d’être décodée.

  1. Le « Oui, mais » de la Chambre criminelle de la Cour de cassation

Aux termes de l’article 434-15-2 du code pénal :

« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 270 000 € d’amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.

Si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d’éviter la commission d’un crime ou d’un délit ou d’en limiter les effets, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 450 000 € d’amende. »

Pour déterminer si le refus de communiquer son code de téléphone portable à un officier de police judiciaire (OPJ) était susceptible de constituer une entrave à l’exercice de la justice et, partant, était passible des sanctions prévues par l’article 434-15-2 du code pénal, la Cour de cassation a procédé, dans un arrêt du 13 octobre 2020 (Cass. Crim., 13 octobre 2020, n° 20-80.150), au contrôle des deux conditions posées par ce texte :

  • En premier lieu, la Chambre criminelle précise qu’une « simple demande formulée au cours d’une audition, sans avertissement que le refus d’y déférer est susceptible de constituer une infraction pénale, ne constitue pas une réquisition au sens de» l’article 434-15-2 précité dont les dispositions ont été jugées conformes à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel du 30 mars 2018 (n° 2018-696 QPC).

En d’autres termes, si une telle réquisition peut être délivrée par un officier de police judiciaire « agissant en vertu des articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 du code de procédure pénale », il ne suffit pas que ledit officier sollicite la communication du code du téléphone pour que cette demande constitue la réquisition exigée par les textes.

  • En second lieu, alors que la Cour d’appel de Paris avait jugé dans l’arrêt objet du pourvoi qu’ « un code de déverrouillage d’un téléphone portable d’usage courant, qui ouvre l’accès aux données qui y sont contenues, ne constitue pas une convention secrète d’un moyen de cryptologie, en ce qu’il ne permet pas de déchiffrer des données ou messages cryptés», la Chambre criminelle a prononcé la cassation en tant que la Cour d’appel s’est référée « à la notion inopérante de téléphone d’usage courant ».

Le raisonnement de la Cour de cassation mérite d’être exposé dans son ensemble pour comprendre quelles sont les caractéristiques d’une convention secrète de cryptologie, laquelle peut prendre la forme d’un code de déverrouillage d’un téléphone portable lorsque « ledit téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie » :

« Vu les articles 434-15-2 du code pénal, 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, L.871-1 et R. 871-3 du code de la sécurité intérieure :

 12. Selon le premier de ces textes, toute personne ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, est tenue de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.

 13. Il résulte de la combinaison des autres textes que la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie contribue à la mise au clair des données qui ont été préalablement transformées, par tout matériel ou logiciel, dans le but de garantir la sécurité de leur stockage, et d’assurer ainsi notamment leur confidentialité. Le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une telle convention lorsque ledit téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie.

 14. L’existence d’un tel moyen peut se déduire des caractéristiques de l’appareil ou des logiciels qui l’équipent ainsi que par les résultats d’exploitation des téléphones au moyen d’outils techniques, utilisés notamment par les personnes qualifiées requises ou experts désignés à cette fin, portés, le cas échéant, à la connaissance de la personne concernée.»

Aussi, l’on comprend qu’un code de déverrouillage de téléphone portable ne s’analyse pas systématiquement en une « convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie » au sens de l’article 434-15-2 du code pénal.

Toutefois, dans la mesure où la Cour de cassation précise que « L’existence d’un tel moyen peut se déduire des caractéristiques de l’appareil ou des logiciels qui l’équipent », il est raisonnable de penser que la très grande majorité des « smartphones » présente les caractéristiques exposées par la Haute juridiction (application de messagerie sécurisée…) et que le refus de déférer à une réquisition d’un officier de police judiciaire, lors d’une audition, est susceptible de caractériser une infraction pénale.

 

  1. La seule communication du code d’un téléphone portable ne relevant pas du régime de l’audition, la présence de l’avocat n’est pas obligatoire alors que l’exploitation dudit téléphone est assimilable à une perquisition

Plus récemment encore (Cass. Crim., 12 janvier 2021, n° 20-84.045), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’une personne mise en garde à vue dans le cadre d’une information judiciaire, et ayant sollicité l’assistance d’un avocat, n’est pas nécessairement protégée par le régime juridique de l’audition, lorsqu’elle communique à l’officier de police judiciaire en ayant formulé la demande, le code d’accès à son téléphone et que les données qui y sont contenues sont exploitées par l’OPJ.

On sait que l’assistance du gardé à vue par un avocat est un droit consacré à l’article 6§3 c) de la Convention européenne des droits de l’homme sur lequel la Cour de Strasbourg a eu maintes fois à se prononcer (CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie (requête n° 36391/02).

Alors qu’avait été demandé à la Chambre de l’instruction, au motif de l’absence de l’avocat, de prononcer la nullité du procès-verbal d’exploitation du téléphone, la Chambre criminelle considère que c’est à bon droit qu’elle a écarté le moyen de nullité en énonçant que :

«  le procès-verbal d’exploitation du téléphone de l’intéressée n’a pas le caractère d’une audition dès lors que celle-ci n’a fait aucune déclaration et qu’aucune question sur les faits pour lesquels elle est placée en garde à vue ne lui a été posée. »

La Chambre criminelle a donc jugé que le régime juridique de la garde à vue, tel qu’il est défini aux articles 63-3-1 et 63-4 du code de procédure pénale – lesquels permettent au gardé à vue de demander à être assisté par un avocat – , n’est pas applicable lorsque la personne en garde à vue n’est pas « entendue ».

Plus précisément, la Cour considère :

  • D’abord, qu’« aucune disposition légale ne prévoit la présence de l’avocat lors de l’exploitation d’un téléphone portable, assimilable à une perquisition.» ;
  • Ensuite, que « la communication à un officier de police judiciaire, sur sa sollicitation, d’une information permettant l’accès à un espace privé préalablement identifié, qu’il soit ou non dématérialisé, pour les besoins d’une perquisition, ne constitue pas une audition au sens de l’article 63-4-2 du code de procédure pénale.».

Le maintien de la solution retenue par la Cour de cassation aurait pu être discuté si un nouvel article 57-2 avait été intégré au code de procédure pénale par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ; article qui prévoyait dans le projet de loi que :

« Même s’il n’est pas procédé à l’audition de la personne, l’officier de police judiciaire ou le magistrat qui procède à une perquisition ne peut s’opposer à la présence de l’avocat désigné par la personne chez qui il est perquisitionné si ce dernier se présente sur les lieux des opérations, y compris lorsque la perquisition a déjà débuté. »

Tel n’a pas été le choix du législateur.

  • Enfin, il convient de préciser que la Cour de cassation a estimé que l’arrêt de la Chambre de l’instruction n’encourait pas la cassation pour avoir jugé « qu’il n’est pas rapporté la preuve d’une atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, dès lors que ce droit ne s’étend pas à l’usage de données que l’on peut obtenir de la personne en recourant à des pouvoirs coercitifs, mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect».

S’il peut être discuté, selon la conception que chacun peut avoir des droits de la défense ou plus largement des droits et libertés fondamentales, le raisonnement de la Chambre criminelle n’étonne pas dans la mesure où la Chambre de l’instruction n’a fait qu’appliquer la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui, dans un arrêt Saunders c/ Royaume Uni (CEDH, 17 décembre 1996, n° 19187/91), tout en rappelant que le droit de ne pas s’incriminer soi-même est « au cœur de la notion de procès-équitable » consacré par l’article 6 de la Convention, a jugé que ledit :

« droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la détermination d’un accusé de garder le silence. Tel qu’il s’entend communément dans les systèmes juridiques des Parties contractantes à la Convention et ailleurs, il ne s’étend pas à l’usage, dans une procédure pénale, de données que l’on peut obtenir de l’accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect, par exemple les documents recueillis en vertu d’un mandat (…) ».

On précisera également que la Chambre criminelle avait déjà jugé (Cass. Crim., 10 décembre 2019, 18-86.878) que :

« Attendu que pour écarter le moyen pris de l’inconventionnalité de l’article 434-15-2 du code pénal, l’arrêt énonce que l’atteinte au droit de se taire et au droit de ne pas s’auto-incriminer est constituée dès lors que les données ne peuvent exister indépendamment de la volonté du suspect, ce qui n’est pas le cas des données contenues dans les téléphones, qui peuvent être obtenues par des moyens techniques ;

Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que le droit de ne pas s’incriminer soi-même ne s’étend pas aux données que l’on peut obtenir de la personne concernée en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté de l’intéressé, la cour d’appel n’a méconnu aucune des dispositions légales et conventionnelles visées au moyen ; »

 

Pour consulter les décisions :