Diffamation et excuse de bonne foi pour un journaliste : être « non-juriste » n’excuse pas tout…

Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 novembre 2024, n°23-81.810

Pour se prévaloir du bénéfice de la bonne foi en matière de diffamation, un journaliste doit procéder à une enquête sérieuse : cela implique, selon la Chambre criminelle qu’il ne puisse pas se prévaloir de sa qualité de non-juriste lorsqu’il se méprend sur la nature d’une infraction pénale.

C’est l’apport d’un arrêt du 13 novembre 2024, dans lequel la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’application de la bonne foi en matière de diffamation.

Le 17 décembre 2019, les propos suivants – relatant une affaire pénale concernant Monsieur I.G. – étaient publiés par un média :

 « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre » ; « Il y a huit ans en effet, le 2 mars 2011, il comparaissait devant le tribunal de Bobigny pour complicité de tentative de meurtre » ; « Reconnu coupable, il est condamné à trois ans de prison ferme » ; « Ils se rendent au domicile de l’amant, le frappent, l’enferment dans le coffre de la voiture. Ils vont ensuite chercher un bidon d’essence, avant de se diriger vers une forêt de Seine-et-Marne. Lorsque la voiture est à l’arrêt, ils font sortir le prisonnier du coffre et le frappent à nouveau »,

 « Quand [I] [G] faisait appliquer la Charia » ; « La Charia doit s’appliquer. [X] appelle son frère [S] et son ami [I] pour qu’ils le secondent dans sa mission ».

Le 20 janvier 2020, Monsieur I.G. déposait plainte avec constitution de partie civile contre Monsieur. R.P. des chefs de diffamation publique envers un particulier et de diffamation publique envers une personne à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion et contre Madame D.V. des chefs de complicité desdits délits pour ces propos.

Le 2 juin 2021, un juge d’instruction renvoyait Monsieur I.G. et Madame D.V. devant le Tribunal correctionnel.

Le 13 avril 2022, le Tribunal correctionnel de Paris relaxait les deux prévenus.

Monsieur I.G. interjetait appel de cette décision.

La Cour d’appel confirmait le jugement du Tribunal correctionnel et déboutait Monsieur I.G. de sa demande tendant à ce que la publication des propos dans l’article en cause soit jugée constitutive d’une faute civile. Il s’agissait de ces propos :

 « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre », « Il y a huit ans en effet, le 2 mars 2011, il comparaissait devant le tribunal de Bobigny pour complicité d'[.?] tentative de meurtre », et « Reconnu coupable, il est condamné à trois ans de prison ferme ». 

La Cour d’appel a, d’abord, rappelé les infractions pour lesquelles Monsieur I.G. a été jugé par le Tribunal correctionnel le 2 mars 2011 et en appel le 10 janvier 2012.

Si Monsieur I.G. avait bien été condamné dans l’affaire mentionnée par l’article, cette condamnation portait sur des faits de séquestration et non pas de complicité de tentative de meurtre.

La Cour d’appel constatait cependant, ensuite, que les rédacteurs de l’article avaient pu commettre « en tant que non juristes » une erreur de qualification des faits :  

« 10. Ils en concluent que c’est à juste titre que le tribunal a retenu que l’erreur dans la qualification des faits, commise par un non-juriste, ne pouvait suffire à ôter sa pertinence à la base factuelle, l’auteur de l’article, dénué d’animosité personnelle, ayant, par ailleurs, fait preuve de mesure dans l’expression en reprenant essentiellement des éléments de fait sur lesquels s’appuient les motifs de deux décisions de justice. »

La Chambre criminelle vient casser la décision de la Cour d’appel.

Selon la Haute juridiction, les prévenus ne pouvaient pas se prévaloir de la bonne foi en l’absence d’une base factuelle suffisante permettant d’affirmer qu’à plusieurs reprises, la partie civile avait été condamnée pour complicité de tentative de meurtre et pour des violences. En effet, dans la mesure où les prévenus étaient des professionnels de l’information, la nature des condamnations alléguées aurait dû être sérieusement vérifiée :

« 12. En effet, aux termes du jugement et de l’arrêt, produits au soutien de l’exception de bonne foi, les prévenus, qui devaient procéder à une enquête sérieuse en leur qualité de professionnels de l’information, ne disposaient d’aucune base factuelle pour affirmer à trois reprises, dans l’article litigieux, que la partie civile avait été condamnée pour complicité de tentative de meurtre, faits criminels relevant de la cour d’assises, faute pour les décisions susvisées de l’évoquer de quelque manière que ce soit. »

En effet, ne pas être juriste n’excuse pas tout et ne dispense pas un journaliste d’un travail de vérification sérieux des faits qu’il relate et impute à une personne.

La Chambre criminelle juge ainsi que :

« 17. En effet, elle devait rechercher si l’imputation à M. [I] [G] des actes de violence décrits dans l’article incriminé n’était pas elle-même dépourvue d’une telle base, alors qu’aux termes des conclusions déposées pour celui-ci, il était allégué que la peine à laquelle il avait été condamné avait été minorée par rapport à celle prononcée à l’encontre de ses coprévenus en raison du fait qu’il ne s’était pas rendu coupable de violences. »

L’arrêt de la Cour d’appel avait également retenu que les propos suivants : « Quand [I] [G] faisait appliquer la Charia » ; « La Charia doit s’appliquer. [X] appelle son frère [S] et son ami [I] pour qu’ils le secondent dans sa mission » contenus dans l’article n’étaient pas diffamatoires car ils n’imputaient pas de fait précis à Monsieur I. G. à raison de son appartenance supposée à la religion musulmane, mais « qu’ils ne font que contextualiser et commenter les faits principaux, sans y ajouter ».

La Chambre criminelle est revenue sur cette appréciation :

« 22. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés pour les motifs qui suivent.

    1. En premier lieu, les propos poursuivis qui imputent à M. [I] [G] d’avoir commis les faits pour lesquels il a été condamné, en application des règles de la charia, loi islamique, sont précis et de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération.
    2. En second lieu, cette imputation est faite à la partie civile à raison de son appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane.
    3. Il s’ensuit que la cassation est encore encourue, sans qu’il y ait lieu d’examiner le dernier grief.»

Pour toutes ces raisons, la Chambre criminelle casse l’arrêt d’appel et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.

Cette décision rappelle, lorsque des procédures et condamnations pénales sont évoquées, la rigueur avec laquelle est appréciée l’excuse de bonne foi et plus précisément le critère de la base factuelle suffisante ; et ce, qui plus est lorsque l’auteur des propos litigieux est un professionnel de l’information.

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