Cour de cassation, Chambre civile 1, 4 septembre 2024, 23-14.951, Inédit
Le 4 septembre 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris dans une affaire opposant un avocat à la société éditrice du Nouvel Observateur et son directeur de publication.
Les faits remontaient à février 2020, lorsque l’hebdomadaire publiait un article mettant en doute la légitimité d’un avocat à représenter un activiste russe impliqué dans une affaire judiciaire.
Selon cet article, l’avocat n’aurait jamais été officiellement désigné pour représenter l’activiste russe en question :
« Malgré ses déclarations, l’avocat n’a jamais été le défenseur désigné par l’activiste russe dans aucun de ses dossiers judiciaires. S’il doit intervenir dans l’affaire [U], ce sera pour être interrogé sur son rôle dans la diffusion de la vidéo. » (…) « La réalité semble bien plus complexe. En réalité [T] [H] n’a jamais été le défenseur désigné par l’activiste russe dans aucun de ses dossiers judiciaires. Il ne peut donc, de ce fait, avoir été dessaisi … [X] [V], comme il l’a déclaré à l’AFP, a bien « consulté » Me [H] « avant de mettre la vidéo en ligne » le mercredi 12 février, mais il ne l’a jamais choisi dans aucune des procédures judiciaires le visant, désignant au contraire dès samedi après-midi l’avocate pénaliste [S] [G]. ».
L’avocat visé par cet article estimait que ces propos étaient diffamatoires dès lors qu’ils mettaient en cause son intégrité professionnelle.
Il assignait alors le directeur de publication du média et la société éditrice pour obtenir réparation et la publication d’un communiqué judiciaire.
Le 19 avril 2023, la Cour d’appel de Paris rejetait les demandes de l’avocat.
Selon la Cour, les faits relatés et qui lui étaient prêtés ne pouvaient être qualifiés de diffamatoires, dès lors que l’article ne lui imputait qu’un simple mensonge, ce qui, d’après les juges d’appel, ne portait pas atteinte à son honneur ou à sa considération professionnelle :
« Pour rejeter les demandes de M. [H], l’arrêt retient que les propos selon lesquels il avait menti en prétendant être l’avocat d’une personne gardée à vue, alors qu’il ne l’était pas, ne sont pas diffamatoires, dès lors qu’un simple mensonge ne peut s’analyser en propos diffamatoire. »
L’avocat formait un pourvoi en cassation et soutenait que le fait d’accuser un avocat d’avoir menti sur sa désignation dans une affaire judiciaire constituait une atteinte aux règles déontologiques de sa profession, ce qui était un fait suffisamment précis, susceptible de preuve pour correspondre aux critères de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 :
« M. [H] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors « que constitue une diffamation l’imputation faite à M. [H], avocat soumis aux règles déontologiques de sa profession, du fait précis susceptible de preuve d’avoir faussement prétendu être l’avocat d’une personne placée en garde à vue, quand il n’avait pas été désigné par cette dernière ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé articles 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. »
La Cour de cassation accueillait le moyen soulevé par le demandeur au pourvoi au visa de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, qui définit la diffamation comme toute allégation ou imputation portant atteinte à l’honneur d’une personne.
La Haute juridiction estime qu’en qualifiant les propos litigieux de mensonge, Cour d’appel de Paris, a « violé le texte susvisé » dès lors que :
« le fait pour un avocat de mentir quant à sa désignation par une personne gardée à vue étant contraire aux règles déontologiques de sa profession, l’imputation de tels propos portait atteinte à son honneur et à sa considération »
Dit autrement, la Cour de cassation considère qu’une telle prétention n’est pas constitutive d’un simple mensonge, puisque pour un avocat, mentir sur la désignation de son client serait contraire aux règles déontologiques de sa profession, ce qui constituerait une imputation susceptible de porter atteinte à l’honneur et à la considération de la personne visée.
Par conséquent, la Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.