Brèves juridiques

Insertion forcée et durée d’un droit de réponse audiovisuel : le juge des référés demeure celui de l’évidence

By 15 mai 2024 No Comments

Par une ordonnance de référé du 26 avril 2024[1], le Tribunal judiciaire de Paris, dans une décision aux vertus pédagogiques, est venu rappeler les conditions de l’exercice d’un droit de réponse dans l’audiovisuel.

Le 12 septembre 2023, la chaine BFM TV diffusait un reportage intitulé « Dérive sectaire : une église évangélique visée par une enquête ».

A la suite de ce reportage, un représentant de l’association objet du reportage adressait une demande de publication de réponse à BFM TV.

La chaine ne donnait pas suite à cette demande, refusant ainsi l’insertion de demande de publication sollicitée.

L’association saisissait le juge des référés par voie d’assignation en insertion forcée.

Une décision pédagogique, rappelant les conditions de fond et de forme du droit de réponse audiovisuel

L’ordonnance de référé du 26 avril 2024 prend le soin de reprendre chaque critère de la publication du droit de réponse audiovisuel.

Ce droit, en matière audiovisuelle, contrairement au droit de réponse dans la presse prévu à l’article 13 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, doit nécessairement avoir pour objet d’apporter une réponse à une imputation susceptible de porter atteinte à l’honneur ou la réputation.

En effet, ainsi que le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris le rappelle dans l’ordonnance ici commentée :

  • d’abord, « L’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit, dans son I : I. Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle.

Le demandeur doit préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la réponse qu’il se propose d’y faire. »

  • ensuite, « la réponse doit être diffusée dans des conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé le message contenant l’imputation invoquée.» et « elle doit également être diffusée de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle du message précité. »

Le refus de publication du droit de réponse, ouvre un droit à saisir le Président du Tribunal judiciaire statuant en référé.

L’ordonnance précise ensuite que le droit de réponse audiovisuel est « un droit personnel, qui n’appartient qu’à la personne visée par des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur et à sa réputation ».

La décision rappelle, enfin, les limites qui portent sur le contenu du droit de réponse :

« il est destiné à assurer la protection de la personnalité, mais, alors qu’il constitue une limite à la liberté d’expression puisqu’il conduit un média à une publication contre sa volonté, il doit, en application de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, être strictement limité à ce qui est nécessaire à la défense de cette personnalité. »

« Ainsi, si celui qui en use est seul juge de la teneur, de l’étendue, de l’utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l’insertion, le refus d’insérer se justifie si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l’intérêt légitime des tiers ou à l’honneur du journaliste ou si elle porte sur un objet différent de celui qui a été traité dans l’article étant rappelé que la réponse est indivisible et que le directeur de la publication ne peut en retrancher le moindre élément. »

L’appréciation de la durée de la réponse par le juge des référés, juge de l’évidence

En matière de droit de réponse audiovisuel, la taille de la réponse est déterminée par deux critères dont le Tribunal rappelle qu’ils « doivent être considérés comme cumulatifs ».

L’ordonnance rappelle ainsi « que l’article 6 du décret 87-246[2] susmentionné prévoit que :

« Le texte de la réponse ne peut être supérieur à trente lignes dactylographiées. La durée totale du message ne peut excéder deux minutes. »

En l’espèce, le droit de réponse soumis par l’association répondait à l’exigence de ne pas excéder 30 lignes dactylographiées : « Il n’est pas contesté que la taille de la réponse sollicitée est inférieure au nombre de lignes requis. »

Toutefois, le défendeur avait soulevé la durée excessive du droit de réponse, invitant le juge des référés à se pencher sur l’appréciation de la durée du message.

Deux techniques différentes étaient proposées par le défendeur et la demanderesse.

La demanderesse, fondait son appréciation sur un article de la revue communication du langage qui appréciait la vitesse de lecture des mots parvenant à un résultat proche des 2 minutes :

« La demanderesse, en pièce n°16, produit un article de “Communication et langage” de 1999, qui explicite que les différents types de discours supportent une vitesse très variable, allant de 100 à plus de 200 mots par minute, cette dernière norme étant celle à laquelle tendent à se rapprocher les émissions radiophoniques et télévisées. Les pièces n° 18 à 19 tendent à démontrer qu’à différentes vitesses d’élocution, y compris bien inférieures, le texte dont il est demandé la lecture ne prend pas plus de 2 minutes ; la pièce n°18 prévoit ainsi un temps de lecture de 1 minute 32, tout en indiquant par ailleurs un temps d’élocution de 2 minutes 34, la pièce n°19 un temps de 1 minute 44 à 1 minute 55 selon le nombre de mots / minutes prévu (150 ou 140). »

Tandis que le défendeur appuyait son argumentation sur plusieurs estimations du temps de lecture du droit de réponse chronométrées et “ selon qu’elle corresponde à un “discours” ou une “voix off”, et que le rythme de lecture requis soit “en pause”, “normal” ou “rapide”. Aucune de ces simulations ne propose un temps de lecture inférieur à 2 minutes, allant de 2 minutes 45 à plus de 5 minutes.”

En tout état de cause, les appréciations proposées, aussi bien par le défendeur que la demanderesse, varient d’au moins une minute et dépassent pour certaines bien largement la limite légale des deux minutes.

Le juge des référés, qui se qualifie lui-même de juge de l’évidence, estime que celle-ci fait ici défaut quant au respect de cette règle des deux minutes :

« Il résulte de l’ensemble de ces développements que, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, qu’au vu de la diversité des appréciations du temps de lecture du message, y compris au sein des pièces de la demanderesse, n’est pas établi, avec l’évidence requise en référé, que le droit de réponse dont il est demandé l’insertion remplit les conditions exigées par le texte, s’agissant de la durée de sa lecture. »

Cette décision permet de mettre en lumière une difficulté particulière du droit de réponse dans le domaine audiovisuel, à savoir celle de l’estimation de la durée de lecture du texte qui dépend évidemment du débit de lecture.

Cette ordonnance permet de comprendre que toute divergence, soutenue utilement par des pièces, constitue un débat qu’il ne revient pas au juge des référés de trancher.

Pour prévenir toute incertitude et s’assurer au mieux de la validité d’un droit de réponse audiovisuel, il apparaît donc préférable de privilégier un droit de réponse court ou, à tout le moins, ne cherchant pas à s’approcher absolument des deux minutes autorisées par les textes.

A défaut, un débat sur la durée est susceptible de s’ouvrir et d’empêcher le juge des référés de statuer.

 

[1] TJ Paris, ord. référé, 26 avril 2024.

[2] Décret n° 87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle.